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Le grand écart

Divorce consommé entre escalade et alpinisme

Les JO pour l’une. l’Unesco pour l’autre. Escalade et alpinisme, et toujours deux fédérations délégataires, FFME et FFCAM. Combien de temps peut durer ce grand écart ? s’interroge Manu Ibarra. 

Le grand écart est une figure bien connue des grimpeurs désirant escalader Devil’s Tower ou les fissures du Verdon, grand écart défendu par notre président, promoteur des premiers de cordée, qui en a fait sa devise avec le fameux « en même temps ». Ainsi d’un coté l’escalade prend toute sa plénitude sportive avec son entrée aux Jeux Olympiques (pour l’instant reportés) et de l’autre par l’inscription de l’alpinisme à la liste du  Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité ;  l’Unesco reconnaît dans l’alpinisme (1) un caractère plus essentiel (2). Par ces deux reconnaissances nous percevons que ces deux activités divergent vers des futurs distincts.

Les JO pour l’une, l’Unesco pour l’autre : l’escalade et l’alpinisme vont dans des directions divergentes

Dans ce grand écart là, en bon alpiniste j’ai cherché à assurer mes appuis pied droit et pied gauche, à en comprendre, les mots, les concepts, et les valeurs. Pied droit : Lorsque je parle d’escalade, mes interlocuteurs y voient une activité sportive où les mots sécurité et performance se côtoient.

Le mot sport est défini par l’académie française comme : « sert à désigner toute sorte d’exercices physiques, de jeux d’adresse ou de force ». La définition est peu précise : l’aspect physique d’une activité ne peut pas seul en faire un sport : la promenade autour du pâté de maisons, le jardinage aux bienfaits physiques….ne sont pas des sports.

Alors ? Alors que dit le spécialiste du sport qu’est le Comité Olympique ? Rien du tout, la charte olympique parle beaucoup d’elle-même et de son organisation mais rien sur la définition de sa raison d’être : le sport.

Lors de l’épreuve de vitesse au tournoi de qualification olympique de Toulouse, 2019. ©JC

De désespoir, je suis allé voir le critiqué Wikipédia qui lui force le passage avec brio :
« Le sport moderne se définit par quatre éléments indispensables :
-La mise en œuvre d’une ou plusieurs qualités physiques : activités d’endurance, de résistance, de force, de coordination, d’adresse, de souplesse, etc.
-Une activité institutionnalisée, ses règles tendent à être identiques pour l’ensemble de la planète.
-Une pratique majoritairement orientée vers la compétition.
-Une pratique fédérée (sous la tutelle d’une fédération sportive). »

Les choses se clarifient, ma prises pied droit n’est donc pas si mauvaise.
Un sport est donc une pratique valorisant une ou plusieurs qualités physiques dont la finalité ultime est la compétition. Pour que ces compétitions prennent toute leur ampleur, les performances physique sont mesurées et classées par des règles uniques valables pour toute la planète dont le respect est garanti par les fédérations sportives organisées au niveau national et international.

Malgré les dangers d’une chute de plus de 6 mètres, nous n’avons jamais vu un sauteur à la perche contrôler la qualité des tapis de réception.

Effectivement l’escalade dite sportive rentre pleinement dans une telle définition : elle mesure des performances physiques pour désigner un champion de France, olympique ou du monde suivant des règles précises mise en place par les fédérations nationales et la fédération internationale (3) . Si la performance est le critère absolu et incontestable de la compétition, la quintessence et la finalité du sport, seule l’absence de prise de risque permet aux athlètes des performances au plus haut niveau attendu.

