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Hommage à Pierre Pietri, figure de l’escalade Corse

Pierre Pietri dans Spasme Génésique 7b, Caporalino, 1986 (premier 7b de Corse), photo Stéphane Pennequin.

La soixantaine à peine entamée, une légende de l’escalade corse vient de disparaître. De la Paglia Orba au Monte Cintu, le guide Pierre Pietri a ouvert nombres de voies marquantes de l’île, que ce soit en solo, en cordée, piton ou coinceur à la main, sans oublier les couloirs défrichés en ski de pente raide. Par dizaines ses voies corses ont marqué l’époque récente : son style est partout, et restera imprimé dans la peau des doigts des grimpeurs, qu’ils soient locaux ou de passage. Hommage.

Le célèbre Pierre Pietri, parfois affectueusement surnommé « Double Stone », l’un des tous meilleurs montagnards Corses, vient de perdre le dernier round de son combat contre ce satané crabe de malheur. La tristesse est immense.

Difficile de savoir par où commencer pour saluer la mémoire de ce véritable personnage à la carrière verticale brillante. Il fut, avec Ghjuvan Paulu Quilici et Pierrot Griscelli entre autres, l’un des pionniers de l’alpinisme et de l’escalade insulaire, et également l’un des premiers Guides de Haute Montagne de l’île.

La grimpe, Pierre l’avait dans le sang. J’ai le souvenir marquant d’un beau cliché de lui dans les dévers torrides de St Florent, torchant « Acide galactique », un 8b ultra-physique à cinquante balais bien sonnés.  Musculature d’acier, mental hors normes (on ne compte plus ses solos en rocher, en alpinisme ou ses traces en pente raide engagée), talents d’ouvreur et d’équipeur certains, c’est un guide très complet et talentueux que la Corse pleure aujourd’hui.

Pierre Pietri, solo de Boulmichael 6c+, Caporalino, 1986. ©Stéphane Pennequin

A la ville, les qualités humaines de Pierre bénéficiaient aux enfants qui avaient l’opportunité de passer du temps dans la salle de classe de cet instituteur pas comme les autres. Les adultes n’étaient pas oubliés pour autant, Pierre sachant régaler ses interlocuteurs de sa grande culture littéraire, d’un humour aiguisé, et de ses connaissances musicales pointues. Broyer de la réglette de ses doigts surpuissants n’était pas son seul plaisir, frapper des peaux tendues à l’aide de baguettes de bois lui apportait également son lot de bonheur.

En montagne, son nom est accolé à certaines des plus belles, audacieuses, et exigeantes voies de l’île, et d’ailleurs. L’hiver, les moindres recoins de Trimbulacciu et autres couloirs dissimulés des vallées reculées du centre Corse n’avaient pas de secret pour lui.  En dépit de la maladie et de la lutte qu’il a menée avec ténacité et résilience, il a continué à grimper, jusqu’au bout, même sur un bout de caillou sans prétention à proximité de son domicile, pendant le confinement. L’escalade chevillée au corps on vous dit.

Encore tout récemment il demeurait engagé dans des débats passionnants et complexes, touchant au rééquipement de ses voies, notamment aux Cascioni. Toujours avec des points de vue tranchés et une argumentation ciselée. On ne se refait pas. Les années à venir nous feront pleinement prendre conscience et apprécier son oeuvre gigantesque, ainsi que la trace indélébile qu’il va laisser dans le monde vertical.

Resteront de Pierre son mythique « petit livre bleu », d’innombrables itinéraires originaux, variés et souvent de haut vol, le tout flanqué un sourire surmonté d’une improbable moustache ayant traversé les époques et les modes. La maladie a donc emporté Pierre, que l’on avait fini par croire invulnérable. Elle ne peut rien contre son legs, gravé dans le granite, ainsi que le feu sacré qu’il portait en lui et qui vit à travers tous ceux qui aiment les montagnes en général, et la Corse en particulier.

Simu tutti urfanelli oghje o Pè, ripos’in pace.*

* Nous sommes tous orphelins aujourd’hui Pierre, repose en paix