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Le guide et la compétitrice : cascade de glace partagée avec Marion Thomas et Mathieu Détrie

L’un est guide de haute montagne, professeur à l’ENSA, formateur de l’équipe GEAN de la FFCAM, auteur de premières ascensions engagées en Himalaya et en Alaska. L’autre est une compétitrice en glace dont le palmarès s’étoffe chaque année de titres européens et mondiaux : elle vient juste de remporter un doublé en argent à la Coupe du Monde de Saas Fee. Mathieu Détrie et Marion Salmon-Thomas partagent plus que l’élément – la glace, mais une passion commune pour la grimpe. Rendez-vous est pris à la Mecque de la cascade, à savoir l’Argentière-la-Bessée.

L’Argentière-la-Bessée, ses petits bars, son ambiance d’ancienne cité minière : c’est un Far West des Hautes-Alpes mais surtout la porte d’entrée des deux Babylones de la cascade : le vallon du Fournel et la vallée de Freissinières. En ce matin d’hiver, le local de l’étape a déjà sa petite idée sur la destination du jour.  

Quatre virages serrés plus tard, c’est dans le Fournel que nous nous dirigeons, avec l’objectif de voir les conditions avant de prendre une décision. En février, il s’agit de confirmer que les températures plus douces et l’ensoleillement plus important ne mettent pas en péril les structures. Ce jour, la cascade que vise Matthieu est Hiroshima, à l’entrée du Fournel, non loin d’anciennes mines d’argent – et qui a le bon goût d’être visible depuis la route. Hélas, les automnes secs se succèdent et le mur vertical de la seconde longueur se transforme en draperie plus ou moins épaisse, et cette fois-ci, en un cigare plutôt aérien, et plutôt fin. 

Premier coup d’oeil sur la cascade du jour pour Marion Thomas et Mathieu Détrie. ©Ulysse Lefebvre

Mat Détrie, qui passe une bonne partie de ses semaines d’hiver
avec ses piolets, jauge la cascade d’un oeil

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En arrivant au pied d’Hiroshima. ©UL

Du côté de Marion, aucun souci pour tenir les piolets, les avant-bras et les épaules sont rodés aux dévers des structures artificielles comme la tour de glace de Champagny. Mais ici, c’est de glace “naturelle” dont il s’agit. Mat Détrie, qui passe une bonne partie de ses semaines d’hiver avec ses piolets, jauge d’un oeil : “il faut aller voir au pied pour savoir si ça passe.” Sous-entendu : grimper la première longueur, et du relais, prendre la décision de continuer ou de descendre.

La marche d’approche est vite avalée : quelques dizaines de minutes à flanc, puis dans la pente sous la cascade. La première longueur est en degré 4. Précision cotations : savez-vous que le grade est en principe celui d’engagement, en chiffres romains, et le degré technique, en chiffres arabes, celui de la difficulté pure ? Le glissement sémantique transforme le grade en degré, ce qui a à la fois le don d’oblitérer les dangers objectifs (couloir d’avalanche, sérac) menaçant l’itinéraire, ou carrément d’oublier sa longueur ou la difficulté de la retraite. Bref tout ce qui est caractérisé par le chiffre romain dans la cotation à double entrée, comme Hiroshima , cotation III/5. 

En arrivant au pied du cigare d’Hiroshima, relais humide. ©UL

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Ceci posé, sur Hiroshima c’est la deuxième longueur qui fait parler. “Il fallait quand même une sacré dose d’audace pour se lancer là-dedans en 1981”, dit Mat Détrie, qui se souvient que les ouvreurs et leurs piolets aux manches droits n’étaient autres que Gérard Pailheret et Jacques Perrier. Le premier n’est autre que le regretté fondateur de l’ICE, décédé en 2010. Le second, dit Pschitt, est une figure de l’escalade libre, du Verdon époque bandeau dans les cheveux. Le pantalon blanc et l’escalade comme acte de création, en témoigne le chef d’œuvre qu’il dessinera depuis le haut des gorges, Pichenibule. Le sourire qui fend la bouille en permanence, Gérard Pailheret tchatche avec l’accent chantant du Sud. Guide, il va écumer les cascades du Fournel avant d’inventer le premier rassemblement de glaciairistes de l’Argentiere la Bessée en 1990, qui deviendra l’ICE bien plus tard. 

Quant à Hiroshima, elle demeure une valeur sûre, régulièrement en conditions malgré les sautes d’humeur du climat.

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Mathieu Detrie va « tester » la structure, avec toute l’expérience et surtout l’agilité requises. ©UL

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Faut-il encore savoir grimper relâché à défaut d’être décontracté

Au pied du cigare, les rôles sont distribués. Mathieu Detrie va aller « tester » la structure, avec toute l’expérience et surtout l’agilité requises. Il ne s’agit pas de taper comme un sourd, mais de profiter du confort des piolets modernes pour crocheter un maximum. En l’occurrence les nouveaux Mamba de Simond, les piolets de Mathieu, qui est équipé depuis des années par la marque haut-savoyarde. Mat aime particulièrement les crampons mono-pointe Monoceros qu’il trouve super efficaces.

