Caroline Ciavaldini dans The Quarryman au Pays de Galles, un 7c+ engagé dans un style d’une autre planète… ©Ricky Felderer/C. Ciavaldini
Aller dans ses points faibles en escalade, c’est à dire accepter de tomber là où l’on « devrait » réussir… Voilà la clef du progrès… Quel en est le plus gros obstacle ? Notre attachement aux cotations, bien sûr. Vingt ans que je grimpe, et j’en suis encore à rompre mes amarres… Si seulement j’avais su ça avant !
À l’âge de 20 ans, j’étais une compétitrice de difficulté, je m’entraînais sur mur en semaine et j’allais en falaise le week-end. Qu’est ce que je ferais de différent, si tout était à refaire ? J’apprendrais à me concentrer sur le plaisir plutôt que la cotation.
De plaisir pourtant, je n’en ai pas manqué. J’aimais m’entraîner, faire des circuits de résistance, du pan Güllich, lever de la fonte. J’aimais aller en falaise ; toujours du calcaire, déversant et avec des colonnettes si possible. J’aimais me sentir progresser de semaine en semaine, assembler une à une les briques de mon entraînement, et arriver sur mes objectifs en me sentant prête. Le plaisir, je ne le trouvais pas tellement dans l’instant, surtout dans la globalité. Je fonçais dans une direction, je pensais que les oeillères que je me mettais volontairement me focaliseraient.
Quel est le plus gros obstacle à la progression en escalade ? Notre attachement aux cotations.
Qu’est ce que j’y aurais ajouté, aujourd’hui âgée de 34 ans ? Le plaisir de la découverte, de la variété, de la surprise. Varier plus mes supports, aller en falaise dans des dalles ; de la fissure m’aurait certainement permis de faire des réserves de plaisir, de me regonfler avant les ennuyeuses séance de résistance en salle… Et apprendre des choses si différentes m’aurait peut être donné un tout petit plus, pour des voies bizarres en compétitions, le petit rien qui fait la différence !
Certes, la compétition se déroule sur plastique déversant, et certes, dur de voir l’intérêt d’une dalle de granite, d’une fissure sur coinceurs, d’un bloc en coordination à Fontainebleau pour préparer une compétition indoor…
Apprendre à poser vraiment bien mes pieds en dalle ? (Parce que tout de même, je n’étais pas absolument nulle, ou du moins pas plus que les autres compétitrices)… Avec du recul, je vois bien une compétition, un championnat du monde d’ailleurs, qui commençait en dalle… je suis tombée bonne dernière en finale, surtout parce que ce départ m’avait impressionnée… Quelques 6a de Bleau dans les jambes m’auraient peut être permis de garder la tête froide.
Mais je dédaignais Bleau, les fissures et les dalles du Verdon. Je n’essayais pas ces grimpes différentes parce qu’elles ne me donnaient aucune envie. Pourquoi ? Je disais, je pensais même que c’était juste une question de goût… mais la vérité, c’était qu’alors que je pouvais réussir un 8b à vue en colonnettes, dans du 6a bloc à Bleau en dalle, j’avais les fesses dehors, je serrais en vain les cristaux, je tombais, et avec moi, c’était toute mon assurance qui chutait!
Cette variété, elle me mettait trop en danger dans mes certitudes, elle me déstabilisait… Je n’aimais pas l’inconnu et j’avais besoin de réussir tous mes 8a ; il était plus facile d’ignorer toutes ces voies « différentes » où je risquais un échec plutôt que de perdre de vue à chaque chute celle que je pensais être, cette « grimpeuse de 8»…
Je n’avais pas encore compris, à 20 ans, que les cotations ne veulent rien dire, que ça n’existe pas, « une grimpeuse de 8 ». Et elle est là la clef…. Pourquoi je ne me faisais pas plaisir ? Parce que cet échec dans du 6a, je le vivais comme une atteinte à mon intégrité de « bonne grimpeuse ». Cette chute, elle me rabaissait. J’en oubliais de déguster la délicatesse des mouvements en équilibre précaire sur quelques cristaux. Il aurait fallu que je me fasse confiance, entièrement, pour pouvoir accepter mes chutes comme des occasions d’apprendre qui ne remettaient pas tout en question.
Le voilà, le piège de la cotation. L’erreur était juste là : se définir comme un « grimpeur de 7a », utiliser la cotation comme une catégorie pour ranger les humains… mais alors, si l’on chute dans un 6a, doit-on changer de catégorie ? C’est-à dire revoir l’image que l’on a de soi ? Est-ce juste un mauvais jour ?
Aller seulement dans des voies où l’on a des points forts est la meilleure recette pour ne pas progresser en escalade.
La tentation devient intenable alors, d’éviter à tout prix une nouvelle déconfiture. On commence par n’aller que dans des voies qui valorisent ses points forts, ce qui est la meilleur recette pour ne pas progresser dans ses points faibles, et finalement, on risque de devenir ce grimpeur qui arrête l’escalade quand son niveau descend à cause d’une blessure, de l’âge…
Vraiment ? Renoncer à grimper par peur de l’échec ? N’y aura-t-il vraiment plus de belles voies à découvrir dans des cotations plus faciles ?
Non, évidemment. Il faudrait, on voudrait pouvoir se faire plaisir dans de belles voies. Certes, le plaisir dépend souvent d’une difficulté. Faire du 4a toute la journée quand on évolue bien au dessus, c’est sans doute ennuyeux, sauf dans une balade verticale qui s’élève au delà de l’horizon… En escalade sportive, on voudrait juste forcer, vraiment essayer. Peut être que ce sera dans du 6a en dalle, du 7a en dévers, et du 4b en fissure chamoniarde !
Une cotation ne peut pas nous définir. Il faudrait se définir par une cotation en dalle, une en dévers, une en toit ; une quand on est en forme, une pour les nuits d’insomnie… une en bloc, une en granite, une en fissure… et finalement, on réalise que non, tout simplement, une cotation ne peut pas nous définir. Il faut lâcher prise…
Et c’est justement là que l’on commence à aimer être surpris.
Du bloc, on peut enfin découvrir toute la diversité. Trois mètres de haut, un enchaînement de quatre mouvements qui reste un mystère… On décode un mouvement, puis un autre, et le mystère devient un jeu mental, celui de l’enchaînement des quatre mouvements. C’est un 6a bloc, et il nous faudra l’après midi ? Et alors ? Une fois que l’on sait qui l’on est, tout ce qui compte c’est d’apprendre. On finit par l’enchaîner, et qu’a-t-on appris ? À se faire confiance en chargeant le pied en adhérence, à avoir la patience. À ne pas désespérer… L’escalade devient un puzzle qu’on résout avec son corps.
Et les combinaisons sont infinies.