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Ocean Peak : rupture et aventure partagées

Entre un océan et un sommet, il y a un basculement, celui de l’horizontale à la verticale, de l’eau à la terre, du solide au liquide. Et le remède à l’ennui. Mais plus qu’une promesse d’aventure, comme nous l’expliquait son équipe durant le festival du film et du livre d’aventure de la Rochelle, Ocean Peak est une promesse d’ouverture, celle qui pousse trois marins et grimpeurs à partager leur temps entre expédition par passion et accompagnement de jeunes en difficultés, par conviction. De l’élan individuel à l’action sociale, Ocean Peak réalise un grand écart avec sincérité et engagement.

À bien y regarder, les adeptes des tiroirs seront bien embêtés. Parce qu’il est tellement pratique, d’habitude, de mettre les gens dans des cases, de leur coller une étiquette au baudar pour mieux les identifier, aux côtés de ce trio-là, on ne sait pas trop où l’on va débarquer. Avec Marta Guemes, Benoit Lacroix et Christophe Dumarest, on est le cul entre deux nœuds de chaise. Et c’est tant mieux ! Sur le quai d’amarrage du bateau, à La Rochelle, on enjambe bouts et cordes, matériel de navigation des uns et quincaillerie de grimpe des autres. Certes, certains sont bien connus dans leur milieu. Christophe est guide de haute montagne et possède déjà une longue liste de courses et de performances. Son nom s’écrit dans les magazines depuis un moment. Les deux autres ont également quelques faits d’armes qui leur donnent du gallion. Marta et Benoit ont notamment participé à la mini-transat, cette course transatlantique en solitaire, sur petits voiliers de 6,50m, sans assistance et sans contact avec la terre. Accessoirement, Benoit coche du 8a+ en escalade… Alors où sommes-nous ? Peut-être bien au cœur de ce que l’on appelle communément une équipe mer-montagne, vous savez ces gens qui ont des projets où les éléments se rencontrent et accouchent d’aventures plurielles. Parce que les terrains de jeu varient, des big flots aux big walls pour exprimer l’envie d’explorer. Mais aussi et avant tout, dans la transmission et l’aide sociale. Mais je vous vois venir, à vous dire que le social c’est chiant et déprimant. Pas de ça ici. Embarquez, on va vous expliquer.   

Benoit et Marta, à la manoeuvre au large de la Norvège. ©Alexandre Buisse

Christophe Dumarest à la verticale du granite norvégien, lors du premier voyage d’Ocean Peak. ©Alexandre Buisse

Parenthèse

Il y a dans l’aventure ce vieux complexe de l’égoïsme de l’explorateur. Celui qui part pour alimenter sa passion, son goût de la découverte, son envie à lui. Le goût du récit au retour, puis le film projeté ou le livre publié permet le plus souvent de partager. Le trio Ocean Peak agit en amont et fait du partage son fer de lance, les jeunes en difficulté pour priorité, qu’ils embarquent sur le Trifon, un voilier de 16m basé à la Rochelle. Et ce goût-là, ils ne le sortent pas du chapeau. Benoit Lacroix, qui a (aussi) travaillé comme éducateur spécialisé pendant plus de 7 ans croit en l’idée de la rupture et plus précisément du séjour de rupture : « C’est un concept qui existait surtout dans les années 70-80, quand l’argent était là et que les structures sociales investir dans ces projets. Aujourd’hui, je suis persuadé qu’on peut retrouver un peu de créativité et d’innovation dans le social grâce à l’aventure et à ces séjours et une conception plus entrepreneuriale, plus réactive ». À l’époque, prestigieuse filiation, un certain Jean-Louis Etienne emmenait déjà des toxicomanes en réhabilitation dans des traversées de l’Atlantique.

je suis persuadé qu’on peut retrouver
un peu de créativité et d’innovation dans le social
grâce à l’aventure

L’équipe d’Ocean Peak et les jeunes apprentis matelots-grimpeurs lors du séjour de rupture de mai 2019 entre la Rochelle et les falaises de Bretagne. ©Ocean Peak

