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La cordée de rêve : quand Patrick Berhault retrouvait Patrick Edlinger

Hommage à Berhault #1

Il dit ne plus fréquenter les festivals, comme s’il était passé à autre chose. Pourtant Gilles Chappaz est venu cette année au Festival international du film et du livre d’aventure (FIFAV) de La Rochelle. C’est qu’à l’occasion de l’anniversaire des 20 ans de la disparition de Patrick Berhault, le FIFAV projetait la « trilogie Berhault » du réalisateur chamoniard : La cordée de rêve, Sur le fil des 4000 et Berhault. Touché par cet hommage, Chappaz a eu bien du mal à cacher son émotion lorsque lui fut remis un prix d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, lui qui était déjà là en 2005, sur la même scène. Retour avec Chappaz sur une trilogie désormais accessible en VOD sur Alpine Mag. Premier épisode : La cordée de rêve. Ou quand le Brun, Berhault, retrouvait le Blond, Edlinger.

On ne te voyait plus dans les festivals et voilà qu’on te retrouve au bord de l’océan, au FIFAV de la Rochelle. Tu as un lien spécial avec ce festival ? 

Gilles Chappaz : Oui, j’étaiss venu pour la première fois en 2005. J’ai trouvé qu’ils avaient apporté quelque chose d’assez frais à l’époque. Ils l’ont maintenu et c’est devenu un beau succès en termes de visiteurs, vraiment. Donc j’étais ici il y a près de 20 ans, pour le film Sur Le fil des 4 000. Il avait eu le Grand prix. Le dernier de la trilogie, Berhault, sera aussi primé par la suite. 

Gilles Chappaz, au Masq Hôtel de La Rochelle. ©Ulysse Lefebvre

Qu’est-ce qui explique que jusque la Rochelle, et déjà à l’époque, les gens aient été touchés par Berhault ?

Gilles Chappaz : C’est lui ! C’est quand même un type qui rayonnait, qui dégageait vraiment un truc. Ça passait en direct comme ça. Il parlait à la caméra, il prenait bien la caméra aussi. Je pense que son discours, qui était généreux, calme, emballé de beaux mots, passait super bien. Les gens découvraient une face cachée si tu veux. Il était de nouveau médiatisé, alors qu’il existait dans le système depuis 20 ans et que Patrick Edlinger avait pris toute la lumière, Catherine Destivelle aussi. Les gens d’ici, Berhault ils ne le connaissaient pas. Et d’un seul coup, ils ont découvert la place qu’il prenait, le discours qu’il tenait, un discours qui était quand même assez solide.

Tu dirais que c’était un discours avant-gardiste, dans le sens où il prônait la simplicité, la discrétion ?

Gilles Chappaz : Avant-gardiste, je ne sais pas. Mais c’est sûr que le discours de Berhault était un peu… Pas en marge, mais disons qu’il faisait un pas de côté.

Gilles Chappaz filme Patrick Berhault pour La cordée de rêve. ©Coll. Chappaz

Il avait un rapport ambigu à la médiatisation ? 

Gilles Chappaz : Disons que le film La cordée de rêve lui a donné une place, sa place. Parce qu’on ne peut pas dire qu’il ne courait pas après la médiatisation. Dans les années 80, il a même été le premier à être un peu médiatisé, avant même Edlinger. Et puis, on lui avait proposé La vie au bout des doigts… qu’il n’a pas fait. Il ne l’a pas fait parce qu’il ne voulait pas faire un solo sur commande.

Il y avait un papier d’Actuel écrit par un type qui s’appelait Eric Blanc. À l’époque, Actuel c’était vraiment la revue underground. Et ils avaient fait un article sur les nouveaux grimpeurs. Jean-Paul Janssen avait découvert cette facette-là de l’escalade, grâce à cet article. Parce qu’à l’époque, c’était encore Desmaison, Seigneur, Jaeger qui faisaient parler d’eux. Ce papier-là expose d’un coup cette « nouvelle » escalade et Janssen a envie de faire un film dessus. Donc, on lui parle Berhault. Mais Berhault lui dit non. Alors il cherche quelqu’un d’autre ? On lui parle d’Edlinger. Mais Edlinger n’était pas connu du tout à l’époque.

on lui avait proposé
La vie au bout des doigts
qu’il n’a pas fait

Tu penses que Berhault a regretté d’avoir décliné son rôle dans La vie au bout des doigts ? 

