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Bonne pioche en face nord du RĂ¢teau

OĂ¹ est Charlie ? Octave Garbolino en dry dans la face nord du RĂ¢teau. © M. Detrie.

Ceux qui attendent que les goulottes se forment en hiver devraient mĂ©diter l’exemple suivant. Mathieu DĂ©trie et Octave Garbolino ont tracĂ© une nouvelle voie en face nord du RĂ¢teau, pourtant bien sèche en ce mois de fĂ©vrier. En dry tooling, l’absence de neige a permis aux deux passionnĂ©s des Écrins de passer Ă  la journĂ©e. Une Bonne Pioche dans cette face austère qui surplombe la Grave et que tout le monde voit.

Les projets en tĂªte, ce n’est pas ce qui manque. Mais avec les crĂ©neaux mĂ©tĂ©o, les belles conditions et les compagnons sympas et motivĂ©s, l’équation est plus difficile Ă  rĂ©soudre. En cette mi-fĂ©vrier 2019, le beau temps est posĂ© sur les Alpes. Je rentre juste d’un superbe stage avec le GEAN en Autriche (Groupe Excellence Alpinisme National de la FFCAM). Cette pĂ©pinière de jeunes talents est une formidable motivation pour rester « dans le coup ». Essayer de les suivre permet de garder le contact avec ce « grand alpinisme » qui nous fait rĂªver ! J’ai un peu de temps et quand je vois ce crĂ©neau mĂ©tĂ©o, je dĂ©cide de contacter Octave Garbolino, « ex-membre » brillant du GEAN, pour lui proposer un petit tour dans les Ecrins.  L’idĂ©e, un peu saugrenue est d’aller voir une nouvelle ligne dans cette face nord du RĂ¢teau, Ă  la fois si proche et si sauvage Ă  la fois ! Ă€ part la classique goulotte « Allera/Pelatan », sur la droite de la face, les parcours hivernales des autres voies sont très rares.

La face nord du RĂ¢teau est si proche et si sauvage Ă  la fois.

© Mat Detrie.

Une face très sèche… et grimpable ?

Plusieurs idĂ©es de ligne ont Ă©tĂ© dessinĂ©es, mais nous devons aller voir au pied si cela peut faire. Bien sĂ»r, nous ne partons pas pour ouvrir une ligne « majeure » ou « Ă©vidente », mais l’envie de vivre une aventure lĂ  haut, avec sa part d’alĂ©as, nous suffit amplement. Rendez-vous est pris au tĂ©lĂ©phĂ©rique de la Grave. L’accès Ă  ski par les « pans de rideau » est rapide. Nous laissons les skis Ă  la rimaye et nous faisons la trace jusqu’au pied du mur. S’en suit de longues discussions sur le choix de l’itinĂ©raire, de la stratĂ©gie… La face est « ultra » sèche, et cela nous convient bien pour grimper en crampons et piolets sans passer des heures Ă  nettoyer dans cette paroi bien rocheuse.

Nous dormons dans le bivouac classique du lieu, les toilettes du téléphérique de la Grave.

Nous choisissons finalement une ligne Ă©vidente Ă  droite de la voie « Cambon-Francou ». On laisse notre matĂ©riel et on rejoint les skis pour glisser jusqu’Ă  la Grave. De retour dans la gare du tĂ©lĂ©phĂ©rique, nous nous installons confortablement pour la nuit, dans les toilettes (!) seul endroit chauffĂ© de cette gare ouverte aux 4 vents. Une courte nuit et nous voilĂ  repartis pour les « pans de rideau », cette fois ci, Ă  pied. Nous avons choisi de prendre l’option bivouac, car nous ne savons pas trop Ă  quoi nous attendre et, malgrĂ© le beau temps, les nuits sont encore froides en fĂ©vrier en face nord.

Octave a l’air très content d’Ăªtre lĂ  ! © Mat Detrie

Un bon rocher, si si !

Rapidement nous retrouvons nos traces de la veille et attaquons la rimaye. Le froid est mordant, il est 6h du matin. Les deux premières longueurs sont rapidement grimpĂ©es malgrĂ© la neige inconsistante et nous attaquons le rocher. Nous sommes tout de suite surpris quand Ă  la qualitĂ© de celui-ci. HabituĂ© du massif, je m’attendais Ă  grimper des longueurs en rocher moyen et surtout difficilement protĂ©geables comme il est de coutume dans les Ecrins, or, il n’en est rien ! Bien que ce rocher ne soit pas parfait, nous nous rĂ©galons Ă  grimper des longueurs raides en plaçant de bonnes protections. Nous avançons rĂ©gulièrement en alternant des longueurs qui grimpent et d’autres qui dĂ©roule plus. MalgrĂ© quelques pas d’artif «facile», l’escalade est plaisante, roulante, et surtout pas dangereuse. Je commence Ă  penser que nous sortirons peut Ăªtre ce soir… Après le deuxième « verrou », un dilemme se pose Ă  nous. A gauche, le dièdre, très raide, est Ă©vident. Par contre, cela laisse prĂ©sager pas mal d’artif, surtout Ă  l’ouverture et avec nos gros sacs. A droite, une rampe Ă©vidente nous amènerait plus tranquillement Ă  l’arĂªte sommitale, malgrĂ© quelques passages raides.

© Mat Detrie.

Nous optons finalement, une fois n’est pas coutume, pour le choix du plaisir. La suite se dĂ©roule assez rapidement, avec une longueur sur un rocher superbe. Nous sortons sur l’arĂªte en fin de journĂ©e. Nous retrouvons les derniers rayons du soleil et les lumières qui deviennent superbes en cette fin de journĂ©e. Optimistes, nous essayons de traverser vers le RĂ¢teau Ouest, mais un brassage de 50m jusqu’Ă  la taille nous ramène Ă  la rĂ©alitĂ©. Il faudra descendre en rappel jusqu’au glacier de la Selle, puis traverser jusqu’au couloir de la Girose et le remonter pour terminer cette petite journĂ©e en montagne. Vers minuit, après une descente mĂ©morable dans ces vallons que nous connaissons par cÅ“ur, mais qui nous semble, cette fois ci, interminables, nous posons les sacs Ă  la voiture et rentrons dans le premier bar de la Grave ouvert, oĂ¹ se dĂ©roule une grosse fĂªte ! Changement d’ambiance…

Avec le recul, c’est une voie bien agrĂ©able que nous avons parcourue. Du bon rocher (Ă  part 2 longueurs), de quoi placer des bonnes protections, une escalade pas trop dure, mais pas trop facile non plus (cela doit d’ailleurs se parcourir intĂ©gralement en libre !), un parcours Ă  la journĂ©e, un accès facile grĂ¢ce au tĂ©lĂ©phĂ©rique et enfin des conditions sèches faciles Ă  trouver au cÅ“ur de l’hiver dans cette belle face… Ce fut vĂ©ritablement la « bonne pioche ». Une future classique ?

Face nord du RĂ¢teau, massif des Écrins, Bonne Pioche, 500m, ED/M6+/A1+/6a, par Mat Detrie et Octave Garbolino, fĂ©vrier 2019.