De son côté, l’équipe d’Ocean Peak accompagnée de Yoann Grima, éducateur spécialisé, revient tout juste de deux semaines de navigation avec à bord de Trifon, deux jeunes en séjour de rupture. « C’est souvent plus facile de gérer des mômes que des adultes ! Une fois que les règles sont données et que l’on a trouvé les clés de leur fonctonnement, ça marche bien. Même s’il faut parfois insister pour les lever, notamment pour les quarts » confie Marta Guemes. Ce grand bol d’iode, sur le bateau de la Rochelle jusqu’au large de Crozon se double de premiers pas dans le monde de la verticalité, avec une expérience nouvelle de l’escalade, sur quelques moulinettes. Parenthèse dans un quotidien marqué par la déscolarisation ou la délinquance, Christophe Dumarest croit en cette bulle d’aventure passagère pour l’avenir des jeunes emmenés à bord : « On reste toujours modestes. Mais je crois sincèrement en l’intensité variable du temps, qui n’est pas linéaire. Deux semaines à bord de Trifon et sur les falaises de Bretagne auront peut-être plus de conséquences que des années de galère dans leur environnement quotidien. Demandez à un skieur tombé dans une crevasse de la mer de Glace si le temps ne s’est pas étiré ! Je suis sûr que ces gamins peuvent développer un nouveau potentiel en découvrant un nouvel environnement, en découvrant ce que signifie la passion ». La passion justement, il ne reste qu’à l’alimenter.  

Marta et Benoit sur le bateau, au port de La Rochelle. ©Ulysse Lefebvre

De La Rochelle au Groenland

« Je me souviens d’avoir été marqué par deux ou trois personnes passionnées, qui rayonnaient dans ce qu’elles faisaient. Elles m’ont inspiré et ont structuré mon parcours par la suite » témoigne Benoit. Cette cette passion qu’il s’agit de partager mais aussi d’entretenir après les séjours de rupture, en gardant le contact avec les jeunes matelots. Il faut aussi l’alimenter avec de nouveaux projets plus lointains qui pourront inspirer les jeunes matelots, que l’équipe d’Ocean Peak continuera à accompagner à distance. C’est la partie « Ocean Peak Explorations ».  Le 22 juin prochain, l’équipe lèvera l’ancre de Reykjavik en Islande pour rejoindre les côtes du sud-est du Groenland. En ligne de mire : une belle navigation puis quelques lignes de fissures nouvelles. Afin de mener au mieux l’ouverture de voies sur quelques big walls vierges mais aussi de traverser le plus efficacement possible entre les icebergs de l’Atlantique Nord et de la mer du Groenland, le grimpeur Baptiste Dherbilly et le marin Pierre Revol monteront à bord. Derrière l’appareil photo et la caméra, Alpine Mag sera également de la partie pour raconter cette aventure. « Je pense que c’est un leurre de croire qu’on peut donner sans recevoir. Notre passion, il faut qu’on l’alimente, qu’on la cultive avec des projets qui nous ressemblent, de plus grande envergure. Pour relier ça aux séjours de rupture, je suis sûr que les meilleurs éducateurs sont ceux qui sont ancrés dans la réalité ».

On démonte pour mieux remonter. Isolation, électricité, plomberie : Trifon en pleine mutation. ©Ulysse Lefebvre

Et pour rejoindre cette réalité, loin au Groenland, il aura fallu batailler pour améliorer le bateau. Si Trifon avait déjà emmené l’équipe d’Ocean Peak en Norvège lors du premier voyage d’exploration (dont était issu le film de Robin Montreau), il a fallu pour ce prochain voyage amélioré presque tous les points clé du voilier : isolation, électricité, plomberie… Des travaux menés avec l’aide d’un crowfunding et une débauche d’énergie et d’huile de coude sur le bateau. « C’est beaucoup d’énergie et de travail mais ce n’est rien à côté des dossiers à constituer et des multiples rendez-vous avec les administrations pour obtenir un agrément et emmener des jeunes sur le bateau » explique Marta. Car l’aventure Ocean Peak n’est pas un feu de paille, encore moins du « social washing ». Sa vocation serait même de durer dans le temps et de se professionnaliser. L’équipe vise d’ailleurs obtenir un agrément d’ici la fin de l’année 2019, pour continuer à emmener des jeunes moussaillons cabossés par leur jeune vie pour des parenthèses maritimes et montagnardes régulières. Affaire à suivre sur Alpine Mag…   

Le sommet du Trifon. ©Ulysse Lefebvre