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Sustainable Summits | L’alpinisme face au réchauffement climatique

Ludovic Ravanel

Écroulements, retraits glaciaires, fonte du permafrost, la haute montagne est aux avant-postes du changement climatique. Quelles en sont les conséquences sur les pratiques de l’alpinisme ? À l’occasion de la 4ème Sustainable Summits Conference à Chamonix le scientifique Ludovic Ravanel a précisé les contours des bouleversements à venir, et comment s’y adapter.

Le réchauffement climatique se manifeste parfois de manière inattendue en montagne. Si on évoque de longue date le recul important des glaciers, ce n’est en réalité que la face visible d’un phénomène de transformation beaucoup plus profond. En altitude, des pans entiers de parois sont maintenus grâce à l’action conjuguée du froid et de l’eau, qui s’immisce dans les interstices et gèle. Cette glace cimente les montagnes. Or, sa présence n’est rendue possible que par l’existence du permafrost en altitude, ces sols dont la température reste négative toute l’année et qu’on retrouve également dans les haute latitudes du globe, comme en Sibérie. Avec la hausse des températures, le permafrost souffre, et remonte en altitude. Les conséquences sont terribles. La fonte de la glace ne permet plus la cohésion des roches entre elles, ce qui conduit à des éboulements. Le plus marquant d’entre eux fut sûrement l’effroyable effondrement du pilier Bonatti, dans la face sud ouest des Drus, fin juin 2005. Une catastrophe qui a laissé une cicatrice de granit clair, et fait figure d’avertissement.

 

La fonte du permafrost modifie autant le paysage que les habitudes des alpinistes. Géomorphologue au CNRS, spécialiste des conséquences du réchauffement climatique en montagne et par ailleurs guide de haute-montagne, Ludovic Ravanel assure que « si on mettait les mêmes bonhommes aux mêmes endroits que dans les années 80, aux mêmes moments de l’année, il y aurait des morts dans tous les sens. » Le scientifique chamoniard constate une hausse réelle du nombre d’écroulements, surtout lors d’étés caniculaires comme en 2003, 2015 et 2017. L’alpinisme doit continuer à s’adapter. Mais quelle est l’ampleur des changements à venir, et comment les affronter ? Réponses recueillies lors de la Sustainable Summits Conference, un sommet interdisciplinaire organisé par la Fondation Petzl et qui a réuni 250 scientifiques et intervenants à Chamonix la semaine dernière.

Comment évolue le permafrost dans le massif du mont Blanc et en quoi est-ce la clé des bouleversements à venir ?

Les écroulements rocheux se produisent en raison de la dégradation du permafrost. Il faut avoir du permafrost pour avoir cette dégradation. Les parois les plus instables sont donc celles situées au-dessus de 2500 mètres d’altitude mais encore faut-il que la fracturation des roches soit favorable à la déstabilisation. Toutes les montagnes n’ont pas, heureusement, une structure géologique favorable à ce phénomène. Mais la limite inférieure du permafrost a tendance à remonter, et on s’attend à ce que à la fin de ce siècle, en prenant un scénario “moyen” de réchauffement climatique, il n’y ait plus de permafrost en dessous de 3500 mètres d’altitude. Cela va avoir des répercussions sur beaucoup de montagnes, et par ricochet sur des activités et des infrastructures présentes en montagne, comme les refuges pour lesquels on nous demande d’évaluer les risques de déstabilisation par exemple.

Peux tu nous préciser les changements auxquels on assiste et leur impact sur l’alpinisme ?

