
Il y a longtemps, dans une falaise du bassin grenoblois, un groupe de jeunes adultes, en formation pour devenir initiateurs fédéraux bénévoles, s’apprête à accueillir des enfants. Ils installent des moulinettes sous l’oeil de deux diplômés d’État, moniteurs pro. Les cordes touchent le sol, mais il n’y a pas plus de quelques mètres de rab. Ce que chacun, moi y compris, a vu. L’un des jeunes encadrants assure son ami, puis le redescend. Pour mieux voir il recule un peu. La corde, trop courte, lui file entre les doigts.
Le grimpeur chute lourdement au sol. Nous faisons le maximum pour le garder conscient jusqu’à l’arrivée des secours. Bilan : deux semaines de coma, et d’angoisses pour sa famille, avant une miraculeuse sortie d’hôpital.
Camille, seize ans, n’a pas eu cette chance. Le 20 avril 2024 elle a fait une chute mortelle à Orpierre, lors d’un stage du CAF de Roanne. Une vingtaine d’ados encadrés par huit adultes. La corde, trop courte, n’avait pas de noeud au bout.
Le 3 juillet dernier, le tribunal correctionnel de Gap a condamné deux encadrants, l’ex-président du club et le responsable escalade, à deux ans de prison avec sursis pour homicide involontaire, et à 20 000 euros d’amende pour le club en tant que personne morale. À cette peine s’ajoute une interdiction définitive d’encadrement sportif pour les condamnés. Une sentence sévère, qui suit les réquisitions du parquet.

Orpierre, mecque de l’escalade.
L’enquête, menée par le PGHM, a montré que la corde utilisée faisait 50 mètres, trop courte pour la moulinette. Personne ne s’en est avisé. Pire : deux cordes de la même couleur, l’une de 50, l’autre de 80 mètres, étaient utilisées. Les adolescentes n’ont pas fait la différence, et personne n’a fait, ou vérifié qu’il y avait un noeud en bout de corde. Ce qui a coûté la vie à Camille : emmenée à l’hôpital en urgence, elle décèdera deux jours plus tard.
Ce qui lui a coûté la vie, c’est une erreur d’inattention que nous avons tous fait, ou laissé faire, un jour ou l’autre. Un noeud mal fait, ou pas fait. Une corde trop courte. Mais la chance, ou le hasard, ne nous l’a pas fait payer.
« Si j’avais su qu’elle allait grimper en autonomie, jamais je ne leur aurais confié ma fille » a déclaré le père de Camille, écrasé de douleur, à BFM. Le club a annulé tout stage cette année. En l’occurence, le Conseil départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative (CDJSVA) de la Loire n’a pas attendu le verdict de la justice pour suspendre quatre des encadrants dès l’année dernière.
Bien plus sévère, et unique, a été la décision de la Préfecture de la Loire, qui a infligé à ces quatre mêmes encadrants une interdiction exceptionnelle de 15 ans d’encadrement sportif. Avant que deux de ces encadrants, condamnés par la justice, soient désormais interdits à vie de tout encadrement, depuis le jugement du 3 juillet.
Encadrer de l’escalade expose les bénévoles et leur club
La prison, fut-elle avec sursis, sert, en principe, deux objectifs premiers : punir un individu parce qu’il a commis une faute. Protéger les victimes, pour éviter la récidive. Et, accessoirement, envoyer un message à la société. Mais quel est le message envoyé à la société dans ce cas précis ? Que les encadrants fautifs ont été punis. Mais aussi : encadrer de l’escalade expose les bénévoles et leur club (FFCAM, FFME, FSGT…), en cas d’accident involontaire, à des condamnations de prison.
Ce n’est pas remettre en question la tenue d’un nécessaire procès que de s’interroger sur la peine de deux ans à laquelle deux encadrants bénévoles ont été condamnés, alors même qu’ils sont interdits de tout encadrement futur, et que leur club est financièrement sanctionné. C’est poser la question de savoir comment faire, collectivement, pour que perdure l’escalade associative et ses milliers de bénévoles. Et sans compter sur la chance pour effacer la négligence.