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Sylvain Saudan, pionnier du « ski extrême », est mort

Sylvain Saudan dans le film "La liste" de Jérémie Heitz. ©Jérémie Heitz

Sylvain Saudan nous a quittés le 14 juillet. Né en 1936, il avait bousculé le milieu du ski et de l’alpinisme, dès 1967, avec une série de descentes à skis de plus en plus audacieuses. Il n’était pas le premier, mais il a clairement mis en avant cette pratique, jusque là exceptionnelle, et suscité des vocations célèbres.

J’étais tout jeune skieur. 10 ou 11 ans. Une semaine d’initiation en club au Mont-Dore, tout près du Puy de Sancy. Il nous fallait, pour participer, être inscrits à la Fédération Française de Ski, assurance oblige. Ce qui nous abonnait ipso facto à la célèbre revue fédérale, Ski Français. C’est ainsi qu’au milieu des années 1960, nous eûmes droit à un article estampillé « Ski de l’impossible ». Le héros en était Sylvain Saudan, un guide suisse qui venait de faire quelques descentes époustouflantes  : couloir Spencer à l’aiguille de Blaitière (1967), couloir Gervasutti au Tacul, couloir Whymper à l’aiguille Verte, couloir Marinelli au mont Rose

©La montagne et alpinisme / FFCAM

Ces descentes, vite médiatisées sous le nom de « ski extrême » feront sourire les activistes d’aujourd’hui… Il n’empêche, même si le jeu avait déjà été pratiqué avant Sylvain, rares avaient été les amateurs de pente raide.

Pourtant, ils ne dataient pas d’hier. Une des premières manifestations du genre date de 1937 : glacier du milieu à l’aiguille d’Argentière, par Émile Allais et André Tournier. Émile, la même année, avait remporté trois médailles d’or au championnats du monde de ski. André était lui aussi un skieur de compétition. Imaginez les skis et les chaussures avec lesquels ils ont skié cette pente déjà raide, 40/45° avec une belle rimaye pour les accueillir. En 1953, Lionel Terray, ancien champion de ski, déjà auréolé de nombreuses ascensions, réalise la première descente de la face nord du mont Blanc, avec Bill Dunaway, un skieur Américain, lui aussi champion de la discipline. Le film « La grande descente » est à voir sur le web, pour se rendre compte de la technique de l’époque. Skis en bois, chaussures en cuir, à lacets…

Sylvain Saudan. ©Coll. Sylvain Saudan

Deux ans avant la descente du Spencer, André Giraud, grand guide du massif des Écrins (allez voir sa voie à la face SE des Bans, pour voir de quoi il était capable. Je confirme qu’on peut. Mais tout juste…), et Paul Clément avaient skié le couloir Davin (col du Pré des Fonts) et le couloir de Barre Noire (entre Barre Noire et les Écrins). On peut difficilement leur refuser le titre de précurseurs : ils ont mis la barre (des Écrins ?) un peu plus haut.

Revenons au matos. Sylvain est perché sur des skis de slalom. Minimum 2,10 m. Les chaussures, en 1967 étaient toujours en cuir, mais les crochets commençaient à remplacer les lacets. Skis étroits, en bois noble, style hickory… Le guide suisse utilisait des bâtons plus longs que la normale. Pas idiot quand on veut planter à l’aval dans une pente raide. Et il avait inventé le « virage essuie-glace » auquel on n’a vraiment jamais rien compris. Mais le virage de certains de ses successeurs, Anselme Baud et Patrick Vallençant, dit « pédalé-sauté », avec un appel du ski amont nous a, à tous, paru au départ, complètement ésotérique, avant de révéler ses avantages…

Sylvain est perché sur des skis de slalom
Minimum 2,10 m

Sylvain Saudan, premier homme à skier un 8000 m, au Gasherbrum I (Pakistan).  ©Coll. Sylvain Saudan

Les Alpes ouvraient des perspectives, en ski comme en crampons. Sylvain skie le Denali (6190 m), le Nun Kun (7135 m), puis frappe un grand coup en 1982 au Gasherbrum I (8068 m). L’histoire est écrite, il a déjà des émules : Patrick Vallençant, Anselme Baud, Toni Valeruz, Heini Holzer (compagnon de Reinhold Messner dans les Dolomites, notamment lors d’une première à la face NW de la Civetta), Jean-Marc Boivin… puis d’autres, plus jeunes, tout aussi talentueux, jusqu’à notre époque. Le ski dit « extrême » s’est mué en « ski de pente raide » et il est devenu une discipline à part entière. Un art sur le fil, où l’erreur n’est pas permise. Sa griserie est à ce prix.

J’ai eu la chance d’y tâter, grâce à Jean-Marc Boivin, qui fut un de mes mentors. Le voir sur des skis en pente raide était un spectacle irréel. J’ai pu goûter à la phrase de Sylvain : « il était incroyable de skier là où les gens montaient en crampons ». Une fois, du sommet du Tacul, avec une amie monitrice au Club Med de Chamonix,  nous avons descendu l’arête nord-est dans une fine couche de poudreuse (oh les wedzés sur le fil de crête !), avant de plonger dans la pente du Triangle nord. Le regard des « zalpinistes » me laisse encore mal à l’aise : quelque part, on altérait leur mythe, leur effort.

Sylvain Saudan dans le film « La liste » de Jérémie Heitz.  ©Jérémie Heitz

Les virages »essuie-glace » en face nord de Bionnassay. ©Coll. Saudan

Un art sur le fil, où l’erreur n’est pas permise.
Sa griserie est à ce prix.

Un dernier mot : à l’époque de Sylvain de ses successeurs, on skiait sur de la neige « de printemps », c’est-à-dire transformée, juste décaillée, parfois pas encore, ceci par peur des avalanches. Il était rare qu’ils laissent des traces. Ce qui donne à l’audace de Sylvain et de ses successeurs encore plus de poids.

Pour nous qui étions jeunes, donc avec une propension facile à avoir la dent dure avec nos aînés, Sylvain, dans les médias, s’exprimait avec un ton un peu précieux. Quand plus tard nous l’avons rencontré, à Chamonix, dans son restaurant finement nommé « L’Impossible », nous avons découvert un homme affable, qui ne se prenait pas le chou, et qui était juste heureux d’avoir vécu des moments forts et d’échanger avec des jeunes qui, finalement, étaient ses disciples.

 

À lire

Skieurs du ciel de Dominique Potard (Guérin, 2012). Adepte de la pente, il revisite dans ce livre les débuts exotiques du ski extrême et son développement.

Sylvain Saudan, skieur de l’impossible, Arthaud, 1970.