Il y a tout un tas de secteurs qui évoluent très rapidement depuis une ou deux décennies comme l’Aiguille du Tacul ou la Tour Ronde, des secteurs autrefois très fréquentés qui deviennent maintenant très dangereux dès le début de saison, avec déjà des écroulements à la mi-juin. Avec la fonte du permafrost et le retrait de couvertures glacio-nivales, on s’achemine vers des périodes de plus en plus compliquées pour les alpinistes traditionnels. Ils vont devoir s’adapter, fréquenter des secteurs rocheux à plus basse altitude. Ils vont devoir aussi changer de saisonnalité. C’est-à-dire que l’alpinisme traditionnel qui se faisait au coeur de l’été va aujourd’hui se faire plutôt au printemps, voire même en fin d’hiver. On pourra même avoir de très belles conditions survenir à l’automne ou au début de l’hiver. Pour l’alpinisme, il y a une problématique forte, à savoir l’évolution des couvertures glacio-nivales. La face nord des Grands Charmoz, par exemple, était autrefois complètement recouverte de glace et de neige. Cette couverture a totalement disparu à l’été 2017. Pour la première fois on avait une face vierge de glace. C’est aussi un problème pour la stabilité des montagnes puisque cette protection de glace préservait le permafrost sous-jacent. Aujourd’hui, la tranche d’altitude la plus touchée par les éboulements se situe entre 3200 et 3500 mètres.

La niche des Drus va bientôt rejoindre le pilier Bonatti dans les livres d’histoire. Photo prise lors d’un exercice héliporté. ©Jocelyn Chavy

Quelles sont les zones où cette réduction des glaces a été étudiée ?

En termes de surface, les couvertures glacio-nivales se réduisent énormément. On le remarque sur les zones que l’on étudie, sur face nord des Grandes Jorasses au niveau du Linceul, sur la face nord de la Tour Ronde et sur le Triangle du Tacul. La diminution est drastique. À la Tour Ronde, à neuf mètres de profondeur, c’est-à-dire au niveau du rocher, la température est de -6 degrés Celsius, ce qui reste relativement froid. En revanche, on a fait la même mesure sur le versant nord de l’Aiguille du Midi, au niveau d’un glacier suspendu, et là on trouve seulement -0,5 degrés sur un rocher ensevelis sous… 16 mètres de glace. Cette couverture de glace et de neige se révèle donc relativement chaude, on appelle ça un glacier tempéré. Cela pose pas mal de questions pour la stabilité du glacier. Les températures se réchauffent beaucoup autour de 3000 à 3300 mètres, à peu près l’altitude de l’Éperon Tournier où le niveau de dégel à la fin de l’été 2017 était supérieur aux années précédentes. Au final, un éboulement massif s’est produit et ce sont 44 000 mètres cube de roche qui se sont détachés.

Comment les alpinistes s’adaptent-ils à ces changements ?

Concernant les pros, les jeunes guides ont une pratique qui s’est développée alors que les conditions liées au réchauffement climatique étaient déjà prégnantes. les anciens ont plus de mal à s’adapter. Y a une différence d’appréciation des effets du réchauffement climatique selon les générations. les jeunes guides sont nés avec le réchauffement et ont déjà emprunté une montagne abîmée l’été. Alors que ceux qui ont travaillé dans les années 70 et 80 où les conditions étaient excellentes ont du mal à s’habituer. Avec jacques Mourey, on a développé une idée assez originale qui consiste à comparer les courses figurant dans les Cent Plus Belles Courses du massif du Mont Blanc de Gaston Rébuffat avec les conditions actuelles. Le livre de Rébuffat date de 1972. On a l’état de la montagne à cette période, et maintenant. On voit qu’il y a des itinéraires qui ont été complètement abandonnés, voire qui ont disparu comme le pilier Bonatti. Il y a aussi des itinéraires qui ont fortement changé avec des modifications d’itinéraire et une saisonnalité qui n’est plus du tout la même. Par exemple l’Aiguille Verte, on n’y va plus l’été, mais plutôt au printemps, voire en fin d’automne quand il a reneigé. Il y a plein d’évolutions qui supposent des modifications de la pratique de l’alpinisme.

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Peut-on prévoir des versants particulièrement sensibles au réchauffement climatique, en fonction de leur orientation, de leur structure ?