Les Mamba, quant à eux, sont dotés d’une poignée confortable et bien décalée de l’axe du piolet, ce qui permet une fatigue moindre des muscles des avant-bras et des mains. Faut-il encore savoir grimper relâché à défaut d’être décontracté : ça tombe bien, il vaut mieux grimper finement que de faire le bûcheron. La base du cigare est fine, et la glace plutôt aérée : c’est donc bien en douceur qu’il faut grimper.

Mathieu Détrie, un félin sur la glace. ©UL

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Mathieu Détrie. ©Jocelyn Chavy

Il est encore tôt et l’envie est trop forte pour Marion
qui redescend refaire la longueur, en tête cette fois.

Pour Marion, c’est l’un des premiers contacts avec la glace naturelle cet hiver-là : elle passe son temps à s’entraîner plutôt à l’intérieur… et à grimper. Mat Detrie s’élève doucement, mais sûrement, en effectuant un mouvement de rotation autour du cigare, depuis la grotte de départ. En glace, traverser ou grimper en diagonale, ce que permettent très bien les piolets modernes sans dragonnes, est un atout. Changer de main sur un piolet, avec ou sans l’autre piolet sur l’épaule est un jeu d’enfant pour Mat, qui arrive au relais, et pour Marion qui s’élance.

Après avoir pris ses marques en second, Marion enchaîne la longueur en tête. ©UL

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Elle qui a l’habitude de prendre le manche du piolet entre les dents savoure le moment, et reprend tranquillement ses appuis dans ce milieu si spécifique de la cascade de glace. Il est encore tôt et l’envie est trop forte pour Marion, qui redescend pour refaire la longueur, en tête cette fois. Des sourires, de la belle gestuelle : tout est réuni pour une belle journée de cascade, où la qualité et le design des piolets actuels font beaucoup pour apprécier la glace. Une activité où l’expérience, l’apprentissage restent essentielles pour évoluer en tête en sécurité.

©Jocelyn Chavy

4 questions à Mat Détrie

Quels conseils tu donnes aux débutants débrouillés qui démarrent en tête ?

MD : Avant de grimper en tête, la cascade est une activité qu’il faut beaucoup faire en second. Y passer du temps pour prendre de l’aisance, puis passer en tête. On a tendance à démarrer dans du 3, mais ce n’est pas forcément une bonne idée, car tomber dans du 3 est dangereux. Je dirais aux gens de faire plus court et plus dur, plus sculpté, avec quelques broches placées avant. Les structures artificielles aident à grimper dans le raide. Il faut mettre des moulinettes, une ou deux broches avant de grimper en tête et d’en rajouter. Mettre des broches aux points-clés.

Quels conseils tu donnes aux grimpeurs expérimentés pour juger / jauger de la faisabilité d’une cascade ?

MD : Il y a l’historique de la cascade et des températures. Il faut prendre des infos. Quand on va vers le chaud, ça m’inquiète moins que vers le froid. La couleur bleu est mieux que le blanc – et le fait qu’une cascade soit alimentée au-dessus est un bon signe. Il ne faut pas de douche, et si la glace devient sèche ce n’est pas bon non plus. Si c’est de la vitre, c’est à éviter ! 

Une forme de structure pyramidale à l’envers est défavorable. Il faut aussi se méfier des grands refroidissements, des études ont été faites et c’est arrivé au Fournel cette année, avec un gros coup de froid. En février, les écarts de température entre le jour et la nuit sont aussi des sujets de préoccupation.

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Connais tu le parcours de Marion Thomas / ou la compétition de glace / qu’en penses-tu ?

MD : Je connaissais Marion du team Simond. La compet ne m’attire pas plus que cela. Il y a plein de bonnes choses à prendre dans la pratique, même si je trouve que c’est très déconnecté de la cascade. C’est autre chose, tout simplement ! Les structures artificielles de glace, c’est génial, ça permet de démocratiser un peu l’activité. On solutionne l’accès, la nivologie, on se concentre sur la matière, la glace, la gestuelle qui va avec. Les conditions n’étaient pas évidentes. C’est beaucoup de feeling, mais cela reste de l’engagement. Ce n’est pas de la falaise, ni même des voies. 

Que penses tu des nouveaux piolets Mamba ? Sont ils adaptés pour tout le monde ? As tu des conseils d’utilisation ?

MD : Un super piolet. En tant que conseiller technique, j’ai bossé avec un ingénieur qui nous fait des propositions et on a eu un échange hyper intéressant. Au final, je suis hyper content de ce piolet. Très léger, c’est vraiment agréable de grimper avec. Le Monocéros, c’est un super crampon. Mono-pointe, mais avec une deuxième petite dent. Super stable. Antibotte. L’avenir, c’est la liaison crampon-chaussure.