C’est tout un symbole. Alors qu’on l’attendait plutôt pour débattre face aux autres impétrants, le Président-candidat Emmanuel Macron a gravi le mont Blanc ce 31 mars 2022. Parti du plan de l’Aiguille à Chamonix, il a choisi l’itinéraire des Grands Mulets pour se rendre sur le toit des Alpes. Un geste fort pour celui qui se présente comme le « premier de cordée » des Français. Nous avons eu le privilège d’accompagner la cordée présidentielle au sommet. Reportage.
C’est une ascension pour le moins singulière Ă laquelle Alpine Mag a eu la chance de prendre part. D’aucuns parleront d’un moment historique.Â
Ce mercredi 30 mars 2022, nous quittons le plan de l’aiguille Ă Chamonix, skis aux pieds, pour rejoindre le refuge des Grands Mulets et le sommet du mont Blanc (4807m) le lendemain.Â
Jusque lĂ rien de bien Ă©tonnant. Si ce n’est que notre cordĂ©e est constituĂ©e de rien moins qu’une dizaine de binĂ´mes, dont la plupart ressemblent Ă des agents du GIGN dĂ©guisĂ©s en alpinistes : la garde rapprochĂ©e du prĂ©sident. En effet, au milieu de ce chapelet de tuniques noires, un alpiniste bicolore, pantalon noir, veste blanche, chausse rapidement les skis, les peaux de phoques dĂ©jĂ en place.Â
Aucun hĂ©sitation dans les gestes, l’assurance est visible, voire ostensible. « Je veux montrer par cette ascension que je suis un vĂ©ritable premier de cordĂ©e pour la France de demain » explique solennellement Emmanuel Macron. Nous lui faisons remarquer que trois cordĂ©es nous prĂ©cèdent pour ouvrir la voie et que trois autres ferment la marche, ce qui fait beaucoup pour un premier de cordĂ©e. Il nous rĂ©torque qu’il « ne cĂ©dera pas Ă nos propos cyniques et extrĂªmes ».Â
Le service de sĂ©curitĂ© du PrĂ©sident nous interdit de prendre des photos. Mais nous parvenons tout de mĂªme Ă photographier discrètement. Ici, les jambes du PrĂ©sident. ©Ulysse Lefebvre
Je veux montrer par cette ascension
que je suis un véritable premier de cordée
pour la France de demain
On a peine à croire que c’est bien le président de la République qui, derrière ses lunettes de soleil, scrute les glaciers de Taconnaz et des Bossons et les sommets alentours, lui qui scrutait quelques heures plus tôt les pics du cours du pétrole et du gaz russes.
A vrai dire, en ce moment, c’est Ă se demander si la gestion de la crise ukrainienne n’est pas prĂ©fĂ©rable au franchissement de la Jonction. Le PGHM de Chamonix et l’association la Chamoniarde ont d’ailleurs dĂ©conseillĂ© l’itinĂ©raire, pour cause de chaos trop important Ă ce point de convergence entre les deux masses glaciaires. En ce moment, les ponts sont fragiles, les crevasses plus profondes que jamais. On croit que ça passe crème, mais tout peut s’écrouler d’un instant Ă l’autre.
Mais Macron en a vu d’autres : « Quand on veut on peut. Pas de lieu sĂ»r dans ce chaos ? Mais je traverse le pont de neige et je vous en trouve un moi ! » s’exclame le prĂ©sident, Ă©tonnant de confiance en lui.Â
PAS DE lieu sûr dans ce chaos ?
Mais je traverse le pont de neige
et je vous en trouve un moi !
Le chaos de la Jonction. ©Ulysse Lefebvre
Pourtant, il hĂ©site un instant. Mais après avoir reçu quelques conseils de l’un de ces guides-bodyguards les plus Ă©minents, un MacQuiSait, Macron franchit, dĂ©passe, et se relance vers le refuge des Grands Mulets maintenant visible au loin.Â
Grand esprit aux grands mulets
Au refuge, la fameuse bibliothèque de livres de montagne emporte le prĂ©sident passionnĂ© de littĂ©rature. On s’attend Ă une envolĂ©e lyrique mais Macron garde les pieds sur terre : « Tant de livres ramenĂ©s si haut en montagne, ça doit coĂ»ter un pognon de dingue ! » Le gardien lui explique que non, que tous ont Ă©tĂ© montĂ©s gracieusement par les alpinistes dans leurs sacs Ă dos. Il opine du chef mais il n’écoute plus. Ses pensĂ©es toutes entières sont dĂ©jĂ tournĂ©es vers de nouveaux horizons, vers ce mont Blanc dont il compte bien atteindre le sommet demain matin.Â
Tant de livres ramenés si haut en montagne,
ça doit coûter un pognon de dingue !
