Si vous arrivez à Grenoble depuis le nord, il est immanquable. Massif à lui tout seul, ou presque, le Taillefer est un géant. Sa géographie est complexe, sa forme convexe est trompeuse : son plateau sommital s’entoure de versant raides, entre lesquelles se glisse une voie normale non dénuée de passages formateurs. Ses arêtes alpines, ses vastes flancs de toutes les orientations en font un temple du ski de randonnée en Isère. Les combes du Taillefer offrent un éventail de ski et de possibilités du plus classique au plus sauvage. Un Taillefer qui se déguste de décembre à mai.
J‘ai longtemps regardé le Taillefer de loin. Un profil de baleine qui donne l’impression d’une voie normale d’une platitude sans fin, un versant nord trop raide, me disais-je. Un jour, poussé par la curiosité, j’ai su que je me trompais. Sur toute la ligne. Et j’ai su que je reviendrais, année après année, essayant d’autres itinéraires, skier cette magnifique et grande montagne, qui n’a rien à envier à d’autres grands sommets du ski de rando.
Un grand mammifère, ça s’apprivoise. Alors commencez par son profil le plus amène. L’aimable crête de Brouffier, au départ de la Morte et de la station de l’Alpe du Grand Serre. Naviguer en forêt, ça s’apprend. D’autant mieux, même ou avec plein de traces, que la forêt s’estompe petit à petit pour laisser la place à un grand entonnoir, en général peu avalancheux (mais restez prudent), qui vous laisse les skis sur le plat et la tête aux soleil, avec le sommet du Taillefer en ligne de mire, l’affaire d’une heure …pensez-vous. Bienvenue à Brouffier, bonheur du skieur hédoniste. Pour le skieur du Taillefer que vous êtes, il reste le plus gros, et ne vendez pas la peau de la baleine.
Un grand mammifère, ça s’apprivoise.
Si vous êtes pressé, et les conditions bonnes, on peut gravir directement le triangle de la Croix du Sergent Pinelli : par la facette ouest ou le couloir nord, un peu caché. Sinon, la voie normale passe par le fameux Pas de la Mine – oui, il y avait des mines, et des mineurs, de l’autre côté. Longue traversée exposée au risque d’avalanche, puis le Pas lui-même : court 45° à pied. De là gagnez rapidement le sommet de la Croix du Sergent Pinelli. La course y prend tout son sens, sa saveur et son ampleur.
L’arête est délicieusement aérienne jusqu’aux abords du Petit Taillefer, où l’on quitte cette ambiance très alpine pour la dernière pente qui mène à St-Éloi, patron des forgerons. Cent dix kilos de fer montés au Taillefer par les militaires de Varces. Repos !
À la descente, soyez malin. Suivez le tracé bleu « skieur » sur IGN par le lac (invisible) de l’Emay. Au mieux, vous ferez quelques mètres en escalier, mais l’expérience me pousse à remettre les peaux pour remonter au Pas de la Mine. Une fois à celui-ci, prêt à basculer sur la très paisible Brouffier, il doit vous rester le sentiment d’avoir croisé moult autres possibilités.
Combe nord-est, le Taillefer au début de l’hiver. © JC
Impossible de tout décrire ici. Mais on vous donne des pistes. Avant d’atteindre le sommet, au col du Grand Van, s’ouvre la belle combe nord-est. On peut la descendre sous le rocher Culasson, puis remonter au Taillefer par la branche de droite de la combe, par le collu coté 2619 m., puis au sommet par l’arête est. L’inverse est à conseiller également, même si le vent ne laisse souvent guère de poudreuse sous le col 2619 m. Les curieux peuvent descendre la combe nord-est jusqu’au lac Fourchu, et de là au Poursollet. C’est magnifique si vous êtes parti de là. Sinon, il faut aimer le ski de fond pour revenir jusqu’au parking de Plansonnet ou du Pré des Dames, versant ouest, à cinq ou six kilomètres de là. On a testé, faut pas mourir idiot. Mais de soif, c’eût été bête. Pour la combe nord-est du Taillefer, l’idéal est de partir de la Grenonière, près d’Ornon, versant est.
La plus belle descente du Taillefer ? C’est peut-être celle-là : la combe de l’Emay.
La plus belle descente du Taillefer ? C’est peut-être celle-là : la combe de l’Emay. Sous le sommet, cette large combe s’ouvre entre deux arêtes, celle de la Croix Pinelli, et celle de la Dréveta. Peu à peu la combe plonge vers la vallée de Vaunoire, l’ambiance est grandiose. Et l’arrivée 1700 mètres plus bas. Un peu de marche et un coup d’auto-stop permettent d’éviter l’aller-retour et de faire cette splendide boucle. Comme doit l’être sa voisine plus à l’est, la plus raide et complexe combe des Ramays, autre morceau de ski sauvage made in Isère.