Malgré les dangers d’une chute de plus de 6 mètres au sol, nous n’avons jamais vu un sauteur à la perche, contrôler la qualité d’amortissement des tapis de réception. Il fait totalement confiance aux organisateurs. La « collectivité » lui garantit une sécurité maximale dans sa pratique ouvrant en conséquence la porte aux records. Ainsi dans une pratique sportive, la prise de risque est inacceptable et ce n’est pas aux athlètes à en garantir la sécurisation. Les clubs, les fédérations, les collectivités publiques s’en chargent pour lui permettre d’exprimer pleinement et sans retenue le plus haut niveau de performance possible qui est le carburant (4) même d’un sport.

Dans la voie des Parisiens à la Pelle, l’une des favorites de M. Ibarra, une voie d’escalade « aventure » où il faut ajouter ses protections. ©JC

Ainsi la prise pied droit est sûre, un baquet, mais qu’en est-il du pied gauche ? Qu’en est-il des activités physiques d’aventures ? Alors que je prononce le mot alpinisme, mes interlocuteurs ont l’esprit envahi par les mots aventure et danger qui obscurcissent leurs visages. Encore une fois j’ai cherché à préciser ma prise de pied. L’académie française nous dit pour le mot aventure: « du latin populaire adventura, « ce qui doit arriver », nous parle « de bonne aventure et mauvaise aventure (5) » puis d’ «Entreprise hasardeuse, comportant imprévu et risque. Aventure périlleuse, difficile, dangereuse. »
Indubitablement la notion de danger est un des éléments constituant le mot aventure.

Indubitablement la notion de danger est un des éléments constituant le mot aventure.

L’alpinisme est une activité où la prise de risque est un des composants forts, qui si elle n’est pas recherchée pour elle-même, elle en est un des facteurs dont la maitrise marque le niveau de performance. Non seulement l’alpiniste ne peut compter sur aucune prise en charge des éléments assurant sa sécurité par une collectivité mais de plus il ne peut pas déléguer l’appréciation de sa prise de risque à quiconque. Il doit en assurer lui-même l’évaluation et doit adapter ses techniques à cette prise de risque. Il est seul a assumer ses choix sécuritaires et le niveau de sécurité qu’il sera capable de mettre en place limitera son niveau de performance physique.

Nous venons de voir que les pratiques sportives excluent la prise de risque, et que l’alpinisme est bâti autour de cette notion, dans ce grand écart entre la notion de sport et d’aventure qui semblent se tourner le dos.

Si l’escalade est indiscutablement un sport, l’alpinisme bien que comportant des performances physiques, ne peut être qualifié de sport (6). L’alpinisme fait partie de ces rares activités où la société accepte le risque de mort. Un clivage fondamental (7) semble donc se faire entre les concepts d’activités sportives et activités d’aventure.

Si l’escalade est indiscutablement un sport, l’alpinisme bien que comportant des performances physiques, ne peut être qualifié de sport.

Ainsi ma prise pied gauche me semble bien plus aléatoire que celle pied droit mais surtout plus je monte et plus elles s’éloignent l’une de l’autre. Dans un tel écart, la question est jusqu’à quand cette position voulant lier l’un à l’autre est tenable avant rupture des adducteurs et sa conséquence : la chute.

Jusqu’à quand la FFME pourra-elle revendiquer une quelconque autorité sur les pratiques alpines en extérieur ? Quand est-ce que la FFCAM comprendra que son futur est d’être la digne porteuse de cette activité qui consiste à escalader les montagnes faites de rocher, de glace ou de neige… qui ne peuvent pas être compétitives, une activité inscrite à la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité de l’Unesco ?

Notes

(1) dont est pourtant issue l’escalade

(2) dans le sens étymologique du mot

(3) IFSC (International Federation of Sport Climbing). Notons que la FFME a quitté l’UIAA (union Internationale des Associations d’Alpinisme) pour adhérer à l’IFSC.

(4) Source de financement

(5) encore un sujet sans fin, chance et/ou malchance en montagne..

(6) dans le sens prédifini ci-dessus

(7) lire L’alpinisme ? Laisse béton ! par Gilles Rotillon et Louis Louvel.

(8) Alpinisme, escalade sur rocher et glace