Cet Automne, le Groupe militaire de haute montagne (GMHM) a choisi le Yosemite comme destination grimpe. La question du « Pourquoi le Yosemite ? » leur a souvent été posée. Reste-t-il de belles lignes à ouvrir là-bas ? Est-il possible de se frotter aux meilleurs grimpeurs des lieux ? Ni l’un ni l’autre mon colonel. Épisode 1.
érieusement ? Le « Nose » en moins de 2h. « El Cap » ou le « Half dome » en solo intégral. La voie d’escalade la plus difficile du monde, le « Dawn Wall » en libre…
Sincèrement, aucun grimpeur du groupe ne peut boxer dans la même catégorie que messieurs Honnold ou Caldwell. Si le Groupe a choisi cette destination, c’est justement pour augmenter son niveau collectif et personnel. La vallée du Yosemite est l’endroit parfait pour pousser vers le haut notre expérience de Bigwall. Et « Last but not least » c’est l’occasion de grimper tous ensemble.
Ce trip est une première en soi. La première fois depuis longtemps que l’équipe part au complet. Pas de base arrière pour assurer la sécurité ou la logistique, comme sur les expéditions himalayennes.
Les 11 grimpeurs qui composent le GMHM, se retrouvent au même endroit, au même moment. La motivation est simple et commune : se battre dans ses fissures granitiques, quel que soit son niveau en grimpe, du 6c au 8c !
La première semaine est axée sur le travail théorique. Nous abordons les thématiques de fond et réfléchissons sur les défis que le groupe devra relever dans les années à venir. Puis, place à l’action.
Ces 3 ou 4 semaines sur places auront permis à chacun de s’exprimer et d’enrichir ses acquis. Qui de réaliser son premier Bigwall. Qui de passer sa première nuit sur portaledge, son premier voyage d’artif. Qui de se battre dans une longueur d’A3+ ou de 8a, les pieds et les mains à 600 m du sol.
Ces jours dans le parc auront servis de prétexte à sortir de notre zone de confort en augmentant notre vécu de grimpe. Alors il revient à chacun le soin de raconter en quelques lignes ses souvenirs de fissures, dièdres, slots, cheminées, pendules et coquineries granitiques en tout genre.
Voici 10 petites histoires, sur 10 voies qui auront marquées 10 grimpeurs du GMHM.
Le dénominateur commun est l’envie de retourner, dès que possible, dans ce « Center of the climbing universe » pour de nouvelles aventures verticales.
Friends, copperhead, crochets, câblés offset, birdpeak, lost arrow, ballnuts, rurps, rivets hanger…
on teste tout le potentiel du matériel propre à l’artif’,
avec parfois quelques sueurs froides !
1/ El Capitan, voie Pacific Ocean Wall (26 longueurs, 5.9 A3+) par CHA Benjamin Védrines.
C’est parti pour 6 jours de grimpe artificielle ! Le résonnement de cette phrase dans nos têtes nous impose de revoir la valeur du temps. Il va falloir être patient ! Curieux de progresser dans ce domaine si particulier de l’escalade, nos expériences réciproques en la matière sont différentes, mais cet itinéraire peu répété et présentant des passages en A3+ délicats, nous fait penser qu’ensemble, tous les quatre, nous vivrons une belle aventure !
S’engager pour un voyage comme celui-ci n’est jamais évident, tant les questions rebondissent et les émotions s’enchevêtrent. Un mélange d’excitation et d’appréhension, nourri par l’inconnu de « par quoi allons-nous être mangés ?! ».
Mais très vite les techniques sont assimilées, le gaz devient familier et une routine se met en place. Partir du relais, la corde d’attache bien accrochée et la ribambelle de matériel nous fait ressembler à de joyeux bricoleurs verticaux. Friends, copperhead, crochets, câblés offset, birdpeak, lost arrow, ballnuts, rurps, rivets hanger, nous nous amuserons durant cette ascension à tester tout le potentiel des différents matériels propre à l’artif’, avec parfois quelques sueurs froides !
Le pire nous a semblé être ces longueurs où s’enchaînent les uns après les autres des plombs déjà posés mais dont la résistance nous est totalement inconnue. Mètre par mètre, sans avoir pu poser quoique ce soit de plus solide tant la ligne de fissure est bouchée, notre regard se glisse en arrière avec une angoisse certaine, rapidement comblée par le goût de vivre, se traduisant par une fuite en avant orchestrée avec la minutie la plus légère que l’on puisse opérer !
Heureusement la sentence fut plus brève que prévue, et après 4 jours dans la paroi et quelques 27 longueurs épuisantes, bien rythmées par une équipe toujours soudée, nous sommes parvenus au sommet, fiers d’avoir vécus ces instants inoubliables, perchés au-dessus de 900 mètres de vide profond.
2/ El Capitan, voie Triple Direct (30 longueurs, 5.9 C2) par CBA Jacques-Olivier Chevallier.
El capitan … Mythique face de granite de plus de 900 m qui se dresse d’un seul élan vers le ciel, gigantesque, pure, verticale, fuyante, impressionnante… très impressionnante !
Cette face, j’en ai envie, j’en ai rêvé… Je sais que c’est là qu’il faut aller, l’histoire de l’escalade c’est écrit dans ses fissures taillées au laser, dans ses dièdres évasés, ses Offwith monstrueux et ses dalles verticales et sans la moindre aspérité.
J-1.Nous sommes à 7h au pied des cordes fixes. Nous montons péniblement notre sac de hissage et notre ledge jusqu’à Mammoth terraces. Je regarde au-dessus de moi. La paroi déversante du Shield m’écrase littéralement. Le sommet invisible et encore deux fois plus haut … Infini.
