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Yosemite | le Nose en moins de deux heures, record battu !

Alex Honnold et Tommy Caldwell ont gravi les mille mètres du Nose en moins de deux heures. Une heure, 58 minutes, et sept secondes : le temps très court qu’il leur a fallu pour gravir l’emblématique paroi d’El Capitan. Un record que l’on peut annoncer sans doute comme absolu.

Hier matin, Alex Honnold et Tommy Caldwell ont ont atterri sur Mars. Ou presque. Il est délicat d’établir des comparaisons mais heureusement, la course à pied est là pour mettre les choses à plat. Deux heures, c’est la barrière mythique que les meilleurs marathoniens rêvent de battre – et qui a été approchée par le kenyan Eliud Kipchoge. Deux heures, l’horaire impensable, le rythme infernal qu’il faut endurer, inimaginable même pour les meilleurs : car à mesure que le record s’aiguise, plus il est inatteignable, fut-ce par les plus valeureux. Comment en vient-on à gravir mille mètres d’escalade très difficile en moins de temps qu’il ne faut à une cordée très entraînée pour grimper trois ou cinq longueurs ? Il faut une génération, ou deux, ou trois, pour que l’horaire s’améliore. Et encore. Ce serait à peine valable pour le marathon, où les minutes s’améliorent en dizaines d’années. Alors en escalade ? Posons le décor. El Capitan, voie du Nose. Une trentaine de longueurs, entre 5c et 7a+/A1 (ou 8b+/c pour Lynn Hill). Mille mètres d’escalade où malgré l’artif sur coinceurs et les ficelles du métier, l’absence d’équipement à demeure, une absence majoritaire en dehors des relais, rend obligatoire la progression naturelle, physique. Si vous ne voulez pas vous coltiner le Great Roof en 8a, alors il faudra artifer, en A1 sur coinceurs, c’est-à-dire que vous les placez. Que Alex, ou Tommy, a placés, à la vite. En courant. En profitant de quelques points, camalots rouillés, rares pitons en place, pour sauter sur le point suivant. N’empêche.

©ReelRock

Speed-climbing

Qui aurait cru que le record du Nose tomberait sous les deux heures avant celui du Marathon ? Certes, Eliud Kipchoge le kenyan a réussi le temps incroyable de 2h00 et 25 secondes pour les mythiques 42 kilomètres. Mais Alex Honnold et Tommy Caldwell ont réussi en 1h58minutes et 7 secondes. L’horloge démarre quand le leader quitte le sol. Et s’arrête quand le second touche l’arbre qui se trouve à quelques mètres de la sortie, mille mètres plus haut. On a écrit, déjà, à propos de la technique qui a permis à Alex et Tommy de battre le record. Simul-climbing et short fixing : en français escalade en simultané et corde « fixée court ». Autrement dit le leader fixe la corde en fin de longueur, et débute la longueur suivante avec une large boucle de mou pendant que le second jumarde à toute vitesse. Ce que l’on a pas dit, c’est le prix à payer. Brad Gobright et Jim Reynolds ont été les premiers à raviver la flamme du record du Nose ce printemps. Gobright est un soloiste sur les pas d’Honnold et la vallée du Yosemite et surtout Camp 4 (le camping des grimpeurs) est trop petit pour croire que tout le monde n’était pas au courant, Honnold en tête.

Deux heures, l’horaire impensable, le rythme infernal qu’il faut endurer, inimaginable même pour les meilleurs

Les deux outsiders réussissent leur coup : après une dizaine de tentatives ils bouclent le Nose en 2 heures 19 minutes et 44 secondes, diminuant de quatre minutes le record précédent, œuvre de Honnold et Hans Florine, un vieux routier du Nose, qui a eu détenu plusieurs records du Nose. Florine a réussi le Nose en 4h22 en 1992 avec Peter Croft, puis a atteint 2h37 avec Yuji Hirayama en 2008, et enfin 2h23 avec Honnold en 2012, ce qui censément achevait la course au record. Car celui-ci n’est pas celui du marathon. La mode du speed climbing n’est pas sans risques, loin s’en faut. Gobright et Reynolds l’ont admis : entre les boucles de mou grandioses, l’assurance inexistante du leader et quelques sections d’escalade en simultané il ne valait mieux pas tomber sur 85% du Nose, d’après leur expérience. Une cordée en a payé le prix, comme le raconte notre confrère Outside sous un titre évocateur : the outrageously High cost of speed climbing – nous y reviendrons. Peu de temps après que Alex Honnold et Tommy Caldwell aient établi un premier nouveau record sur le Nose en 2h10, le vétéran Hans Florine, qui a détenu le record en 1992, 2008 et 2012 gravissait El Cap en style speed climbing, mais chutait de 9 mètres dans la 22ème longueur, se brisant les deux jambes à l’arrivée. À l’automne dernier, une ascension hyper rapide du Nose de la grimpeuse Quinn Brett, qui eu par le passé le record féminin, se solda par une chute dramatique, puisqu’elle se brisa une vertèbre et finit paralysée. Mais il y a une quinzaine de jours, c’est deux vétérans du Yosemite, deux grimpeurs de haut niveau rompus aux subtilités d’El Capitan qui ont trouvé la mort lors d’une ascension en speed climbing : Tim Klein et Jason Wells sont tombés alors qu’ils grimpaient à toute allure la fin des Freeblast, la section inférieure de Salathé Wall. Habitués aux records de vitesse ultra morderne, ils semblent qu’ils soient tombés dans une longueur facile (en 5.7 soit 4+/5) pour la raison la plus simple et la plus cruelle en alpinisme : l’un d’eux a commis une erreur qui a précipité la cordée dans le vide.