La fameuse bibliothèque du refuge des Grands Mulets. ©Ulysse Lefebvre
Le soir, entre la soupe et les pĂ¢tes carbo, deux options sont mises sur la table : remonter par les grands Plateaux, l’itinĂ©raire historique, moins raide mais très crevassĂ© ; ou alors l’arĂªte nord-est du DĂ´me du GoĂ»ter, raide et très glacĂ©e en ce moment. Les guides conseillent la première option.
Mais Macron n’en a que faire. Il refuse de discuter et va se coucher. « Je ne me dérobe pas. Je vous dis juste que nous prendrons au plus direct. Bonsoir. » Dont acte.
Quoiqu’il en coûte, j’irai là -haut
Le sommet de dieu
L’arĂªte nord-est du GoĂ»ter est tellement en glace qu’on doit tirer des longueurs. Devant nous (impensable de le doubler), Macron tire Ă la broche, zippe et transpire Ă grosses gouttes quand le soleil se lève dans l’axe de l’aiguille du Midi.
Alors qu’on lui souffle l’idée de faire demi-tour sur conseil des guides, il s’emporte : « Hors de question, qu’ils viennent me chercher ! » Las, nous continuons nez dans le guidon. Le président Macron parvient au col du Dôme, péniblement, puis à l’abri Vallot. Il y fait une pause, le souffle court.
L’idĂ©e du sommet nous semble Ă tous de plus en plus improbable. Mais le PrĂ©sident insiste : « Quoiqu’il en coĂ»te, j’irai lĂ -haut ! » crie-t-il Ă qui veut l’entendre, tout en reniflant une petite fiole (NDLR : des traces de chloroquine seront retrouvĂ©es plus tard dans les urines des toilettes du refuge des Grands Mulets).Â
je me tiens au sommet du mont Blanc,
point culminant des Alpes
et en mĂªme temps le sommet du monde
L’abri Vallot, l’arĂªte des Bosses et le sommet du mont Blanc, un sommet prĂ©sidentiel en ce jeudi 31 mars 2022. ©Ulysse Lefebvre
L’arĂªte des Bosses est enfin passĂ©e. Il aura fallu redemander conseil entre les deux (bosses) auprès d’experts pour savoir s’il valait mieux se placer sur le fil gauche ou sur le fil droit de l’arĂªte. Une coĂ»teuse dĂ©cision…
La pente dĂ©jĂ peu raide se dĂ©-raidit encore. Nous y sommes, c’est le plateau sommital de ce bon vieux mont Blanc. Il l’a fait. Macron est au sommet. Il exulte. « En ce jeudi 31 mars 2022, je me tiens au sommet du mont Blanc, point culminant des Alpes et en mĂªme temps le sommet du monde ». Un « en mĂªme-temps » quelque peu excessif cette fois, probable effet du manque d’oxygène.Â
Enfin le Président se détend et nous sommes autorisés à prendre le traditionnel selfie avec le mont Blanc en arrière plan. ©Ulysse Lefebvre
Mais une fois de plus, nous nous permettons de lui faire remarquer que l’arrivĂ©e au sommet n’est que la moitiĂ© de la course. Reste la descente et tous ses dangers. Plein de rĂ©partie, il nous rĂ©torque : « Et en mĂªme temps, le proverbe bouddhiste dit qu’une fois au sommet, il faut continuer Ă grimper. » Ouais enfin faut pas exagĂ©rer pense-t-on intĂ©rieurement.
Sur ces mots, nous remettons une petite veste alors que le vent se lève.
Du monde arrive au sommet, d’autres prétendants, d’autres impétrants avec leurs arguments. Il va falloir faire preuve de beaucoup d’imagination pour prolonger l’ascension du « Premier de cordée des Français ». Mais ça, nous vous le raconterons dans un prochain épisode, plus tard en avril…