fbpx
©Ulysse LEFEBVRE

Ski de rando et impact environnemental : suivez les guides !

Des aiguilles Rouges à la mer de Glace

Ouvrir les yeux lorsque l’on skie se résume souvent à anticiper le prochain changement de neige. Pourtant, tout autour de nous, nombreux sont les indices d’une autre activité : celle de la faune et de la flore bien sûr, que l’on a rarement l’occasion d’observer si l’on n’est pas attentif, mais aussi des mouvements plus lents de la montagne elle même, et l’évolution de ses glaciers et rochers, tous témoins du réchauffement climatique. Jon, guide de haute montagne, ambassadeur Patagonia, et Irène, co-directrice du CREA, accompagnatrice en moyenne montagne et spécialiste de la faune et la flore de montagne, tous deux basés à Chamonix, mettent un point d’honneur à ouvrir les yeux de leurs clients et compagnons de cordée sur cet environnement fragile. Retour sur un week-end de ski éveillé, des Aiguilles Rouges à la Combe Maudite.

C’est peut-être une mode mais tenter de la suivre reste une gageure : skier clean, entendez par là « parcourir la montagne en ayant le moins d’impact possible ». Alors certes tous les participants à ce week-end de ski ne se sont pas rendus à Chamonix à vélo. Mais ce matin, à l’arrêt de bus, tout le monde a la sensation de découvrir quelque chose d’un peu nouveau, en se rendant au départ de Flégère en transport en commun. Petit début ? Début quand même. Et quand Jon Bracey, le guide, arrive à vélo, skis sur le dos, on se dit qu’on est dans le vrai ! 

Jon, à vélo et à ski. ©Ulysse Lefebvre

Dans le bus pour Chamonix. ©UL

ils ont la chance d’être accompagnés
par deux spécialistes dans leur domaine :
Jon guide de haute montagne
Irène, spécialiste de la faune et la flore

Avec son sourire permanent et son accent british à couper à l’Opinel, Jon est l’un des guides anglais le plus chamoniard de la place. On l’a vu dans des voies d’alpinisme très dures et engagées. Mais aujourd’hui, l’objectif c’est du ski plaisir, et au soleil s’il vous plait ! Snowleader, avec Patagonia, a organisé un weekend à la Mecque de l’alpinisme et du ski pour quelques clients motivés et rigoureusement sélectionnés. Et pour que la pratique sportive prenne tout son sens, ils ont la chance d’être accompagnés par deux spécialistes dans leur domaine : Jon, guide de haute montagne, ambassadeur Patagonia, et Irène, co-directrice du CREA, accompagnatrice en moyenne montagne et spécialiste de la faune et la flore de montagne.

La boucle classique Bérard-Crochues dans les Aiguilles Rouges semble aussi être le lieu parfait pour observer les traces de vie alentours. Que ce soit la faune ou la flore, les skieurs que nous sommes ne sont pas les seuls êtres vivants dans la montagne hivernale, même si elle nous parait souvent déserte. 

Briefing sur la faune de la réserve naturelle des Aiguilles Rouges par Irène Alvarez, du CREA Mont-Blanc. ©Jocelyn Chavy

De la science, du ski, du smile ! ©UL

Bérard-Crochues : skier au coeur d’une réserve naturelle

Au col de l’Index, on retrouve Irène, jumelles (presque toujours) en mains. Depuis de nombreuses années, elle observe, analyse, recense et étudie tout ce qui vit en montagne. Elle co-dirige le CREA qui est devenu l’organisme de référence en termes de connaissances environnementales en montagne. 

Devant notre envie intenable d’en découdre avec la neige, elle calme nos ardeurs et remet gentiment quelques pendules à l’heure : « L’idée c’est que la montagne ne soit pas juste un décor, de voir ce qui se passe autour et ce qu’implique notre pratique du ski de rando pour tous les être vivants du massif . » Ce qui ne l’empêche pas d’être la première à dégainer les peaux de phoques pour attaquer la montée vers le col des Aiguilles Crochues (2704m). 

Là, le paysage s’ouvre sur LE panorama hors-norme : le massif du Mont-Blanc se déroule devant nos yeux, du Chardonnet au point culminant à 4808m, en passant par la Verte, les Drus et même les grandes Jorasses tout au fond du bassin de Leschaux. 

