Ski de pente raide : la trilogie majeure au mont Blanc de Morgan Akhourfi

©Elias Ejderhamn / J. Chavy

Il a moins de 25 ans et une très longue liste de pentes raides à son actif. Morgan Akhourfi a rajouté une corde à son arc avec le parapente, et surtout les petites voiles de speed riding qui lui permettent de s’échapper des glaciers. Après une descente du couloir Saudan le 1er mai, Morgan Akhourfi a enchaîné trois descentes majeures du mont Blanc en moins d’une semaine : l’arête de Peuterey, le contrefort central du Miage, et la Sentinelle Rouge. Trois plus une, soit une tétralogie. À chaque fois seul. À chaque fois Morgan « s’évacue », comme il le dit, par la voie des airs : « l’avenir de la pratique » selon lui. Interview.

Il passe son temps libre à skier. Vite, si possible. Souvent seul. Avec les remontées, en hiver, souvent sans. Le bassin d’Argentière est sa deuxième maison, après le camion qu’il partage avec son chat. Morgan Akhourfi est un skieur passionné, mais avant tout un skieur-alpiniste au sens le plus ambitieux, ou descendeur, du terme. Et boulimique avec ça.

Pas question de sacrifier la skiabilité sur l’autel de la légèreté. Alors la plupart de ses descentes, comme celles des trois mont Blanc réalisées en une semaine à peine, c’est avec une paire de Black Crows Solis bien lourds aux pieds. Émoji fusée faite skieur, Morgan enchaîne les descentes à Mach 2 tout l’hiver, inspiré par le style ballistique de Jérémie Heitz. Dès qu’il a un seul jour de libre, comme un certain Emmanuel Ballot, prophète de la pente raide trop tôt disparu.

Outre sa capacité à enquiller plus de couloirs en une semaine que d’autres en une saison, Morgan Akhourfi a fait rapidement ses classiques parmi les descentes les plus exposées : en 2024 il signait entre autres une rare répétition de la face sud de l’aiguille du Moine. L’été il alterne les chantiers de cordistes et les entraînements en trail… et le parapente. L’hiver il skie. Et ce printemps, c’est le jackpot.

Le 1er mai, couloir Saudan, mont Blanc versant ouest, que Morgan a déjà skié avec un camarade un an plus tôt. Le 13 mai, il skie le col de la Verte dans le bassin d’Argentière. Le 15 mai, il skie l’arête de Peuterey, mont Blanc versant sud. Le 16 mai, la face nord de l’aiguille du Plan. Le 17 mai, le col des Droites. Le 18 mai, le contrefort central du Miage italien, mont Blanc versant ouest. Le 19 mai, la Sentinelle Rouge, mont Blanc face est.

Vous avez bien lu : une trilogie extrême de mont Blanc à ski, plus deux autres descentes en une semaine. Outre l’audace, et la forme phénoménale, Morgan Akhourfi a aussi combiné ski de pente raide et parapente, s’échappant des glaciers du Miage, du Frêney (pour Peuterey) ou de la Brenva par les airs. L’avenir, dit Morgan.

Après un premier mont Blanc par le couloir Saudan, cette semaine de folie avait mal commencé, non ? 

Morgan Akhourfi : dans l’idée d’aller skier cette série d’itinéraires du mont Blanc, j’avais fait un premier repérage en faisant le couloir Saudan le premier mai. C’était un peu plus sec qu’actuellement dans la théorie. Première benne, montée par les Trois Monts, puis descente dans le couloir Saudan, près de l’éperon de la Tournette, en face ouest (italienne) du mont Blanc. L’entrée du couloir était béton armé, voir bleue. Je me suis accroché aux rochers, un peu de désescalade, du ski fort mais il faut être vigilant. J’ai fait des photos, je me suis documenté sur différents bouquins parce que sur internet il y a beaucoup de choses qu’on ne trouve pas. J’avais plein d’idées parce qu’il y a une quantité monstre d’itinéraires majeurs au mont Blanc. C’était l’ordre qui allait être à déterminer. 

Deux jours avant d’aller à l’arête de Peuterey, le 17 mai,  je suis allé au col de la Verte. Ça a vraiment mal démarré avec ce col de la Verte où je me suis fait bousculer, j’ai peu d’explication d’ailleurs parce que je me suis fait prendre par mon propre slush avec un virage et j’ai été désaxé. C’est le jeu. J’ai perdu un bâton et une caméra.

Ce jour-là j’étais vraiment usé, je me sentais vachement fatigué. J’ai appris en même temps, en montagne, la mort de Dédé [ un jeune skieur de Chamonix qui s’est tué en face nord de l’aiguille du Midi, NDLR] donc c’était compliqué. 

