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Escalade et Jeux Olympiques : ce qui change (ou pas)

Caroline Ciavaldini à l’époque où coinceurs et escalade trad ne faisaient pas partie de son vocabulaire ! ©IFSC

Ce n’est pas une nouvelle fraîche, mais c’est complètement inédit : l’escalade est un sport olympique. À Tokyo l’année prochaine, puis, si tout va bien, à Paris dans cinq ans. L’annonce a été un véritable tremblement de terre dans le monde de l’escalade, mais en réalité nous n’avons pas vraiment senti les changements… du moins au début. Deux ans après, le premier championnat du monde au format olympique s’est déroulé à Tokyo récemment. Je n’étais pas là-bas, mais j’ai tout regardé depuis mon écran de l’autre côté de la planète, et je vois déjà à quel point cela affecte l’escalade telle que nous la connaissons.

La question est la suivante : à quelle point la compétition dans le format combiné est-elle un nouveau jeu ? Auparavant, nous avions une compétition de difficulté, une compétition de bloc, une compétition de vitesse, et nous avons maintenant une compétition combinée. Beaucoup se sont arrachés les cheveux en entendant pareil outrage. Mélanger bloc, difficulté et vitesse ! Sacrilège ! Mais voilà, le CIO nous ouvre la porte des JO, ou plutôt entrebâille la porte. Pour commencer, l’escalade se contentera d’une médaille d’or chez les filles, une chez les hommes, et il va bien falloir se les partager en six ! Et cela signifie que nos athlètes doivent tout changer dans leur entraînement, leur état d’esprit, leur préparation physique… Alors va-t-on voir de nouveaux athlètes remporter les Jeux olympiques? Ou alors aurons-nous toujours les mêmes têtes sur les podiums?

Mélanger bloc, difficulté, vitesse en escalade : un sacrilège ?

Si vous n’avez pas suivi les dernières compétitions de Tokyo, voici un résumé des résultats très rapide: Janja Garnbret (femmes, Slovénie) a remporté 3 médailles d’or, difficulté, bloc et combiné, Narasaki Tomoa (hommes, Japon) 2 médailles d’or en bloc et combiné, Shauna Coxsey (femmes, GB) a remporté 2 médailles de bronze… Jakob Schubert (hommes, Autriche) et Akio Nogushi (femmes, JAP) ont également remporté 2 médailles. Il y a donc eu trois classements par domaine (difficulté, bloc, et vitesse) plus un classement combiné, qui a donné ce tableau ci-dessous.

Classement mondial IFSC combiné championnat du monde Japon 2019

Combiné hommes

1. Narasaki Tomoa (JPN)

2. Schubert Jakob (AUT)

3. Khaibullin Rishat (KAZ)

Combiné Femmes

1. Garnbret Janja (SLO)

2. Noguchi Akiyo (JPN)

3. Coxsey Shauna (GBR)

Pour faire les classements, il faut calculer les points de chacun (vous multipliez les classements : place en difficulté x place en Bloc x Place en vitesse) , le premier étant l’athlète avec le moins de points. Donc, si vous remportez l’une des disciplines, vous avez une très grande chance d’obtenir une médaille… Mais cela veut aussi dire qu’une personne aussi brillante en difficulté qu’en bloc et en vitesse, quelqu’un d’homogène, n’est en réalité pas vraiment favorisé.

Je n’entrerai pas dans les méandres des calculs, mais voici un bref exemple de ce que le combiné, imaginé pour les J-O, donne comme résultat. Imaginons que vous soyez en finale aux Jeux Olympiques : vous feriez mieux de gagner dans une discipline et d’être dernier des deux autres disciplines (1, 8, 8) plutôt que, disons, 4, 4, 5. Dans la méthode de calcul, une addition aurait tout changé, mais voilà, la loi, c’est le X, la multiplication. On peut imaginer -hum, les imagine-t-on vraiment, d’ailleurs ? – les entraîneurs nationaux penchés sur leur feuilles de calculs pendant des jours. Avec des grands questionnements: «comment s’entraîner» pour nos athlètes: continuer à se concentrer sur une seule discipline, mettre tous leurs œufs dans le même panier, afin d’obtenir un nombre très bas dans le calcul en cas de victoire dans une discipline ? Ou s’entraîner dans les trois disciplines et risquer d’être moyen et ne même pas se qualifier ?

Avec le système de multiplication en combiné en escalade pour les JO, mieux vaut être premier dans une discipline et dernier dans les autres, que « seulement » bon partout.

OJe reviens sans cesse sur cette méthode de calcul, le multiple, mais ce X est essentiel… L’IFSC en a décidé ainsi, et si au lieu d’un X, c’était un +, nous aurions eu des résultats très, très différents dans les derniers championnats du monde.

