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Alpinisme & exploration : apprentissage au Pakistan #1

Du bloc au peak

Au Pakistan, l’alpinisme exploratoire a encore de beaux jours devant lui. Partis en mai dernier pour le Thui Zom 2 (6520 m), Antoine Rolle, Aurélien Vaissière, Pierrick Fine et Symon Welfringer ont dû user des spatules et des piolets, quitte à improviser. Après réflexion, le quatuor s’offre la première d’un pic inconnu qu’ils nomment Risht Peak (5960 m). Mais « sur la route de l’école », il leur reste encore beaucoup à grimper et à apprendre. Épisode 1 avec les mots d’Antoine Rolle. 

Il ne s’agit pas de hasard lorsqu’on choisit de partir au Pakistan.  Pour découvrir ce pays, il faut des envies de montagnes, de paysages à couper le souffle et surtout d’aventures. Ce nom résonne dans ma tête depuis plusieurs années. Il est associé à de nombreuses expéditions et aux majestueuses montagnes telles que le K2, le Masherbrum ou les tours de Trango. J’entends la voix de Mimouze  (NDLR : Yann Mimet, guide en Ubaye) dans Azazel, « On s’est encore fait niquer… ». C’est bel et bien un rêve de pouvoir parcourir ce pays. Tout comme pour Aurel et Pierrick, cette visite du Pakistan est une première. Symon quant à lui est déjà venu grimper dans la région de Karimabad. Nous nous connaissons tous les quatre depuis quelques années mais nous n’avions pas eu l’occasion de grimper ensemble. Nous partageons une même motivation et une même vision de l’alpinisme : explorer des montagnes qu’aucun alpiniste n’a foulé. Une vallée en particulier attire notre attention, la Yarkhun Valley. Là-bas, de nombreux sommets sont vierges et de nombreux glaciers sont encore infranchis. Cette vallée a été interdite aux étrangers pendant plus de 20 ans. Depuis peu, le tourisme se réouvre, nous permettant d’avoir, non sans mal, ce qui semblerait être le premier permis d’entrée dans la Yarkhun Valley.

Aucune photo du lieu,
ni sur le web, ni dans les livres !

Islamabad me rappelle New Delhi. Ça grouille de vie ! Nous n’y restons qu’un jour car pour rejoindre le village de Lasht dans la Yarkhun, il nous faut cinq jours de voyage. Jusqu’à Chitral, la route est « bonne », c’est-à-dire la plupart du temps goudronnée. Nous enchaînons les check-points et les escortes. Drôle d’ambiance quand le véhicule qui nous précède est occupé par des hommes masqués et armés d’AK-47. Même si le Pakistan est devenu moins dangereux ces dernières années, la vallée que nous remontons est en pleine zone tribale à la frontière afghane. Un repos à Chitral, dernière grosse ville avant les hautes montagnes, puis deux jours de 4×4 nous mènent au bout de la route dans la Yarkhun Valley. Nous débarquons à Lasht, petit et dernier village comptant plusieurs centaines d’habitants. Entre terrain à vache et terrain agricole, le camp de base n’est pas simple à trouver (comprenez « marchander ») auprès des paysans. Ils nous autorisent finalement à nous installer dans un pré, proche de la rivière et de la vallée glaciaire qui nous intéresse.

Notre objectif principal est le sommet vierge du Thui Zom 2, culminant à 6520m. Aucune photo du lieu, ni sur le web, ni dans les livres !  Nous avons fait notre repérage sur Google Earth, incroyable outil pour notre nouvelle génération d’alpinistes. Grâce à l’excellente résolution, il semble que sa face orientée au sud-ouest puisse nous proposer une belle ligne, entre neige et mixte. Le projet est beau, mais le véritable objectif de ce voyage est la découverte de ces vallées. Tous les moyens sont bons : chaussons d’escalade, crampons, skis…

Préparation au camp de base. ©Antoine Rolle

La cuisine des chefs, le régal au quotidien ! ©Antoine Rolle

La dure loi de l’acclimatation

Peu de temps après la prise de nos quartiers dans la Yarkhun valley, la météo nous permet de débuter notre acclimatation. L’idée est simple : remonter l’ensemble du Risht Glacier jusqu’à son point le plus haut. Ceci constitue notre première inconnue. Ce glacier n’a jamais été parcouru et certains passages sont peut-être infranchissables. L’une des caractéristiques de notre camp de base est sa basse altitude, pas plus de 3000m. Nous souhaitons privilégier le confort : dépose en 4×4, sans porteurs et à proximité des ressources (rivières et habitants).

