Deux mille mètres d’approche pour 350 mètres de rocher preslien ou verdonesque, c’est selon. Il fallait avoir la foi de Stephan Siegrist et Roger Schaeli pour ouvrir ce qui était un vieux projet en face ouest du Rotbratt, une paroi oubliée de la Jungfrau. Bilan : deux copains toujours en forme, cotation 8a+ et équipement spartiate.
Bien sûr, les parois les plus connues des Alpes sont sillonnées de voies. Mais à ceux qui ont des yeux grands ouverts, comme le maître Philippe Mussatto, ou ceux qui acceptent de marcher longtemps, il reste de quoi rêver. Si vous prenez l’Oisans, le grand Oisans sauvage, peu s’aventurent sur le granit disons chamoniard de la Tête de l’Ours, ses fissures en dévers en 6 ou en 7, et son approche de plus de 2000 mètres. Idem pour la paroi ouest de la Rotbratt, un recoin de la Jungfrau dans les Alpes Bernoises. Deux mille mètres d’approche pour 350 mètres de caillou, quasi parfait. Un peu trop, même. Mais le ratio fait la tranquillité, et le bonheur des ouvreurs explorateurs du XXIème siècle.
Une tentative en 2009 avec Giovanni Quirici
L’idée de grimper cette Rotbratt n’est pas neuve : en 1990 une voie a été tracée par la cordée Res Leibungut et Christoph Mauerhofer sur la partie gauche de la face, qui évite de facto les dévers orangés du milieu. En 2009 Stephan Siegrist tente le coup avec le jeune Giovanni Quirici. Celui-ci, surdoué des lignes rocheuses extrêmes, se tue dans le Chant du Cygne, à l’Eiger, en 2011. En 2017, Siegrist en parle à son vieux colocataire d’Interlaken, Roger Schaeli (ou Schäli pour les germanophones). Bon, en 2019 Stephan est père de famille et décide de finir la voie avec Roger, lui aussi toujours passionné par les voies extrêmes dans les coins compacts type les piliers les plus raides de l’Eiger (où il a gravi entre Odyssée).
Première en 2018, et voie libérée un an plus tard
Les alpinistes suisses Stephan Siegrist et Roger Schaeli ont décidé de reprendre l’idée que Stephan et Giovanni avaient eu de créer ce nouvel itinéraire à Rotbrätt sur la Jungfrau. Mis à part la voie de 1990 à gauche, le centre de la paroi est raide, dévers, avec visiblement certains passages où les protections ne peuvent être que lointaines. Siegrist und Schaeli ont démarré la voie en 2018. Ils ont choisi la partie la plus déversante de Rotbrätt pour une bonne raison : c’était le seul endroit sec et sans neige après un hiver très pluvieux. Au final, ils gravissent neuf longueurs pour 350 mètres avec des spits éloignés et des coinceurs, mais l’ascension tout en libre attendra 2019.
Stephan Siegrist attaque le headwall. © Frank Kretschmann
Été 2019, comme chacun l’a remarqué, juin ressemble à juillet et juillet ressemble à août. Siegrist et Schaeli travaillent la voie en libre, acompagnés du photographe et ami Frank Kretschmann. Les deux grimpeurs libèrent les premières longueurs. Mais la cinquième longueur est extrêmement raide et dure. Après que Schaeli ait pu définir les bons mouvements, la longueur tombe. La sixième longueur est typée bloc, avec un pas extrême au milieu de la longueur. Le terrain est très dévers et la protection est franchement mauvaise. C’est là que l’esprit d’équipe et la longue amitié des deux alpinistes ont joué. Ils ont pris une journée de repos au pied de la voie, avec un repas cuisiné par Frank Kretschmann, histoire de prendre un vrai jour de repos . Le jour suivant, Schaeli est venu à bout de la sixième et plus difficile longueur sous les encouragements de ses deux amis. Après deux autres longueurs plus faciles, Schaeli et Siegrist se tenaient au sommet du Rotbrätt. C’était fait! La seule deuxième et plus difficile voie à ce jour du Rotbrätt a été libérée en quatre jours.
Le nom de la voie ? Silberrücken, cela veut dire « dos argenté ». Le résumé de la cordée : le dos musculeux de Roger et les cheveux gris de Stephan.
Roger Schäli dans le crux, L6 en 8a+ © Frank Kretschmann
Stephan Siegrist et Roger Schäli. ©Frank Kretschmann