Gilles Chappaz : Sur le moment, pas du tout, pas une seconde. Et puis après, il trouve un peu son itinéraire personnel. Il y a toute la polémique sur les compétitions d’escalade. Ça avait beaucoup fait parler à l’époque. Il y a le « Manifeste des 19 », qu’ils signent tous. Tu prends la liste aujourd’hui, à part Jean-Pierre Bouvier et Berhault, il n’y a plus grand monde qui ne s’est pas occupé des compétitions d’escalade. Tous y sont venus. Certains comme compétiteurs, d’autres comme ouvreurs, dans le cas de Le Menestrel, d’autres encore comme commentateurs à la télé. Tout le monde a mis le pied dans les compétitions d’escalade. Edlinger presque en premier. Et les filles aussi, comme Patissier, Destivelle… D’un coup, Berhault est marqué comme étant « en marge ». 

Le Massif Central, ça lui allait très bien 
Mais ça ne l’a pas fait vivre

Il en a souffert ? 

Non, non, ça lui allait très bien. Il est retourné dans le Massif Central et il a exploité ce côté là. Il y avait eu un reportage dans un magazine de montagne, réalisé par Pierre Ostian. Ça s’appelait Les voies de l’équilibre. Et c’était un portrait vachement bienveillant. Tu y voyais ce type-là, sur son tracteur, ses cheveux longs en débardeur, ses gros muscles… Il a eu, à cette époque-là, une image qui lui allait très bien. Il était ce ce néo-rural grimpeur qui allait grimper dans des cailloux du Massif Central que personne ne connaissait, qui faisait des trucs vachement difficiles et qui, après, s’exprimera dans la danse escalade.

Ça lui allait très bien. Mais ça ne l’a pas fait vivre. Contrairement à ce qu’il pensait. Donc il devient prof à l’ENSA, pas par contrainte. Mais disons que c’était pas sa tasse de thé. Et là, il revient à la montagne. Il reprend goût à la montagne.

Béghin est un peu
le Berhault de l’alpinisme

Ça marque un tournant dans sa carrière ce retour à la montagne du début des années 90 ? 

Gilles Chappaz : Oui c’est un vrai retour. Il fait de nouvelles rencontres, comme Francis Bibollet ou Louis Audoubert. Et puis à la fin des années 90 il se met à faire des enchaînements. Là aussi, c’est une pratique qui est un peu en marge. À l’époque, y’en a que pour les 8 000. Vraiment, il n’y a que ça. C’est la grosse époque de Loretan et Chamoux qui se tirent la bourre. Messner, c’est la star…

Il y a aussi Béghin et Profit au K2…

Gilles Chappaz : Oui mais Profit ne se met pas dans cette bagarre-là. Béghin est dedans. Béghin est un peu le Berhault de l’alpinisme. Lui aussi, il ne veut pas vraiment de la médiatisation, mais il en a besoin. Il en a besoin pour pouvoir faire d’autres choses. Et puis, parce qu’à un moment donné, il a besoin de reconnaissance. Tous ces mecs-là, ils ont besoin à un moment donné de reconnaissance. Donc, il est un peu dans le même trip. Et puis, il y a des gens comme Lafaille qui font leur vie, qui prennent la lumière. Et je pense que tout ça, ça lui pose question… voire ça l’énerve un peu. Il voit Edlinger qui se fait une vie aux petits oignons. Il fait ses films aux États-Unis, il reste la grande vedette. C’est la référence. Même ses échecs en compétition, ça ne compte pas. C’est là qu’on s’aperçoit que le public n’en a rien à foutre de la compétition. Et donc ça le titille. 