Cependant, l’inconvénient de ce choix est l’importance du dénivelé pour chaque tentative en montagne. La neige est abondante à partir de 3700m et nos déplacements se font donc principalement à ski. Nous prévoyons six jours d’acclimatation, ce qui nous permet de scinder le dénivelé en petites portions et d’évoluer progressivement en altitude.

Dès le départ, nous progressons avec des sacs lourds et sommes chargés de nos skis. Après les premiers 700m à pieds, nous chaussons enfin les planches, que nous ne quittons plus pendant plusieurs jours. À cette altitude, la neige chauffe facilement avec ce lourd soleil de mai. Nous remontons les premières moraines couvertes de neige jusqu’au début du glacier.  Ce premier jour est notre plus grosse étape avec 1100m de dénivelé positif. Nous installons nos petites tentes de parois autour de 4100m, c’est notre premier bivouac du voyage. Si la journée le soleil fait monter le mercure, dès qu’il se cache derrière un sommet nous enfilons la doudoune. À 17h, lorsque le soleil disparaît définitivement derrière les montagnes, il signe la fin de notre journée et le refuge dans nos duvets.

Les deux jours suivants sont les plus importants, avec chaque jour un verrou glaciaire à passer. L’itinéraire à ski est compliqué à trouver entre parois rocheuses, séracs et crevasses. Sur la rive droite, des ponts de neige providentiels nous permettent d’avancer progressivement. Le cheminement se dessine entre les crevasses. Notre deuxième bivouac est à 4600m d’altitude. La vue est superbe et nous profitons du beau coucher de soleil sur l’horizon.

 

Sacs lourds et soleil écrasant : c’est l’acclimatation. ©Antoine Rolle

Pour ma part, le ski sur glacier à ces altitudes n’a rien d’une partie de plaisir. L’acclimatation est lente. Mes skis ne sont pas en carbone et je sens que je m’alourdis pas après pas. Le sac s’imprime en moi et le soleil nous brûle. A 5000m, chaque zone raide et technique est une étape de plus vers notre bivouac. On mêle la corde au ski, ce qui rend la progression encore plus épique. Heureusement nous prévoyons peu de dénivelé par jour et vers 14h nous approchons de notre troisième bivouac. Il se situe vers 5100m. Nous sommes au pied du Thui Zom II et de son imposante face ouest. Nous rêvons de cet endroit depuis plusieurs mois. À partir de ce bivouac, le glacier se couche et devient plus plat. Le ski-alpinisme est plus agréable. Nous remontons le glacier jusqu’à son point le plus haut. Nos quatrième et cinquième bivouacs sont installés à 5400m. De là, la vue est superbe sur la face sud-ouest du Thui Zom II. Nous y repérons une ligne logique qui nous semble idéale pour notre objectif. Au-dessus de nos têtes se dessine un sommet, plus bas en altitude, à la forme caractéristique. Il n’est pas référencé, nous ne le savons pas encore mais ce sera notre Risht Peak. Lors de cette cinquième journée en altitude, nous tentons d’atteindre un col à 5700m. Mais la mauvaise qualité de neige nous stoppe à trente mètres seulement de celui-ci. Une sage décision car quelques heures plus tard les pentes se déchargent par de petites coulées.

Au bivouac, nous profitons du calme. Là haut, le temps s’arrêterait presque.

Dans nos petites tentes de paroi nous prenons nos marques. Pierrick dort à droite et moi à gauche. Les bivouacs dans la neige sur glacier demandent de l’organisation. Terrasser, installer le camp, faire fondre la neige… tout un déroulement que nous commençons à maîtriser. Ces gestes du quotidien nous occupent plusieurs heures et sont indispensables à la fois pour notre survie et notre confort. Nous souhaitions un isolement total, le voilà !

Au matin du sixième jour il neige. Il est temps de plier bagages et de rentrer au camp de base avec une pointe de nostalgie. Nous dévalons le Risht Glacier avec des conditions incroyables. Quelques centimètres de neige légère recouvrent un fond dur. Après ces cinq jours d’effort, voici notre cadeau. Nous passons à chacun de nos bivouacs et y déposons du matériel en vu de notre prochaine venue. Les courbes s’enchainent dans un cadre féérique. L’acclimatation, première étape de notre voyage, est faite.