Mais voilà, la règle est établie pour les Jeux Olympiques, et les athlètes (et principalement leurs entraîneurs) doivent penser et planifier en fonction de ce X. Il me semble que les athlètes qui se qualifieront, puis remporteront des médailles aux Jeux olympiques, ne sont pas nécessairement les plus forts sur papier, mais ceux dont les plans d’entraînement sont les plus judicieux. Et là j’en reviens à ma règle numéro un en compétition: 

RÉPONDRE À LA QUESTION! 

C’est une loi que m’avait apprise Jérôme Meyer quand je n’avais pas vingt ans : commencer par identifier précisément la question posée en compétition (par exemple le bloc et son format en 4 minutes repose essentiellement sur les qualités de lecture et réorganisation. Inutile de faire du 9a bloc en extérieur !) puis s’entraîner en fonction. Les Jeux Olympiques ont radicalement changé la question, mais jusqu’à présent, nous voyons principalement les mêmes têtes qu’avant. Il faut donc se rendre à l’évidence, l’IFSC a effectivement trouvé, en dépit de tous les grognements, un format qui permet aux meilleurs athlètes de bloc, difficulté et vitesse de gagner encore… ou alors, dit autrement, les meilleurs athlètes ne sont pas seulement incroyables dans leur travail physique, mais ce sont aussi les athlètes plus déterminés, et les plus à même de s’adapter à un nouveau format car ils sont les meilleurs dans leur tête. Et c’est justement ça, le plus intéressant : la compétition d’escalade est toujours, avant tout, un jeu mental, dans lequel vous utilisez votre corps pour jouer ! Si j’avais seize ans, j’imagine que je me serais jetée à corps perdu dans la bataille !

L’escalade est avant tout, y compris en compétition, un jeu mental, dans lequel vous utilisez votre corps pour vous exprimer.

Nous parlons des athlètes de classe mondiale et de leurs rêves, mais qu’est-ce que cela change pour nous, mortels, et nos vies quotidiennes de grimpeurs? Bien sûr, nous verrons notre sport aux Jeux olympiques, et c’est une reconnaissance. Aujourd’hui, vous pourrez dire à n’importe qui, « Je grimpe », quand ils vous interrogent sur vos passe-temps, et ce sera une réponse assez similaire à « Je nage ». Il y a une minute à peine, je me réjouissais de ressentir un sentiment nouveau d’appartenance, écrivant que mon sport était olympique et, l’instant d’après, je réalise qu’en étant olympique, l’escalade devient du tennis, du 100 m. Être grimpeur était exotique, original, audacieux. Aujourd’hui c’est normal. Accepté, mais standardisé. Cela signifie également que lorsque vous vous adressez à une banque pour demander un prêt afin de créer une nouvelle entreprise d’escalade (une salle, une marque, un événement…), les banquiers disposent d’une marge de manœuvre pour l’escalade. Vous obtiendrez un prêt si vous avez monté un bon projet. Le résultat immédiat est que nous voyons des salles d’escalade pousser partout en ville. L’escalade est la mode. (le CIO a peut-être justement accepté notre sport aux Jeux olympiques parce que l’escalade était à la mode ?). Vous lecteur avez probablement déjà vu le changement dans votre vie quotidienne: si vous vivez dans une grande ville, il existe maintenant une salle de grimpe non loin de vous et tous les soirs, elle regorge de citadins qui grimpent. Vous l’avez également vu sur vos médias sociaux: partout vous pouvez voir des photos, des vidéos d’escalade en salle, quelqu’un qui fait un double jeté, une jolie fille en mini brassière faisant une croix de fer entre deux prises…

Mais si vous allez dans une falaise de Trad, ou même dans une falaise sportive… les cailloux sont toujours au même endroit. Il y a plus de grimpeurs en intérieur, mais pas nécessairement plus de grimpeurs en plein air. Vous partez dans le Peak District, Buoux, Siurana, et ce n’est vraiment pas si différent d’il y a quatre ans. Vous rencontrez les mêmes têtes. C’est rassurant en quelque sorte, constate la falaisiste en moi : tous les grimpeurs ne veulent pas ou n’ont pas le temps d’aller dehors et c’est parfait. Très probablement, c’est même une chance, car la quantité de rocher dans nos pays n’est pas infinie, et personne ne veut aller à Buoux pour faire la queue dans une voie, me dis-je.

Bien plus de grimpeurs en salle, pas tant dehors… l’escalade sera t-elle une affaire de plastique à compter de 2020 ? Je ne peux parler que pour les marques avec lesquelles je travaille, mais si des géants comme The North Face, La Sportiva ou même des marques plus petites comme Wild Country ont évidement remarqué l’évolution et attrapent le train en marche en créant plus de chaussons indoor, de vêtements de salle, ils n’ont pas radicalement changé d’orientation. Leurs athlètes sont toujours des alpinistes, des grimpeurs aventuriers et les histoires qu’ils partagent sont toujours des histoires de rocher. Pourquoi ? Parce qu’après tout, c’est toujours là, dans le rocher, que repose l’essentiel.