Pour ceux qui préfèrent les descentes qu’ils voient avant, rien de plus simple. Rendez-vous au Poursollet en avril. Ou avant, avec jumelles depuis Chamrousse. De la Croix du Sergent Pinelli, un premier petit couloir nord, rapide mais raide, ramène au grand plat près du lac de la Courbe. De là, tirer à droite, la pente nord livre l’accès au skieur qui apprivoise ce versant. Commencez par une pente ouverte et tirez peu à peu à gauche pour se rapprocher des rochers rive gauche (40° sur 300m) d’où l’on s’échappe de préférence en traversant à droite vers 2000 m. Austère à la montée depuis le Poursollet, certains font cette face nord de la Croix Pinelli à vue, en boucle. Reste le plaisir de skier dans ce grand versant majestueux.
Prenez la carte, et le Topo-Neige Arves Rousses Taillefer. Vous verrez que vous n’avez pas fini de courir après la baleine blanche.
Sommet : Taillefer, 2857 m.
Dénivelé : 1400 m environ
Horaire moyen : 6h
Point départ : parking sur la route du Poursollet (la Morte, Alpe du Grand-Serre), déneigée jusqu’à 1450 m, ou plus haut, pylône de Plansonnet, barrière.
Itinéraire : suivre la route puis remonter le long du ruisseau des Fontenettes. Sortir de la forêt et remonter la côte des Sallières pour remonter la crête de Brouffier jusque vers le point 2434 m. De là, traverser à flanc plein sud pour atteindre le Pas de la Mine, court passage raide plus simple en crampons. Passage très exposé aux plaques à vent. De là, deux possibilités : descendre pour rejoindre le haut de la combe de l’Emay que l’on remonte ensuite. Ou, plus classique, et beaucoup plus beau, suivre les arêtes de la Croix Pinelli, à pied ou à skis, pour gagner le haut de ladite combe. Ensuite, une dernière pente conduit aux abords du plateau sommital. Cotation ski : 3.2
Descente dans la combe de l’Emay. ©JC
Variantes et itinéraires par ordre de difficulté
Vallon de Guiliman : en aller-retour ou plus rapide, et sympa, en boucle. Montée par Brouffier, idem voie normale pour l’aller-retour au Taillefer. Sous le Pas de la Mine à la descente, skiez en direction de la cabane de Brouffier, poursuivez dans le vallon de Guiliman, d’où l’on s’échappe main droite au point 1608 m.
Taillefer en boucle par la combe NE : comme expliqué plus haut. Soit depuis la Morte et le Poursollet, environ 1600 m. de dénivelé mais plus facile que la voie normale car on ne passe pas par le Pas de la Mine. Cotation 3.1; Soit depuis la Grenonière (Ornon), très beau, plus court, départ très matinal (versant Est).
Variante de la Pyramide d’Ornon : du sommet du Taillefer, skier la pente est (étroite au début) jusqu’au point 2619 m. Remonter les 220 m de D+ pour atteindre la Pyramide et ses belles crêtes, 2839 m. Pourquoi la Pyramide ? Parce que personne n’y va. Pour le retour, viser un point sur l’arête sud du Taillefer.
Taillefer en boucle par la combe de l’Emay : montée par le Pas de la Mine, descente par la combe de l’Emay.. retour à prévoir. Cotation 3.2. En aller-retour, 1750 m. de D+.
Conseils : pour tous les itinéraires passant par le pas de la Mine, prenez couteaux et crampons
À gauche, la combe nord-est, entre Rochères-Pyramide à gauche et le sommet du Taillefer à droite. Bien visible juste à droite du pin qui émerge, la face nord dite de la Croix Pinelli. ©JC
Taillefer versant nord de la Croix Pinelli et face nord : depuis le Poursollet en AR, ou à vue avec remontée au Plansonnet. On peut ajouter ou non le petit couloir sous la Croix du Sergent Pinelli (45°, 100m, 4.2). La face nord classique se déroule sous le point 2459 m. sur IGN. Cotation ski 4.1 (40° sur 300 m). d’autres itinéraires d’ampleur (et difficulté) dans ce versant sont répertoriés dans le Topo Neige Arves Grandes Rousses Taillefer (ex-Ouest Dauphiné), éd. Volopress.
On terminera ce tour d’horizon en mentionnant ce temple du ski de pente raide proche faisant partie du massif du Taillefer, la face nord-ouest des Rochères.
Plus d’infos sur le ski de rando en Isère
N’oubliez pas de prendre la météo, et le bulletin d’estimation des risques d’avalanches, et le tryptique DVA-pelle-sonde.