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AVALANCHES | LES GESTES QUI SAUVENT (NORMALEMENT)

Vous avez aimé mon titre racoleur? Ne fuyez pas, la suite va être plus sérieuse.
Ce titre rappelle juste que le thème des avalanches et de la sécurité sur la neige est un des plus porteurs, intéressants, débattu et dévoyé. Les experts expertent, les médias médiatent, les marques les plus avisées communiquent et font de la formation active, ce qui est tout à leur honneur. Tout ça est très bien, indispensable (ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je vous vois venir). Mais on dirait bien qu’il y a une différence entre la théorie et la pratique.

En étant sur la neige régulièrement, on s’aperçoit qu’il y a un hiatus, un gouffre, entre les bonnes
intentions déclarées et les comportements des skieurs. Comme si avoir lu le bulletin et fait une recherche multi-victimes en novembre permettait de s’oublier complètement une fois sur la neige. À mon avis (qui est ouvert à débat), cette différence est due en grande partie à une grave lacune dans les communications qu’on a cité plus haut : elles ressassent le plus compliqué avec force d’éloquence, mais elles oublient d’expliquer le plus simple. Elles abordent toujours la question du ski en poudreuse soit sous l’angle de la nivologie prévisionniste, soit sous l’angle du secours en avalanche, c’est à dire les deux thèmes qui flattent le super-héros qui est en nous.

Quoi de plus gratifiant que de se persuader qu’on comprend la neige ?
Quoi de plus gratifiant que de sauver un gars coffré par une coulée ?

Dans tous ces excellents messages de sécurité, il manque souvent celui qui dit que pour ne pas mourir sous une avalanche, l’idéal est d’éviter l’avalanche. Je n’ai pas dit « l’idéal est de ne pas déclencher d’avalanche« , parce que ça, si on savait le faire, ce serait vraiment top. Mais on ne sait pas.

L’incertitude règne en maîtresse implacable de nos vies de skieurs avides de poudreuse (voir, revoir, relire et réciter http://www.data-avalanche.org/danger ). Il faut être réaliste, dans leur grande majorité, les freerideurs et les randonneurs :

  • sont des quiches en nivologie, au pire des apprentis sorciers, au mieux des apprentis éclairés qui peuvent tout de même se gourrer,
  • évoluent sciemment dans les zones les plus dangereuses, puisque c’est là que se trouve le bon ski (parfois, ou souvent).
L’incertitude règne en maîtresse implacable de nos vies de skieurs avides de poudreuse.

Réalisme

En conséquence, on voit régulièrement des gars sur-équipés, sur-informés, sur-entraînés à la méthode multi-analogique par pelletage croisé… arrêtés en groupe au beau milieu d’un couloir, en train de photographier les deux derniers qui arrivent en grattant les contre-pentes et en faisant youhouuuu à chaque virage tellement la poudre est profonde. Par exemple.
Je préférerais que ces gars n’aient pas lu le BRA et ne se soient jamais entraînés au DVA, mais skient chacun leur tour, avec grâce et talent, en se surveillant les uns les autres, et se regroupent à l’abri du flux des coulées. Par exemple. (Et si en plus ils ont lu le BRA et sont entraînés c’est idéal, mais soyons lucides…)

Alors voilà, puisqu’il y a incertitude (avérée) et prise de risque (assumée), puisqu’on vise presque toujours le >30° et la belle couche de fraîche, je propose de toujours retenir l’hypothèse la pire : « ça va partir« . Et de rappeler une somme de comportements classiques mais oubliés, plus ou moins simples, plus ou moins empiriques, pour arriver en bas de la pente et se dire, dans un sourire « c’était hyper bon et je ne me suis pas fait prendre« .

Mes trucs de grand-mère

Je veux être très clair : ce qui va suivre n’est pas une méthode universelle, ni un avis d’expert, ni un truc validé par le gouvernement. C’est juste une liste de trucs de base, expérimentés avec plus ou moins de réussite et d’assiduité au cours de ma vie de skieur. J’ai personnellement transgressé toutes ces règles de nombreuses fois. Souvent sans conséquence, parfois avec des alertes sérieuses, et j’aurais dû mourir au moins une fois, mais j’ai eu de la chance.
Bien sûr, tout ça est totalement indissociable de la compréhension de la montagne, de la lecture du BRA, des entraînements au DVA et au pelletage.
Je vous en prie, questionnez mes propositions, critiquez-les, choisissez celles qui vous plaisent, rejetez celles qui ne vous plaisent pas, et surtout, surtout, en montagne, agissez de manière responsable.

