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Hommage à Yan Raulet, guide de haute montagne

Yan Raulet

Il est mort en faisant son métier, lundi 26 février, près de Courmayeur. À peine vingt-quatre heures après la disparition du guide auvergnat David Vigouroux lors de l’avalanche du Sancy, c’est au tour des guides de la vallée de Chamonix d’être frappés par la disparition de l’un des leurs. Toujours en montagne, ayant démarré dans les sauvages Pyrénées par des solos audacieux, Yan Raulet avait la passion de transmettre la beauté de cet univers. Il remerciait celles et ceux avec qui il le partageait, tout en gardant sa liberté de parole. Lundi, c’est à skis, en précédant ses clients pour dénicher un passage au-dessus d’une falaise, qu’il a été victime d’une chute. Son confrère Yannick Vallençant a souhaité lui rendre hommage.

Bon sang, Yan, tu es tombé à ton tour !

Après David, ce guide réputé d’Auvergne emporté par une avalanche autour du Sancy, c’est toi…

À ce qu’on m’a dit, en ce qui te concerne, c’est juste un petit peu de neige qui t’a fait basculer d’une falaise et percuter le sol à son pied.

Moi aussi, comme beaucoup à Chamonix et ailleurs sans doute, j’ai pris un coup de massue aujourd’hui.

Au début, à la grande époque des passes d’armes sur la fameuse « liste de diffusion » du syndicat (alors unique) des guides, on avait commencé par s’écharper épistolairement. Je t’avais même une fois au moins injustement maltraité, et je l’ai toujours regretté. Car au-delà de la passion authentique qui t’animait pour ton métier de guide et une véritable réflexion autour de celui-ci, tu avais une bonhomie et une forme d’intelligence plus rare en montagne : aucun orgueil mal placé et une véritable ouverture au doute, au questionnement, au débat et une capacité à changer d’avis pour rejoindre ton « adversaire » de départ.

Alors toi esprit libre plutôt de droite et moi tout aussi libre mais de l’autre bord, on a eu plaisir à échanger, appris à se connaître et fini par faire un sacré bout de chemin ensemble !

Tu as été parmi les premiers, il y a dix ans, à me rejoindre au SIM (Syndicat Interprofessionnel de la Montagne), ce petit syndicat aux accents révolutionnaires présenté initialement comme n’aimantant que marginaux ou fous furieux. À l’époque, et en étant installé à Chamonix, c’était une sacrée preuve de courage – comme ces solos de jeunesse ou cette ouverture à Gavarnie dont tu te rappelais souvent. Mais tu as poussé le bouchon encore plus loin : tu ne t’es pas contenté d’adhérer à un syndicat alors confidentiel, tu en as été un pilier, un militant actif dans sa défense, comme dans son développement ou son financement, au sein de sa commission des Sages – un poste qui devait t’amuser comme moi, tant nous n’avons jamais été sages face à l’inertie de la montagne… Tu y as pris des coups, toi aussi, et plus qu’à ton tour, démontrant dans la bagarre une endurance dont tu faisais preuve aussi tous ces derniers étés dans ces impensables bambées à vélo que tu aimais presque autant que la montagne.

Je te serai toujours reconnaissant, aussi, de m’avoir aidé personnellement quand d’autres s’ingéniaient à me faire payer le prix de notre échappée belle vers le SIM. Je n’avais plus aucun travail comme guide, persona non grata partout ou presque ; mais toi tu m’en as fourni tous les hivers, à profusion, avec ton petit site web maison ! Et bien souvent tu ne percevais aucune commission – demandant juste à l’occasion quelques bonnes bouteilles de ce bon pinard dont tu raffolais peut-être au moins autant que du ski et des cols alpestres ou pyrénéens.  Tu te justifiais en te réjouissant de participer ainsi, je te cite, à « l’effort révolutionnaire »…

L’Aiguille du Midi, point de départ de la Vallée Blanche que Yan affectionnait particulièrement.

Bon sang que je regrette que tu sois parti si tôt, tout près du but – ou de certains buts,  au moins ! Car je te le promets, Yan, on l’aura bientôt cette breloque de l’UIAGM dont certains entendent continuer à nous priver. Je te le promets, Yan, on va réussir bientôt à mettre de l’ordre à l’ENSA et au ministère des Sports pour que le droit et nos droits y soient respectés. Mais je dois t’avouer que même en faisant de mon mieux, pour avoir un jour notre statue au centre de Chamonix comme Vallot et Paccard, ce n’est pas encore gagné…

Yan, tu aimais Bernard Lavilliers – on en passera peut-être pour ta cérémonie. Moi, je connais mieux le répertoire de Brel et je voudrais bien ce jour-là, « qu’on rie, qu’on danse, qu’on s’amuse comme des fous », malgré tout. C’est plus facile ainsi de quitter un copain et un type bien. Je répèterai à ta femme et à ta fille que tu es celui-là, même si elles le savent déjà.

Il y a une autre chose dont je sais qu’elle t’aurait vraiment fait plaisir, car tu m’en parlais souvent : que tous les guides se réunissent un jour, au-delà des guéguerres syndicales et autres vieilles rancœurs. Je sais déjà que pour te dire au revoir, ce sera le cas. Mais il ne fallait pas te donner et nous faire ce mal-là pour y parvenir, nom de Dieu !

À un de ces jours, Yan.