Les deux Patrick au sommet de la Cima Ovest, dans les Dolomites. ©Chappaz

C’est là que vient l’idée de la traversée des Alpes avec différents compagnons de cordée, dont un certain Edlinger…

Gilles Chappaz : Oui, mais quand il fait la traversée des Alpes, il y a un fait de jeu. Jean-Michel Asselin vient avec un journaliste vedette de Paris Match, Georges Renou. Il publie un article centré sur « le retour du Blond ». Alors que tout le projet, c’est le sien, c’est celui de Berhault, c’est lui qui l’a construit, c’est lui qui fait ses guest-stars. Il a sa liste d’invités, un petit bout avec Edlinger, un petit bout avec Magnin, un petit bout avec Gabarrou… Et cet affront, ça l’avait marqué. Si bien que quand ils arrivent au Piz Badile, à la fin de l’itinéraire prévu ensemble, Edlinger y a pris goût et veut continuer. Il a vraiment envie de continuer le voyage avec Berhault, aller à l’Eiger etc. Il reprend goût à tout ça. Alors quand on va le voir dans le petit bled sous le Piz Badile, il ne nous répond pas, il nous jette. Il prend la bagnole et il se casse. Il est furax parce que Berhault lui a dit : « Non, tu ne restes pas ».

À ce moment là, ça fait du bien à Edlinger dans une période où il commence à… 

Gilles Chappaz : … à vaciller. C’est Magnin qui arrive derrière. Edlinger il a fait tout son programme. Mais pour lui, retrouver les deux potes avec qui il faisait le con dans la vallée de Chamonix à la fin des années 70, avec qui il piquait dans les magasins, ça lui fait un bien incroyable. Alors il vit très mal de devoir partir. Ça le secoue un peu. Il a très mal vécu la petite mort du sportif, si tu veux. Vraiment. Il voulait être dans la bagarre, toujours.

Patrick Berhault et sa fille Coralie, à la Bastille de Grenoble. ©Chappaz

Ils ont joué le jeu du film tous les deux ? 

Gilles Chappaz : Oui, même si au départ, l’objectif, ce n’est pas de faire un film. Au début l’idée c’est juste de ramener quelques images, pour un article dans l’Equipe Mag, où je travaille à l’époque. On leur colle une petite caméra (il n’y avait pas de GoPro à l’époque). Et ça marche bien parce qu’Edlinger a envie de faire de l’image, il a le sens de l’image. Berhault, pas trop. Pour Berhault, il faut qu’on parle de lui mais sans qu’il fasse un effort ! Il est au-dessus de ça, ce n’est pas lui qui a décidé alors c’est à nous de nous débrouiller en quelque sorte !

Edlinger, lui ça l’amuse beaucoup 
C’est presque une thérapie

Edlinger l’incite à jouer le jeu. Mais la difficulté, c’est que quand ils sortent la caméra, ils filment pendant une demie heure et puis après, ils la remettent dans les sac. Donc ils ne racontent pas d’histoire, tu vois bien le soucis pour monter un film. Ce ne sont que des flashs, comme ça. Trois conneries par-ci, trois conneries par-là. Mais quand ils tournent, ils tournent vraiment. Sauf que parfois pendant 20 minutes, c’est le même plan !  Après, quand on se retrouve en studio et qu’on enregistre la voix de Berhault, il se met à raconter toute l’histoire. Mais je n’ai pas de plans correspondants ! Je lui dit alors : « T’es gentil, mais c’est pas une émission de radio ! » Il développe notamment toute l’histoire des casemates qui étaient aménagées pour la guerre, etc. Ça le touche beaucoup. Donc, il fait des heures là-dessus. Mais il n’a pas de plan. « T’es  gentil Patrick, vos conneries on les a toutes, mais ça, les casemates, tu ne les as pas filmées ! ». Donc oui, je suis pas très voix off mais il a fallu trouver une astuce pour raconter cette histoire, et notamment avec sa fille. 

Edlinger, lui ça l’amuse beaucoup. C’est presque une thérapie. D’abord parce qu’il voit que c’est son truc, qu’il aime ça, qu’il est bien là. Il est juste bien là, il est bien avec son pote. Il retrouve le même contact qu’ils avaient 20 ans avant et il prend goût à l’histoire, au film, à raconter l’histoire. Puis là, d’un seul coup, Berhault lui dit niet. Mais il est quand même venu à l’arrivée, Edlinger. Il était fâché, mais il était beau joueur. Ensuite on a fait le film de bric et de broc et ça n’a pas trop mal marché.  

> à suivre, l’hommage à Berhault #2 : Sur le fil des 4000, le dernier voyage de Berhault