1

Analyser sa ligne et prévoir sa trajectoire avant de s’élancer

Quand on contemple la pente depuis le haut, on peut essayer de ne pas voir seulement le plaisir. Ce n’est pas un gros effort de plus que de repérer aussi les trajectoires de sortie, les abris sûrs, les espaces à l’abri du flux d’une éventuelle coulée, les axes qu’on peut envisager de tirer droit si tout se passe mal, les pièges qui obligeront à freiner en plein sous le flux et qu’il vaut mieux éviter. Avoir repéré tout ça a l’avance permet de gagner un temps fou s’il faut agir dans l’urgence. C’est aussi ce qui permet d’être efficace sur les points 2 et 6 ci-dessous.

2

Choisir entre vitesse et pondération

Il y a des pentes en forme de guet-apens, et d’autres plus faciles. La vitesse est souvent une très bonne manière d’échapper aux coulées déclenchées au passage, de taille petite ou moyenne, parce que le temps que la neige se décroche et prenne de la vitesse, le skieur pourra être déjà passé et abrité. Mais cette technique, très couramment utilisée par les freerideurs, ne marche qu’à des conditions strictes : avoir repéré la ligne de sortie et être absolument certain de pouvoir arriver jusque-là à pleine vitesse, sans chuter. Donc, si la ligne est tortueuse, exige de ralentir pour négocier un passage, traverse une zone de neige cartonnée piégeuse ou se termine dans des arbres serrés, il faut la négocier autrement. Ou prendre un dangereux pari… Il faut aussi voir que cette technique trouve sa limite si la plaque est de grande ampleur, interdisant la fuite en avant ou sur le côté. Elle est donc à réserver aux pentes dont les reliefs peuvent limiter la taille et le volume des éventuelles coulées, voir canaliser les flux de manière prévisible.

Puisqu’il y a incertitude (avérée) et prise de risque (assumée), puisqu’on vise presque toujours le >30° et la belle couche de fraîche, je propose de toujours retenir l’hypothèse la pire : « ça va partir ».

©Boris Dufour

3

Skis larges,
grandes courbes

Voilà un point hasardeux, parlons-en. Si j’ai bien compris le principe du déclenchement de plaques par sollicitation de la couche fragile, je crois qu’on peut en tirer une conclusion simple : plus on va aller profond dans l’épaisseur de la neige plus on aura de chances de déclencher. Même si la profondeur de la couche fragile varie, même s’il y a des « hot spots » où un souffle suffirait à tout faire partir, la conclusion reste la même : plus on se fait léger plus on diminue les chances de déclenchement en un point donné (ce qui ne veut pas dire qu’on les annule). Et le meilleur moyen d’être léger sur la neige c’est d’avoir des skis larges et d’aller tout droit. Dès qu’on freine, on va plus profond. Dès qu’on tourne, on va plus profond. Si on godille avec des skis fins, on est au top des profondeurs. Donc, en lien avec les points 1, 2 et 6, il est malin d’aller vite sans forcer sur les appuis dans les secteurs exposés et de prévoir les gros freinages dans les secteurs abrités.

4

Toujours entrer
par le haut

Vous connaissez le coup du blaireau qui coupe la pente ? C’est con à dire, mais si un volume de neige se décroche et commence à couler, il vaut mieux être en amont et le laisser partir, qu’en aval et le prendre sur la tronche. Moins de poids de neige sur les skis, voire pas du tout, permet de laisser filer le flux, éventuellement glisser derrière mais sans se faire ensevelir. Il faut donc s’efforcer de se trouver au point le plus haut du volume de neige quand on le sollicite, surtout si on n’a pas de vitesse (voir point 2). En station, il y a un paquet de spots dont l’accès est une traversée par gravité, qui n’amène pas au sommet de la pente. Autant que possible, remontez sur le côté avant de vous engager, en plus ça augmente la quantité de bon ski. En rando, le meilleur coin pour enlever les peaux et croquer le sandwich n’est pas forcément le meilleur point d’entrée dans la descente, donc tant que vous êtes en mode montée essayez d’anticiper la suite.
Vous connaissez le coup du blaireau qui coupe la pente ?