©Jocelyn Chavy

La longue tradition des chronos

La vitesse a toujours fait partie d’une certaine notion d’excellence en alpinisme. Et même proche d’un gros mot, planté par Pierre Allain lui-même, dans son livre justement titré Alpinisme et Compétition. Là où les meilleurs grimpeurs des années trente butaient face à l’impossible face nord de la Cima Grande de Laverado, Emilio Comici traçait une voie futuriste en 1933, et laissait pantois le monde de l’alpinisme en répétant sa voie en solo quatre ans plus tard en 3h45, alors que personne n’était capable de grimper cette voie quelques années plus tôt, même avec un bivouac. En 1961, Claudio Barbier réussissait l’impensable : l’enchaînement de cinq voies dont les deux faces nord « historiques » en solo à la journée, là où les meilleurs cordées auraient mis une semaine. Dans le massif du Mont Blanc, les meilleurs d’après-guerre se tiraient la bourre et tentaient toujours d’améliorer l’horaire sur une course de référence, fut-elle extrême, de Lionel Terray et Louis Lachenal à Nicolas Jaeger. Autre exemple : Christophe Profit à la face ouest des Drus. Il grimpe la Directe américaine en trois heures en solo en 1982, alors que la moyenne d’ascension tourne autour de deux jours dans la paroi. Christophe avait réalisé six fois la directe avant de la faire en solo. Quand Ueli Steck pousse le record de la face nord de l’Eiger, ce n’est pas une nouveauté. D’autres avant lui ont été tenté de gravir ces 1800 mètres de la plus impressionnante face nord des Alpes le plus rapidement possible : à ce jeu l’allemand- devenu monégasque- Thomas Bubendorfer fut incroyable, bouclant l’Eiger en moins de cinq heures. En 2015 Ueli Steck porta ce record à seulement 2h22. Mais la clé, à l’Eiger comme sur le Nose, réside dans les réglages et l’apprentissage. Le réglage des détails, matériel et options d’itinéraires sur l’Eiger, numéros de coinceurs mécaniques (et leur emplacement) par longueur sur le Nose, emplacement des prises clés dans les longueurs les plus délicates. Ueli avait cinquante ascensions de la face nord de l’Eiger à son actif. Pas de mystère dans la voie donc, mais un secret : celui d’arriver à grimper en solo à toute vitesse des passages extrêmement délicats. Or dans le Nose, on a un Alex Honnold qui connaît la voie au point de s’y être engagé plusieurs fois en solo, notamment quand il a réalisé l’enchaînement royal -appelé Triple Crown- Mont Watkins, Half Dome, El Cap par le Nose en 2012 : probablement l’enchaînement en solo en moins de 24 heures le plus impressionnant de ces trente dernières années.

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Avant de réussir le Nose en 2h10, et donc avant de réduire cet horaire de douze minutes (environ) la cordée Honnold Caldwell a fait 8 « essais » dans le Nose. Ils ont ensuite, le 4 juin, descendu le record à 2h01 minutes et cinquante trois secondes. Imaginez faire El Cap troi ou cinq fois par semaine. Outre l’endurance phénoménale que cela sous-entend, on ne peut qu’être sans voix devant l’engagement que cela demande. L’exposition, même, puisque la chute est interdite dans la plupart des cas. Les techniques utilisées sous-tendent des longues sections non protégées pour le leader, qui pourraient mal finir – comme les malheureux récents exemples. Malgré les répétitions « laps » comme eux mêmes les définissent, comme si un aller-retour dans El Cap équivalait à aller faire un aller-retour dans votre 6a d’échauffement, ou plutôt à cause de ces « laps », le danger guette : Caldwell le père de famille s’est collé une chute de trente mètres lors d’un de ces essais, chute heureusement sans gravité. L’expérience sans commune mesure d’Honnold, seul homme à avoir gravi El Cap en solo (par une autre voie) compte énormément. Mais il n’y a pas besoin de se frotter au granite lisse et implacable d’El Cap pour savoir que chuter de trente mètres est néfaste à la santé. Combien de répétitions, d’affinage des réglages et de tentatives fallait-il avant que la ligne rouge ne soit franchie ? Personne ne voulait le savoir, même si comme dans tout jeu risqué, tout le monde rêvait du record sans avoir conscience des risques pris par ceux qui ont joué ce jeu. Tommy Caldwell et Alex Honnold ont sans doute franchi le Rubicon, mais ils ont eu le talent, et non la chance, d’en revenir sains et saufs.