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Torre Trieste | Grimpe (dur) et vole (vite)

Samedi 14 octobre, 7h45, 2 458m d’altitude. Les premiers rayons de soleil viennent lécher la cime de la Torre Trieste dans les Dolomites. Deux hommes sortent de leur torpeur. La veille ils ont fait l’ascension de cette  paroi emblématique des Dolomites par la voie Cassin. Là, au bord du vide, ils se préparent à sauter, chargés de l’ensemble du matériel.

Cette aventure est partie d’un constat simple : lors de grosses ascensions, les descentes sont souvent longues, fastidieuses et parfois exposées. Comment s’affranchir de telles contraintes ?

Arnaud Bayol du Groupe Militaire de Haute Montagne et Alban Alozy, détaché au GMHM pour l’occasion,  pratiquent le BASE jump depuis plusieurs années, et plus particulièrement « la traque ». Cette discipline consiste à sauter d’un sommet avec une combinaison et à dériver le plus loin possible, le tout sans ailes de bras ni de jambes comme en possèdent les wingsuits.

L’idée est là. Grimper une voie avec tout le matériel nécessaire à l’ascension, y ajouter une combinaison de dérive et un parachute, puis une fois au sommet, sauter, avec l’ensemble du matériel. Le paralpinisme au sens strict du terme. Reste à trouver des projets qui « collent ». Une voie d’escalade assez raide pour pouvoir hisser deux parachutes et deux combinaisons, et assez haute pour permettre de sauter et prendre son envol. Arnaud explique : « La Torre Trieste avait été sautée la première fois en Juillet 2003 par Erich Beaud, Alastair Marsh et Laurent Pechberty en passant par la voie normale. Depuis de nombreux base-jumpers ont fait ce saut, le plus souvent après une  dépose au sommet en hélicoptère. Il n’y a pas de voie facile pour grimper cette tour, mais l’enchainement d’une voie « dure » avec le saut n’avait jamais été réalisé !  Nous voulions savoir s’il nous était possible de grimper 23 longueurs d’une voie coté ED- ;  être assez rapide pour limiter l’emport de matériel ; (nourriture, réchaud matériel de bivouac…) pour ensuite ranger le tout à l’intérieur de nos combinaisons. Une stratégie était primordiale ! Cette tour possède toutes les caractéristiques pour notre expérimentation. D’une part, la voie est raide et  permet plusieurs échappatoires. D’autre part, et c’est le point clef, le saut est très haut et facile. Nous ne pouvions pas nous permettre  de sauter une face plus technique en emportant tout le matériel sur nous, le curseur de l’engagement était suffisamment élevé. »

Au total, pas moins de 20 kg sur les épaules du second !
les traversées du premier bastion en VII+ /A1 se compliquent.

Nous l’avons compris, mettre du matériel dans une combinaison qui n’est pas faite pour ça n’est pas simple, des choix s’imposent. Alban : « Initialement le projet était de hisser un sac léger (que l’on pouvait compresser dans nos combinaisons) dans lequel nous avions mis nos parachutes, nos combinaisons de saut, 4 L d’eau  et un tapis de sol. Nous n’étions pas sûrs de notre rapidité. Si l’ascension s’éternisait, nous voulions pouvoir passer une nuit au sommet, ou à défaut sur une vire intermédiaire. La suite s’est légèrement compliquée. Le bas de la voie n’était pas très raide, de jolies prises en calcaire abrasif regardaient le bas du pilier. Résultat, dès la première longueur le sac de hissage s’est ouvert, répandant au passage les 4L d’eau.  Changement de stratégie. Nous abandonnons le sac, le tapis de sol, les vêtements mouillés et la bouteille d’eau. Matériel que nous irons chercher au pied de la voie le lendemain. Après notre réorganisation, le leader grimpera avec un sac contenant une combinaison 1L d’eau et quelques barres énergétiques, total 5kg. Le second avec un sac contenant les deux parachutes la deuxième combinaison, les 3 derniers litres d’eau et 30m de corde de hissage. Au total, pas moins de 20 kg sur les épaules du second ! Autant dire que les traversées du premier bastion en VII+ ou A1 se compliquent. De même pour les passages verticaux en 6c de la deuxième partie de la voie. Le moindre devers coute beaucoup. Notre stratégie de voie verticale s’est retournée contre nous.

Les cordes sont enroulées autour du ventre,

Mais la motivation est là. Nous respectons nos butées horaires tout au long de l’ascension, nous offrant même le luxe de sortir la voie en 10h (voie donné pour 8 à 12h) ! Et de croire jusqu’au dernier moment au saut le jour même. Mais la réalité nous rattrape vite. Le soleil, en train de se coucher sur notre perchoir 3 étoiles, a quitté la vallée depuis longtemps et l’aire de poser est déjà sombre. Nous devons trouver l’exit (c’est-à-dire l’endroit d’où nous allons nous élancer) et nous équiper avec tout le matériel. Bref, le saut sera pour demain matin, nous allons bivouaquer ! Lit de corde, couverture en combinaison, la nuit sera longue.  Au petit matin, il n’y a pas de vent. Nous prenons le temps de nous équiper, de repérer le saut. Les cordes sont enroulées autour du ventre, le matériel technique est réparti sur les portes matériels, les chaussons et le sac à magnésie calés contre le ventre. Le tout est recouvert de la combinaison et du parachute. Une fois prêts à partir nous ne pouvons même plus faire nos lacets ! »

3-2-1 BASE. La face est immense. Le saut est abyssal.  9h15 Départ, 30 secondes de vol, ouverture du parachute, un peu plus de 2 minutes sous voile. Et pour finir, un poser de type école à 2 mètres  de la voiture. La descente classique est compliquée et aurait demandé 5 à 8 heures d’efforts, sans parler des risques de chutes de pierres ! Incroyable nous avons mis 2min 31s.

La cordée a réussi son pari. De quoi donner des idées.  Nombre de sommets peuvent être sautés, beaucoup de voies esthétiques y mènent. Les innovations techniques dans le domaine de l’alpinisme bénéficient d’une forte dynamique depuis plusieurs années. La pratique du paralpinisme  est en pleine évolution, cet enchainement y contribue et nous permet d’envisager de nouveaux projets.

La descente classique  aurait demandé 5 à 8 heures d’efforts,
nous avons mis 2min 31.