Il fut un temps la Patagonie sans les hommes. Du moins la terre du feu et du vent était-elle réservée à une poignée de pionniers, aussi déterminés que passionnés. C’était bien avant El Chalten, l’alpinisme et la route 40. Voyage dans la Patagonie d’autrefois.Â
Andreas Madsen. Un nom qui ne sonne ni chileno ni argentino. C’est qu’aux origines, les colons de la pampa viennent de loin. Du Danemark en l’occurence, pour ce qui est de Madsen, et du Jutland plus précisément. Cette province marque le jeune Danois, par sa terre, rude ; mais aussi par la mer grâce aux ports et aux possibilités d’aventure et d’embarquements sans retour qui y sont encore possible en cette fin de XiXe siècle. A 20 ans, Madsen part découvre l’Argentine et Buenos Aires. Mais c’est au sud, loin dans les étendues sauvages de la pampa, qu’il va devenir un pionnier, dans ce désir d’ailleurs très fort à l’époque.
Dans ce récit, remis au goût du jour par les éditions Nevicata, Andreas Madsen écrit à la première personne. On y découvre la vie d’un jeune homme épris d’aventure, une vie conforme à l’image du cow-boy patagon, « seul dans le grand lointain » : chevauchées dans les étendues désertiques de la pampa, tempêtes de neige, travail solitaire dans les estancias, quotidien rythmé par les animaux et le temps qui s’écoule, parfois trop lentement et que l’on accélère grâce à l’alcool. « Ne t’en fais pas jeune homme. Je serai de retour dans deux mois. » dit un jour le patron de Madsen. Il reviendra six mois plus tard. Le temps en Patagonie est aussi extensible que le sont ses interminables rubans de terre.
cette nature, c’est aussi une certaine idée
de la place de l’homme
Et puis ce personnage principal, invisible mais toujours présent en filigrane, plus rugueux que nulle-part ailleurs, plus pur aussi : la nature. Une nature qui s’incarne ici parfaitement dans les éléments. Qui n’a jamais entendu parler des quatre saisons en un jour, que l’on rencontre souvent en Patagonie. Le vent, la pluie, le soleil, et l’espace. Cet espace tantôt vide et source de difficultés, comme lorsqu’il faut accoucher ses enfants par soi-même, le moindre médecin étant bien trop loin éloigné pour aider. Ou comme lorsqu’il faut bondir sur son cheval pour aller aider un lointain voisin, malade ou cette companera, battue par son mari.
Mais cette nature, c’est aussi une certaine idée de la place de l’homme. Le Madsen exploitant de la terre,  éleveur de chevaux, chasseur de pumas, défricheur d’une terre vierge, sait aussi que son impact doit se limiter pour ne pas dénaturer les lieux : « Le vrai pionnier n’abîme pas » déclare t-il, avant de prolonger par ce qui ressemble déjà à un anti-capitalisme vert : « La destruction commence avec les grande compagnies et leur capital sans âme. Quel grand dommage que le gouvernement n’ait pas décrété, voici quarante ans, un parc national de 20 à 30 lieues pour protéger si beau coin de la Terre. » On est alors à l’aube du XXe siècle, bien avant que de grands entrepreneurs n’investissent dans des centaines d’hectares de la Patagonie afin de protéger un tant soit peu les lieux.
Cette histoire de la Patagonie autrefois est une remontée aux sources des générations de pionniers qui s’installeront durablement là où personne ne veut rester bien longtemps. Ce sera vrai jusqu’à ce que les feux du tourisme et de l’exploration « sportive » ne mettent la Patagonie à la mode. Ce n’est pas anodin si Madsen s’installe durablement dans la région du lago Viedma. Là -bas, nul ne peut échapper à la vue d’un certain mont Fitz Roy, déjà rebaptisé ainsi en 1877 par Perito Moreno. Ce sera d’ailleurs le nom donné à l’estancia d’Andreas Madsen, mais aussi à son plus jeune fils.
Le récit est globalement dénué de repères chronologiques réguliers et les chapitres thématiques s’enchaînent sans que l’on sache s’ils se suivent vraiment, ce qui peut perturber le lecteur. Quelques dates viennent ça et là donner une idée de la chronologie. Mais le flou général maintient cette époque hors du temps, comme un lointain rêve d’aventure qui n’en finit pas d’inspirer des générations de baroudeurs épris de wanderlust, ce désir d’aventure des pionniers.