Premiers bivouacs. Moins spacieux que le Base Camp ! ©Antoine Rolle

L’équipe au grand complet, avec Bachir et Said les cuistots magiques. ©Antoine Rolle

Le camp de base, ce refuge

Au camp de base, chacun s’affaire à ses occupations. On lit, on dort, on prépare du matériel, on répare son matelas, on se balade et surtout on mange ! Bachir, notre cuisinier nous étonne chaque jour. Mouton, poulet ou poêlées de légumes, mais toujours accompagnés d’un copieux dal baht. Les jours de fêtes, notre chef nous propose même des frites maison !

Said, notre chef de camp, se démène pour notre confort. Il possède une longueur d’avance et anticipe chaque chose pour le bon fonctionnement de notre camp de base. Il n’hésite pas à parcourir plusieurs kilomètres pour se procurer du café lorsque nos stocks diminuent. Il faut dire que Symon et Aurélien sont des consommateurs intensifs. Les habitants de Lasht nous rendent visitent de temps en temps, souvent par curiosité et certaines fois par nécessité. Nous sommes sollicités pour soigner les blessures les plus vilaines mais malheureusement, un médecin serait plus adapté que nos soins de fortune. Certains locaux parlent anglais. Ils nous racontent leur mode de vie et leur travail aux champs dans cette vallée reculée. Ils m’impressionnent par leur maîtrise de l’irrigation. Les canaux sinuent autour du camp et leurs débits varient de jour en jour. Nos plus proches voisins sont les bêtes qui vivent près de notre champ. Vaches, moutons et chèvres s’amusent à brouter nos tentes et à manger nos savons. Des courses poursuites s’engagent alors à travers les bosquets. Impossible de rivaliser.

Mais l’une des activités favorites du camp est de converser avec nos copines par balise GPS. Nous attendons impatiemment la sonnerie fatidique. On se rue alors sur la balise pour connaitre l’heureux élu. Pendant que celui-ci jubile, les autres ruminent. Et nous ne sommes pas tous égaux. Certains d’entre nous, dont je tairai les noms, reçoivent une quantité astronomique de messages par jour. Ça en est presque indécent ! On se console avec quelques chapati/kiri préparés par Bachir en attendant notre tour.

 

Bloc d’attente

Une période de pluie est annoncée. Nous décidons de profiter des deux jours de soleil avant que la dépression n’arrive. En aval de notre camp, nous avons repéré un beau chaos de blocs proche de la route. Nous préparons magnésie, chaussons, matelas en guise de crash-pad et une nuit de bivouac pour explorer ce site. Les trente kilomètres de marche sur la route ne sont définitivement pas la meilleure partie mais nous sommes récompensés lorsque nous apercevons ces blocs posés au milieu du champ. Ils ne dépassent pas les deux mètres de hauteur mais certains passages sont superbes. Les styles varient entre dalles et dévers, réglettes et jetés. Nous proposons même une double contre-pointe, avis aux répétiteurs ! Symon nous libère les blocs les plus durs, jusqu’à 7B, pendant que nous nous amusons dans des cotations plus faciles. La peau des doigts brûle lors des derniers essais avant de rentrer.

 

Symon en plein effort. ©Antoine Rolle

Sur la route de l’école ou du bloc ? © Antoine Rolle

Plan B : Risht Peak

La pluie nous a rejoints, une longue attente s’entame. Les activités du camp se réduisent aux tâches de la vie quotidienne. Protégés dans nos tentes, le temps passe beaucoup moins rapidement. Nous épuisons toutes nos réserves de films. Nous scrutons les messages météo d’Ambroise, notre routeur. Le créneau de beau temps annoncé se réduit : il passe de 6 jours d’anticyclone à 4 jours puis 3 jours. Malheureusement, nous avons besoin de 4 jours minimum pour notre projet au Thui Zom II. La déception est énorme. Il nous faut digérer cet « échec ». Notre objectif n’est plus envisageable. Le lendemain, le réveil est difficile. Nous devons désormais trouver un plan B. Lors de notre quatrième et cinquième bivouac, nous étions au pied d’une belle face, sommet non répertorié. En observant les photos de plus près, plusieurs lignes se distinguent, dont une superbe goulotte sur la droite de la paroi. Banco ! Ce sera notre objectif.

Notre timing par rapport à l’anticyclone devra être parfait, car le créneau est court. Nous prévoyons deux jours pour les 2400m d’approche que nous avions réalisés en quatre jours à l’acclimatation. Ensuite il nous faut atteindre le sommet et redescendre au camp de base avancé le plus rapidement possible.

Le quatuor parviendra-t-il à se hisser sur ce nouvel objectif ? Vous le saurez en lisant la suite de l’aventure sur Alpine Mag !

Le Risht Peak : notre objectif ! ©Antoine Rolle