5

Skier un par un

En exposant un seul skieur à la fois, on limite les dégats d’une éventuelle coulée, et on optimise les chances d’un sauvetage efficace par les partenaires. Skier un par un, ce n’est pas laisser 50m d’avance au précédent puis le suivre sans réfléchir, chose qu’on voit beaucoup trop souvent (genre cent fois par jour). Skier un par un, c’est rester à l’abri tant que le premier n’est pas arrivé à l’abri suivant, et surveiller la pente pendant que le pote se fait plaisir. Corollaire évident : si vous arrivez en haut d’une pente, qu’un mec est en train de skier et que son pote attend son tour, attendez aussi. Si vous analysez la situation et estimez que vous pouvez skier sans risque (meilleur niveau, meilleure connaissance de la pente, inconscience ou ego excessif), attendez au moins que le premier soit à l’abri avant de vous engager. Si vous passez devant sans réfléchir, vous méritez juste des baffes. C’est tout le problème de la sur-fréquentation de certains spots, qui devraient se négocier avec circonspection, mais où la pression du nombre oblige à la précipitation et à des prises de risques débiles.

6

Aller d’abri en abri,
ne pas s’arrêter n’importe où.

Si vous avez lu les points précédents, vous avez déjà repéré les abris dont vous avez besoin dans votre pente : épaule sur le côté du couloir, contre-pente sur un rocher, écharpe protégée… Et vous savez comment les rejoindre d’un trait serein. L’idéal, c’est de ne jamais s’arrêter et encore moins se regrouper ailleurs que dans un abri. Un des grands ennemis de cette règle, constaté tant de fois, c’est l’envie de prendre le pote en photo. Vous venez de skier, rien n’a bougé, vous êtes serein… Vous allez faire une photo… Mais le pote, lui, n’a pas envie de skier dans vos traces, il ira donc taquiner d’autres pans de neige peut-être mobilisables. Mieux vaut alors ne pas se trouver au milieu du couloir ! Il y a aussi la version moderne avec le filmage du pote en caméra embarquée, donc en skiant à deux : c’est pareil en pire. (L’autre ennemi farouche de cette règle c’est le manque de technique et le manque de condition physique des skieurs, qui s’arrêtent pour souffler, ou chutent… Mais vous valez bien mieux que ça, j’en suis sûr.) Il faut aussi rappeler que cette précaution s’applique jusqu’en bas de la pente. Même si vous pensez avoir dépassé le point où le danger vous semblait plus sensible, même si vos premiers virages vous ont rassuré, même si vous savourez le meilleur. La gravité n’a que faire de votre sérénité, et les plaques ne partent pas toujours du haut de la pente, elles peuvent aussi arriver des côtés, ou avoir été déclenchées par un groupe engagé après vous. (Encore la sur-fréquentation, ce mal diabolique !) Dans le doute, en bas de pente, dégagez. Si vous avez frémi en haut, vous devez vous en rappeler en bas.

7

Et la montée ?

Les points 1 à 6 sont très difficiles à appliquer à la montée. On voit mal la pente, sa raideur et ses reliefs. On est malhabile et lent avec les peaux et les talons décollés. On a beau avoir des skis larges, on plante les bâtons, on fait des conversions, on va profond. Et même si on peut trouver des abris, circuler un par un prends un temps fou, on ne le fait que quand « ça pue » vraiment, ce qui est con du point de vue avalanche mais a du sens pour plein d’autres raisons. Du coup, on « prend ses distances », ce qui fait qu’on est souvent alignés quand même dans le même axe de flux, mais loin les uns des autres. Illusoire. La seule bonne manière de gérer la sécurité à la montée, c’est le choix d’itinéraire. Vive les boucles : gardez les pentes à 30° chargées de poudre pour la descente !