La ligne du couloir Saudan, jour de la descente. Elle débute par un fin couloir enchassé juste à droite de l’éperon de la Tournette (à gauche) avant de rejoindre une pente plus large barrée par des rochers en bas ©Morgan Akhourfi / C2C

Dans le haut du couloir Saudan ©Morgan Akhourfi / C2C

Mont Blanc n° 2, l’arête de Peuterey 

Morgan Akhourfi : le lendemain du col de la Verte je me suis reposé et le soir je suis monté dormir aux Cosmiques. Je me suis dit que j’irais bien faire l’arête de Peuterey pour commencer, puis je verrais bien. Avec la voile de speed riding dans le sac pour m’échapper après depuis les environs du col de Peuterey. 

Ce 15 mai, la montée au mont Blanc était compliquée parce que j’ai dû faire un bout de trace, J’étais fatigué, l’acclimatation n’était pas encore parfaite, arrivé en haut j’étais tout seul et il a fallu rentrer dans la ligne. C’était particulièrement compliqué parce qu’il y avait beaucoup de corniches donc beaucoup de recherches et d’aller-retour au sommet du mont Blanc de Courmayeur pour essayer de trouver une faiblesse. Au final, j ai trouvé une solution, je ai skié la ligne, l’arête de Peuterey. C’était assez fou, magnifique, des lignes de fuite folles. 

C’est quand même vraiment un endroit mythique, très classe. Le couloir Eccles était compliqué parce que c’était plutôt sec mais ça passait tout en ski. Il y avait vraiment beaucoup de vent, j’ai voulu poursuivre sur autre chose mais je n’ai pas pu. Donc j’ai décollé vers le sud par le col Eccles et l’arête de Peuterey vers l’aiguille Noire et les Dames Anglaises. Retour express !

Sur l’arête de Peuterey, les lignes de fuite sans fin ©Morgan Akhourfi / C2C

À l’entrée de la zone mixte très délicate de sortie de l’arête de Peuterey, au-dessus du col du même nom, avec l’aiguille Blanche de Peuterey en toile de fond ©Morgan Akhourfi / C2C

Ensuite, détour dans le bassin d’Argentière, toujours aussi énervé ? 

Le lendemain de l’arête de Peuterey, le matin, j’ai skié la face nord de l’aiguille du Plan, très très belle, avec sortie en voile de speed riding sur le sérac puisqu’il n’y a pas d’autre évacuation réellement possible à part le couloir de Blaitière. C’était le matin histoire de faire quelque chose. Ensuite je suis monté au refuge d’Argentière le soir. Sacrée journée. Le lendemain, j’ai fait le col des Droites le puisque le couloir des Autrichiens aux Courtes ne passait pas, j’ai pris un but. Ça c’était le 17 mai. 

La face nord du Plan entre deux mont Blanc

Mont Blanc n°3 : le contrefort central de Miage, l’aventure totale

Le 18 mai au matin, je suis monté avec la première benne de l’aiguille du Midi, je suis arrivé un peu avant midi au sommet, j’ai rencontré Benjamin Védrines au passage et on a fait le Tacul, et le Maudit ensemble. Une fois au sommet j’ai décidé d’aller faire le contrefort central de Miage, versant ouest, du mont Blanc, à droite quand on regarde la face [ à gauche vu d’en haut ]

Ce contrefort central du Miage est un itinéraire qui est vraiment vraiment majeur, sûrement la ligne la plus majeure de la face et même du mont Blanc. C’est vraiment extrême, très technique, des passages en dry ski, ça se déroule sur un éperon rocheux, tu rentres à vue, tu ne vois vraiment rien. L’aventure totale. Et je ne connais pas l’histoire mais visiblement ça a dû être skié une ou deux fois en quelques décennies. C’était vraiment majeur, avec un décollage en bas de la ligne pour s’échapper parce que là-bas les glaciers c’est pareil, de tous les côtés c’est le chaos. Donc j’ai décollé en début d’après-midi et avec la chance je n’ai eu que très peu à marcher ensuite pour rentrer.

Comme je suis rentré vers 14h à Chamonix, je me suis dit que j’allais remonter dormir là-haut et que je verrais si j’avais la motivation, l’énergie parce que la journée s’était tellement bien passée, je voulais tenter la Sentinelle Rouge le lendemain !  

Ce contrefort central dU Miage est sûrement la ligne la plus majeure de la face et même du mont Blanc. C’est vraiment extrême

Sur le contrefort central du Miage ©Morgan Akhourfi / C2C

Contrefort central du Miage, traversée sous l’énorme sérac qui surplombe la moitié droite de la face ©Morgan Akhourfi / C2C

Et tu n’arrêtes pas, tu enquilles un quatrième mont Blanc en pente raide, la Sentinelle Rouge ? 

Oui. Avec cette fois l’idée d’aller skier sur le versant Est, Brenva. Sur toute la montée au mont Blanc c’était vraiment l’enfer, je me suis un peu gelé les doigts. J’ai galéré pour trouver l’entrée de la Sentinelle Rouge parce qu’il y avait tellement de vent, je ne voyais rien. Il  y avait beaucoup beaucoup de transport de neige. L’entrée était bien glacée, ce n’était pas évident à négocier. Au début, je me suis même demandé si j’allais réussir à y rentrer. Le haut était quand même magnifique, un peu comme la veille, avec beaucoup de neige béton, pas évidente. 