6h30, le jour 1 nous entamons l’ascension du Freeblast en libre. Depuis le début du séjour j’ai arrêté de comparer les cotations américaines et nos cotations françaises. C’est une question d’équilibre mental…ou d’orgueil mal placé ! En second dans la longueur clé en dalle, je pense à Alex Honnold qui a réalisé un an auparavant cette ascension en solo intégral. Performance simplement lunaire et pourtant les difficultés qu’il gravira plus haut dans Free-rider sont sans communes mesures avec celles-ci …
Après avoir rejoint nos sacs, nous poursuivons sur 3 longueurs dans le Muir au-dessus de Mammoth. Tonio fixe l’ultime longueur de la journée. La nuit nous cueille lorsqu’il me rejoint sur notre vire. Nous montons le bivouac. Hôtel 4 étoiles.
J’imagine Warren Harding en 1958, à l’ouverture de cette voie jugée impossible
A l’aube, le jour 2, nous remontons la corde fixée la veille et nous progressons lentement dans des longueurs d’artif jamais extrêmes mais toujours exigeantes et plus gazeuses les unes que les autres. Finalement nous posons notre deuxième bivouac sous le Great Roof. Nous sommes accueillis par une « Yellow Shower » qui nous rappelle que nous venons de rejoindre l’itinéraire historique et emblématique du Nose.
Le jour 3, nous enchaînons en artif les longueurs historiques du Nose : Great Roof, Pancake Flake, Changing Corner … à nouveau nous grimpons sur les traces d’illustres grimpeurs. J’imagine Warren Harding en 1958, à l’ouverture de cette voie jugée impossible, les sacs de hissage remplie de pitons et de whisky, et Lynn Hill bien des années plus tard qui en visionnaire talentueuse et grimpeuse exceptionnelle réalisa un immense coup d’éclat en réussissant la première en libre de cette voie. A ce jour cette performance reste un véritable exploit puisque seuls 6 grimpeurs ont réussi cette ascension en libre. Après avoir une nouvelle fois fixé une dernière longueur exigeante, Antoine me rejoins au camp 6 de nuit ou Nous dormons plein gaz, 1 m au-dessus d’une vire de 3m2, pendu sur 2 friends, pour permettre à deux grimpeurs australiens rencontrés ce jour-là de dormir à même la terrasse, sous nos pieds.
Le lendemain nous gagnons rapidement le sommet. Les 3 Grands Cap sont sous nos pieds. Nous sommes fatigués mais heureux. Quelle ambiance …
3/ El Capitan, voie Nose in a Day (28 longueurs, 5.8 C2). par CHA Léo Billon.
Le halo de ma frontale se perd dans l’océan nocturne qui englobe l’écrasante barrière minérale qui nous domine. J’ai déjà le souffle court, les muscles saisis par cette première longueur exigeante, au rocher lisse et rendu glissant par les cohortes de grimpeurs qui ont foulé la première voie de cette grande muraille d’El Capitan. Benjamin me rejoint rapidement, en grommelant et en pestant. Il vient de perdre son sac à pof. Il ne nous reste que 33 longueurs…
Quelques longueurs plus tard, une mauvaise manip lui coûte la peau de son doigt !
Malgré ce départ peu prometteur, nous posons les mains sur le fameux arbre sommital du Nose 8h 40 après avoir attaqués cette fameuse première longueur.
Même si le record de vitesse d’ascension est sous la barre des 2h, réaliser le Nose en 8h40 sans connaître la voie est un temps canon ! ©GMHM
4/ Half Dome, voie Regular Northwest Face (23 longueurs, 5.9 C2) par CBA Pierre Sancier
Pendant que d’autres s’emploient sur El Cap, Didier et Arnaud m’emmènent avec eux pour une des grandes classiques de la vallée : la regular en face nord ouest du Half Dome. Nous pensons naïvement que nous serons seul car la fraîcheur est au rendez-vous !
Après l’approche par les “death slabs”, nos rêves de solitude s arrêtent net il y aura au moins une cordée devant nous. Bon, nous fixons quelques longueurs, dodo et nous verrons bien. Et bien ce sera long, pour parcourir cet itinéraire magnifique et varié (dalle, fissure, cheminée, pendule et même un jeté de corde pour attraper R12 !). L’escalade est tout de même bien soutenue. Après la “ Thank God Ledge”, fameuse photo de couverture du livre d’ Alex Honnold, nous nous demandons comment a t’il fait pour grimper en solo un passage de dalle qui nous paraît extrême (surtout de nuit). A défaut de coucher de soleil, nous sommes accueillis par une superbe pleine lune au sommet. De retour au bivouac 22h après le départ, nous n’avons pas battu de record mais par contre nous avons vécu une belle aventure dans cet itinéraire emblématique.
5/ Middle Cathedral, voie Father Time (20 longueurs, 5.13b) par CCH Max Bonniot
Grimper « Father Time » est une initiation privilégiée à l’escalade libre sur des grandes parois. L’accès, comme souvent au Yosemite, y est rapide. Les conditions ainsi que la qualité du rocher sont également au rendez-vous. Et quoi de mieux pour rêver à de futurs projets que de passer deux jours à grimper des longueurs dantesques juste en face d’El Cap ?
Après un socle de longueurs dalleuses engagées et techniques, le headwall propose une escalade variée en fissures où l’illusion du libre pourra vous poursuivre assez facilement jusqu’à R14. L15 est à elle seule un dictionnaire de techniques nouvelles à appréhender : « Stemming, palming, scumming, smearing, back stepping and high stepping… » Autant dire que pour nous, la description de « Houdini pitch » est restée comme une énigme que nous n’avons pas su résoudre ! Une très bonne expérience pour notre cordée néanmoins et une motivation redoublée pour la prochaine fois, à El Cap, avec la baguette de magicien dans le sac de hissage s’il vous plait !