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BĂȘtes de course

L'Ultra Erudition par Bernd Heinrich #1

Vous aimiez Rabelais et sa gourmandise de savoir : voici l’histoire d’un Ă©rudit recordman. Un enfant de 1940 qui deviendra scientifique mĂ©daillĂ© et ultra-champion US. Bernd Heinrich est Ă©pais ; attraper sa main, c’est dĂ©ambuler dans 70 ans d’histoire. 40 ans d’attente aprĂšs son premier 100Km* : il en fallu 40, pour recevoir enfin cette traduction de J.P Lefieff. Histoires d’un homme, Ă©motif taiseux et chasseur de tout – savoir et performance.

BĂȘtes de Course : Comment le rĂšgne animal m’a appris l’endurance, Bernd Heinrich, Coll. GuĂ©rin, Paulsen, mai 2020, traduit de l’anglais par J.P. Lefieff.

1983, 1984, 1985**. Bernd Heinrich, ce sont 3 dates entre autres : records USA des 24h, du 100Miles, du 100Km en courant. Crosseur junior au cardio de feu, marathonien par hasard mais en 2h25’, mais juste un dĂ©tail : Heinrich Ă©tablit ses scores ultra Ă  partir de 43 ans. Alors si seulement Bernd Heinrich n’était qu’un trotteur.

Mais zoologiste et spĂ©cialiste du comportement animal, il est aussi dĂ©corĂ©*** que vous gardez de t-shirts finishers. Son obsession parmi d’autres ? Continuer Ă  dĂ©couvrir cette endurance animale qui nous enseigne, pauvres joggeurs finissants. La « bĂȘte » et sa perfection biologique, qui n’est qu’émerveillement quasi-philosophique. Attention : nul besoin de guĂ©pard ou de gibier-prestige pour nous professer ; commençons par le vol stationnaire d’un sphinx. Et Prof Heinrich de se faire poĂšte du dĂ©tail, rĂ©vĂ©lateur d’une magie extra-terrestre
et sa vie dĂ©file en arriĂšre-plan. C’est donc possible : on peut publier dans Science et Ă©crire l’histoire de l’ultra

Leçon animale N°1 : cours vite, survis, et tais-toi.

1974 : Bernd Heinrich, prof à Berkeley. Et coureur. ©Coll. B.Heinrich

Molécule ou tartan ? les vies avant tout. 

Et ce sont celles d’un homme, et du vivant tout entier. Pugnace comme sa quĂȘte scientifique, l’existence d’Heinrich illustre l’endurance. Tout aurait pu rester Ă©touffĂ© sous un blindĂ© Russe, pour ce rĂ©fugiĂ© de justesse, coupable de germanitude. La vie et les USA en dĂ©cideront autrement. BĂȘtes de Courses brosse avec Ă©motion une vie d’homme : l’homme qui se passionne depuis 80 ans, vit dans une cabane, et adoucit le pire de l’homme en
continuant de (se) chercher. Un peu. La douceur de l’animal et son innocence comme un refuge de dĂ©couverte, la science et la recherche comme adoucissement du monde

DĂ©rivatifs de Tryphon Tournesol pour fuir l’adversitĂ© ? Bernd Heinrich n’est pas vraiment du genre. Alors plutĂŽt une façon de se dire « Ok. Le passĂ©, je le tiens bien. Impossible de l’oublier. Bon, maintenant, passons Ă  plus intĂ©ressant. Tiens : ce neurone qui pousse l’aile gauche Ă  43°, par exemple. Comment ça marche ? ». Ah, au fait : Bernd Heinrich vient de courir son premier trail. A 79,5 ans. DĂ©cidĂ©ment, la poĂ©sie sait s’instiller partout.

 

Vous courriez ? Et bien pensez (en mĂȘme temps).

Franchement, n’est-ce pas grisant, ce mĂ©lange de force et de peur au dĂ©part de votre ultra ? TrouillomĂštre dĂ©licieusement bas/haut, mais on persiste Ă  se dire « bon sang, ça va ĂȘtre gĂ©nial. » Mieux, l’expression idoine et bien nĂ©e « On va s’en payer une bonne tranche ». Emile CouĂ©, sors de ce corps ; mais ne soyons pas chafouins car la passion reste souvent pure, et aux Purs la religion trail reconnaissante. Mais Peuple Ultra, de tout ceci, dĂ©pĂȘche-toi de profiter pendant qu’il en encore temps. Car la l’heure du dĂ©clin a depuis longtemps sonnĂ©.

 

24h, 100Miles, 100Km : 3 records. Et la MĂ©daille scientifique John Burroughs.

Bernd Heinrich, dans « ses » bois de vie. ©Stacey Cramp

Notre Ăąge Olympique et nos records ont dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  s’attĂ©nuer.

Car pour l’auteur, notre rĂšgne d’Homo Superior des Stades commence dĂ©jĂ  Ă  rĂ©gresser. Simple intuition, Dr Heinrich ? Un peu de respect. Chiffres compulsĂ©s, donnĂ©es analysĂ©es, l’Ă©vidence est lĂ  et confirme juste l’intuition du coureur-scientifique. Notre Âge Olympique et nos records s’attĂ©nuent. Ensuite, faites croitre la population mondiale un peu plus chaque annĂ©e, que les graines de champions se dilluent mathĂ©matiquement. Doucement, les Ă©carts se comblent. OĂč sont nos racines d’hominidĂ©s coureurs, chasseurs Ă  l’épuisement, merveilles de gĂ©nĂ©tique Ă  refroidissement cutané ? OĂč filent-elles, ou seront-elles Ă  l’Ă©chelle d’une gĂ©nĂ©ration ? Commençons alors par ne plus nous contempler – nous et rien d’autres – stop Ă  Nous.

D’animal en animal, Bernd Heinrich butine mais garde un azimut discret : entre rĂ©cit et leçon de choses, Heinrich reste une
bĂȘte de course. Sa grande course approche et viendra, ce 100Km qui ouvre rapidement l’ouvrage. On s’impatiente du chapitre d’aprĂšs, tandis que le scientifique nous tient par le microscope. C’est original, dense, parfois entremĂȘlĂ©, inqualifiable : de la bio, du cardio, de la zoo. Attention, l’émotion guette, partout et surprenante. On vous aura prĂ©venus.

*L’ouvrage dĂ©bute par le premier ultra de l’auteur : 100Km, Chicago, 1981. Bernd Heinrich voulait gagner un ultra : il s’y met, il le fait. Il continuera.

**1983 : record des USA sur 24h (156M, 1388 Yrds). 1984 : record des USA sur 100M (12h27’01’’). 1985 : record des USA sur 100KM (7h00’12’’).

***En 2000, Bernd Heinrich reçoit la MĂ©daille John Burroughs, haute distinction rĂ©compensant les Ă©crits d’un naturaliste.