Dans la montée vers le col des Crochues, le mont Blanc en toile de fond. ©Jocelyn Chavy

Aiguille du Chardonnet et d’Argentière. ©UL

L’aiguille Verte et les Drus. ©UL

Les Grandes Jorasses. ©UL

Il est plus facile d’observer ces sommets que la vie qui nous entoure. Pourtant, elle est bien là comme nous le rappelle Irène : « Notre principal impact, c’est le dérangement de la faune en hiver. Quand on part en hors piste ou en rando, il faut être attentif. C’est particulièrement vrai en limite de la forêt, où beaucoup d’animaux se concentrent. » Il est vrai qu’a une certaine altitude, on observe surtout des traces discrètes de passage : crottes de chamois, bouquetin discret au loin dans les rochers… Une discrétion qui nous ferait presque oublier leur présence. « C’est un vrai apprentissage que d’observer. Et ensuite, prendre plaisir à observer. Ce plaisir, il est évident chez Irène qui sort ses jumelles très souvent. Elle peut même vous donner le pédigrée des chocards à bec jaune que l’on croise, grâce aux bagues de couleurs qu’ils ont au pattes. « On bague les chocards depuis 30 ans avec un code unique à quatre couleurs. Comme ça, après avoir repéré les quatre couleurs aux jumelles, on peut retrouver l’oiseau très précisément dans notre base de donnée. » Ou comment faire connaissance à distance avec les oiseaux qui nous entourent. Et voir d’un oeil nouveau ces chocards à bec jaune qui aiment virevolter aux col des Crochues ou de Bérard, attentifs aux miettes de nos sandwichs. 

L’essor des sciences participatives

L’attention et la participation, on peut aussi l’avoir de retour à la maison et devenir acteur de l’observation de la faune grâce au programme Wild Mont Blanc comme l’explique Irène : « Chacun peut s’investir en nous aidant à identifier les animaux photographiés par nos 50 caméras automatiques disséminés dans le massif. Chacun peut s’inscrire et proposer ensuite le nom de l’animal qu’il observe sur l’une des photos du million mises en ligne. » Ce programme de sciences participatives et une manière utile d’observer la faune à distance et d’aider le CREA à recenser les populations d’espèces.

La science participative, c’est le mode d’engagement qui monte en ce moment, où scientifiques et grand public travaillent main dans la main. Parmi les programmes existants en montagne, on peut citer CIMaE, un programme d’étude de l’évolution des zones humides d’altitude, comme il en existe justement dans les Aiguilles Rouges, porté par France Nature Environnement.

 

Au col des Aiguilles Crochues. ©JC

Ou comment le changement climatique perturbe
des processus d’adaptation
qui se sont mis en place durant des millénaires

Arrivée au col des Aiguilles Crochues. ©UL

La traversée vers le col de Bérard. ©UL

On parle chocard et lièvre variable au col de Bérard, sans oublier d’enlever les peaux ! ©JC

Jon Bracey guide les participants, avec les Fiz en arrière-plan, dans la traversée vers le col des Crochues. ©UL

Ne pas déranger

« Mais il est de quelle couleur en ce moment le lièvre variable ? » demande Romain, skieur enthousiaste participant au week-end, et perdu dans sa recherche sur Google image qui lui affiche l’animal tantôt brun, tantôt blanc. « Un autre enjeu actuel, c’est la baisse de l’enneigement et donc le décalage de couleur des espèces, comme le lièvre variable qui se retrouve avec son pelage blanc sur fond de rocher et d’herbe apparente » explique Irène. Ou comment le changement climatique perturbe des processus d’adaptation qui se sont mis en place durant des millénaires… 

Derrière le col, on attaque la longue descente du combe de Bérard, coeur de la réserve naturelle des Aiguilles Rouges, dans une neige disons, très 2023. Mais qu’importe, le seul plaisir du ski est augmenté de la satisfaction d’avoir découvert un peu plus que la simple pratique sportive.

Extrait du secteur des Aiguilles Rouges, sur la carte Biodiv.

De retour dans le vallon de Bérard, Irène rappelle combien la règle numéro 1, la plus simple, reste de ne pas déranger : « La plupart du temps, on peut penser à skier dans la même trace en zone de forêt. On peut aussi repérer les zones en entonnoir, où l’on sait que skieurs comme animaux sont contraints de passer au même endroit, et donc de se côtoyer. A une plus grande échelle, on peut aussi vérifier à l’avance si notre itinéraire est concerné par une zone protégée« . Et en retour, chacun pourra contribuer au dispositif en notant d’éventuelles rencontres, donnant ainsi tout son sens à ce projet collectif.

Pour ça, on ne peut que recommander de jeter un oeil au dispositif Biodiv, porté par la Ligue protectrice des oiseaux (LPO). Cet outil participatif recense les zone protégées mais aussi les lieux d’observaiton de présence de la faune ou la flore sauvage, sensibles au dérangement.