La structure géologique est un facteur très important pour expliquer la déstabilisation. Si la structure n’est pas favorable il n’y a pas de déstabilisation. Quand on croise cela avec les données de température, cela revient à dire que la tranche altitudinale la plus affectée par le réchauffement climatique c’est entre 3200 et 3500 mètres là où les conditions sont favorables aux écroulements. Il n’y a pas forcément de versant concerné, face sud, ou face nord, c’est la dégradation du permafrost qui associé à la structure géologique qui va être favorable ou non aux écroulements. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique au massif du Mont Blanc, mais c’est là où on a le plus de données, que l’on collecte depuis 2005. Dans les Ecrins on n’a pas assez de recul et de données pour pouvoir faire de comparaison avec ce qui se passe ici, où l’on a un massif qui fait 40km de long sur 15 de large qui est bien plus petit et bien plus facile à étudier.

L’Aiguille du Goûter, où passe la voie normale du Mont Blanc, est sujette à de fréquents éboulements.
©Jocelyn Chavy. .

La disparition des couches glacio-nivales provoque t-elle de nouveaux dangers ?

Les couvertures glacio nivales ont plusieurs intérêts. Bien sûr d’un point de vue alpinistique ca fait mal au coeur de les voir disparaître. Mais surtout, la relation entre ces plaques glacio-nivales et le permafrost est très méconnue. Est ce que ça protège, est ce que au contraire ça a empêché le rocher de refroidir lors des dernières périodes glaciaires, il y a plein de questions posées. Aujourd’hui ce que l’on voit c’est qu’en termes de surface les couvertures glacio-nivales se réduisent énormément. On a travaillé là dessus sur la face nord des Jorasses secteur Linceul, sur la face nord de la Tour Ronde, et sur le Triangle du Tacul, et là on voit une réduction drastique de ces couvertures depuis une ou deux décennies. On se questionne aussi niveau thermique. On a fait des forages dans ces couvertures glacio-nivales pour connaître la température, notamment à l’interface entre la glace et la roche, pour savoir si on est proche d’une température de zéro degré (qui serait défavorable) ou au contraire des températures très négatives. On a déjà quelques résultats. Par exemple à la face nord de la Tour Ronde, à 9 mètres de profondeur, au niveau du rocher, on a des températures entre -5° et -6°c. cela reste relativement froid. par contre on a fait la même chose à l’Aiguille du Midi, en face nord sur un glacier suspendu, et on trouve le rocher à 16 mètres de profondeur dans la glace, on a seulement moins 0.5 degré. Ca veut dire relativement chaud, on dit “tempéré” pour un glacier. Or cela pose des questions quant à la stabilité du glacier suspendu qui se trouve juste en aval de ce forage. Les températures se réchauffent beaucoup autour de 3000 à 3300 mètres, à peu près l’altitude de l’Éperon Tournier où le niveau de dégel à la fin de l’été 2017 était supérieur aux années précédentes. Au final, un éboulement massif s’est produit et ce sont 44 000 mètres cube de roche qui se sont détachés.

Comment agissez-vous avec les autres scientifiques ?

Plus on avance plus on a des nouvelles questions qui surgissent. on met en place d’autres recherches, des doctorants, on va chercher des compétences qu’on n’a pas ailleurs. Par exemple la glace de l’Aiguille du Midi est datée par les confrères du LGGE de Grenoble qui ont les compétences pour ce faire.On fait aussi de la sensibilisation pour faire en sorte que le taux d’accidentologie n’augmente pas. Le monde de l’alpinisme s’adapte rapidement. Il n’y a pas beaucoup plus d’accidents aujourd’hui qu’hier. L’augmentation de la dangerosité de la haute montagne ne se traduit pas par une augmentation directe de l’accidentologie, et c’est une bonne chose. Si on mettait les mêmes bonhommes aux mêmes endroits que dans les années 80, aux mêmes moments de l’années, ce serait terrible. Il y aurait des morts dans tous les sens.

 

Cet article est la version longue et complète de l’interview de la vidéo postée sur le facebook d’Alpine. Rejoignez-nous !