La partie supérieure est dissociée de la suite parce qu’il y a une désescalade pour rejoindre le grand couloir principal puis après on est globalement sous les séracs donc il faut aller vite. et il y a de la place et même si la neige était dure c’était plutôt lisse donc il y avait moyen d’aller plutôt vite. Le bas de la ligne, je me suis évacué en speed riding en longeant l’aiguille Blanche, c’était un vol sublime. Je me suis posé dans le Val Veny.

Mont Blanc, versant Brenva. On distingue l’arête de Peuterey, qui part du mont Blanc de Courmayeur. La Sentinelle Rouge fait une diagonale à l’aplomb du sommet du mont Blanc. ©JC

Parmi ces quatre descentes majeures du mont Blanc, quelle était la plus difficile pour toi ? 

Morgan Akhourfi  : Je dirais que le plus dur était le contrefort central du Miage en face ouest du mont Blanc. Vraiment technique. Il y a finalement moins d’engagement à proprement parler qu’à la Sentinelle Rouge où il y a des séracs actifs et que tu es en dessous. Mais le contrefort était vraiment très très raide, technique, tout en neige dure même si ça grippe plutôt bien. Et en lecture d’itinéraire c’était aussi compliqué.

J’ai fait beaucoup de parapente et de speed riding en me disant que ce serait utile. Ça l’a été

Comment t’es tu préparé, à la fois physiquement, techniquement, et pour l’acclimatation ? 

Morgan Akhourfi  : par rapport à la préparation, j’ai changé pas mal de choses. J’ai arrêté de courir dans tous les sens pour rien. je perdais trop d’énergie à trop bouger. Cette saison je me suis concentré principalement sur le massif du Mont-Blanc. J’ai aussi fait une saison d’hiver dense mais je me suis beaucoup moins éparpillé en pente raide parce que c’était une mauvaise année niveau conditions météo, du moins pour moi.

J’ai beaucoup volé, en parapente, et aussi fait beaucoup de speed riding [ les voiles sont différentes, NDLR] , je me suis dit que ça pouvait vraiment m’être utile pour le printemps et c’était le cas pour ces évacuations et ces connexions. 

J’ai beaucoup plus d’énergie et en terme d’acclimatation, je trouve qu’il faut quand même toujours du temps. En dessous et au-dessus de 4300 mètres, pour moi ça change, c’est vraiment un autre sport. il m’a fallu quand même quelques mont blancs pour être vraiment en forme ! Une fois acclimaté, j’arrive quand même en meilleur état dans les lignes. Surtout qu’il faut quand même de l’énergie quand on est dans ces descentes, en pleine tempête, en plein vent, à désescalader… et la concentration prend beaucoup d’énergie aussi, évidemment.

Le col de la Verte le jour de la descente ©Morgan Akhourfi

La clé des descentes versant italien du mont Blanc : une voile pour franchir les glaciers trop crevassés sous les lignes. ©Morgan Akhourfi

Comment gères-tu la prise de risque, et le solo ?

Morgan Arkhourfi : par rapport à ces notions de risque et d’engagement, oui, je suis quand même à un pourcentage extrêmement élevé seul en montagne. Il y a plein de choses que je ne pouvais pas faire jusqu’à maintenant, comme je ne volais pas avant cet automne. C’était très limitant. Et maintenant le fait que je sois seul et que je vole me permet de faire quasiment tout et de m’évacuer de ces lignes avec la voile de speed riding. C’est un peu l’avenir de la pratique très concrètement.

Skier ces lignes et sortir des glaciers en volant, c’est l’avenir 

Côté solo, je trouve que le fait d’être seul dans ces lignes est bénéfique parce que je gagne du temps. Je peux skier à la vitesse que je veux, forcément je vais beaucoup plus vite que si j’étais avec une ou deux autres personnes. D’un côté, on peut presque dire que ça réduit potentiellement l’engagement. La voile réduit aussi ce risque en sortie de ligne. De toute façon, dans ces glaciers-là, tu ne peux pas t’échapper autrement, même à plusieurs, ça peut être très compliqué. 

Notes

Arête de Peuterey : première à skis par Anselme Baud et Yannick Vallençant en mai 1977

Sentinelle Rouge : première à skis par Jacky Bessat en 1977, après dépose en hélicoptère (et rappels).

Contrefort central du Miage : première à skis par Pierre Tardivel, juillet 1993. Le topo Neige Glace et Mixte de François Damilano précise que la première ascension date de 1893, mais que la première descente a été faite à pied par la cordée de Thomas Brown après la seconde ascension de la voie Major versant Brenva, en 1933. François Damilano et un compagnon avaient eux gravi le sérac du bas entre l’éperon central et l’éperon de droite en 1996.