Jon trouve quelques mètres carrés de neige vierge dans la descente du vallon de Bérard. ©UL

La Combe Maudite

Le lendemain, on passe de l’autre côté de la vallée, au coeur du massif du Mont-Blanc. Direction la Vallée Blanche : plus de vingt kilomètres de descente à ski, entourés de sommets grandioses et de glaciers impressionnants. Mais Jon ne veut pas s’en tenir à la descente et nous fait sortir les peaux pour un beau détour : « On va monter vers la Combe Maudite. C’est un endroit assez sauvage, à l’écart de la vallée Blanche classique. »

En remontant vers la Combe Maudite. ©JC

L’urgence climatique

Plus qu’un détour, on entre dans une autre dimension : les tours de granite orange se dressent tout autour. Bienvenue au paradis de l’escalade en haute montagne et de l’alpinisme mixte dans les couloirs cachés. Grand Capucin, pointe Adolphe Rey, Trident du Tacul… C’est un paysage hors du commun qui semble figé depuis des millénaires.

Pourtant, il n’en est rien. La montagne bouge, s’érode, et ce processus s’accélère avec le réchauffement climatique : « Avec la disparition du permafrost, le rocher est moins tenu en place. Les chutes de pierres et les effondrements plus massifs sont de plus en plus réguliers ». Comme dans le bas du Trident du Tacul (3639m), où une partie de l’historique voie Lépiney a fini sur le glacier en septembre 2018. « J’étais dans la voie une semaine avant ! » confie Jon, avec un sourire un peu crispé cette fois…

on connait le rôle du colibri
dans l’extinction de l’incendie

Difficile pour tout un chacun de ne pas se sentir tout petit dans cette évolution géomorphologique dont l’échelle de temps long (des millions d’années) se retrouve aujourd’hui percutée de plein fouet par le temps court de mouvements de terrain de plus en plus fréquents. Une forme d’urgence climatique en somme. Pourtant, on connait le rôle du colibri dans l’extinction de l’incendie. « D’un côté, chacun s’adapte en tant que guide, explique Jon qui est aux premières loges des changements, avec des saisons de cascade de glace plus courtes, des saisons d’alpinisme classique que l’on décale au printemps. Mais de l’autre, on sait aussi qu’il y a urgence à agir collectivement.« 

Comment ? Thibault rappelle combien « l’impact principal de nos activités, ce sont les transports« . Comment on se rend au point de départ d’une sortie en montagne ? Comment on diminue les émissions de gaz à effet de serre (train, vélo) ou comment on les mutualise (covoiturage) ? On repense tous à Jon venu à vélo ce matin et on refait le film de nos échanges pour venir à Chamonix en train… avant d’abandonner par K.O. face à l’inefficacité de la ligne Annecy-Chamonix. Les transports en commun vers la montagne, un axe de développement fort à l’échelle de la collectivité ! Thibault témoigne de l’implication forte de l’association Protect our winters (POW) sur cette thématique du train. A ce sujet, la Suisse est souvent prise en exemple pour ses lignes nombreuses qui vont loin dans les vallées alpines. Reste à prendre la parole pour faire bouger les lignes politiquement parlant.

Briefing de Jon sur les règles de sécurité à ski sur glacier. ©JC

À l’est, la Dent du Géant. ©JC

À l’ouest, le mont Blanc. ©UL

Saurez-vous repérer le morceau de montagne détaché ?  ©UL

Au-delà des conséquences pour les grimpeurs, c’est tout un écosystème qui est impacté. Il n’y a qu’a voir le niveau de la Mer de Glace qui descend d’années en années, et ces marches qui se rajoutent pour remonter à la gare d’arrivée du train du Montenvers. Un glacier qui fond, ce n’est pas qu’un paysage qui change. Ce sont aussi des débits hydrographiques et des réserves d’eau qui se modifient plus bas en vallée. Ces changements sont profonds, l’impact humain avéré même si tout le monde ne s’accorde pas sur les temporalités.

De nouveaux escaliers sont ajoutés pour rattraper le niveau de la mer de Glace qui baisse chaque année. ©UL

©UL

©UL

Irène met tout le monde d’accord : « Ce qui est très important, c’est au moins d’avoir conscience de son impact. » Thibault, l’un des participants résume : « C’est notre manière de pratiquer le sport qui est à revoir. Il faut qu’on arrive à ne plus rechercher uniquement la performance mais aussi tout le voyage qui va avec, et prendre notre temps ». Et considérer une sortie en montagne comme autre chose qu’une consommation quotidienne, autre chose qu’une activité du jour, avant autre chose le lendemain. La faune et les sommets nous le rappellent, au-travers des mots d’Irène et Jon qui passent beaucoup de temps en montagne. Prendre son temps pour changer les choses sans plus tarder  : serait-ce la première étape vers un changement ?  

À l’arrivée du transport en commun le plus connu du coin : le train du Montenvers. ©UL

Les Drus et tout le pan éboulé en 2005 (partie grise bien visible). ©UL

CREA Mont-Blanc

Fondation Snowleader 

Patagonia Action Works