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Pourquoi l’avenir de la Clusaz nous concerne tous

Spoiler : je vais parler de démocratie, de tas de choses dans cet édito qui fâche, mais ce qu’il me vient à l’esprit, c’est le monde dans lequel on vit. La retenue de la Clusaz, ou plutôt le projet de retenue collinaire du plateau de Beauregard, fait couler de l’encre, pas sympathique. La « Cluzad » polarise les opinions. Le 13 octobre, l’un des maire-adjoints d’Annecy, Guillaume Tatu, a été la cible de menaces : « on va te péter les deux jambes » ou encore « on va pas te rater à la chasse », menaces envoyées depuis des comptes Twitter créés exprès et fermés ensuite. « 150000 mètres cubes d’eau pour alimenter des canons à neige, bienvenue dans les années 60 » avait dénoncé Tatu dans une vidéo sur Twitter.

Il aurait pu mentionner les dizaines de millions d’argent public rhônalpin déversés par Laurent Wauquiez pour la neige de culture, qui, si elle s’avère nécessaire à la rationalité économique des stations de ski, doit être questionnée sur sa toujours plus large utilisation, sur les quantités d’eau et d’énergie qu’elle réclame, et sur son financement ad vitam.

La Cluzad dans les bois de Beauregard. 

Vendredi dernier, quelques centaines d’habitants de la Clusaz se sont réunis au centre du village pour clamer leur soutien au projet de retenue collinaire, une initiative du « Collectif de Jeunes Cluses Engagés », des « jeunes blessés par la couverture médiatique » de cette affaire. Allons donc. Sans doute n’ont-ils pas été déçus par la venue, le lendemain, de l’épouvantail écologiste Sandrine Rousseau, qui, en apportant son soutien aux zadistes, a élevé la voix contre ce projet de « prédation » : « on ne peut plus être poli avec le système économique, il faut désobéir, je soutiens cette désobéissance [la Cluzad] à condition qu’elle reste non violente » a clamé la députée, qui se décrédibilise en qualifiant le ski « d’activité qui nous envoie dans le mur » sans autre forme de procès.

« Nous sommes nombreux à avoir bénéficié de l’essor économique lié à l’or blanc. (…) et cependant convaincus que le modèle d’aménagement d’hier ne peut plus être la réponse aux questions d’aujourd’hui »

Le journal Le Monde s’est fait l’écho d’une « tribune pour [nos] montagnes », dans lequel un ensemble d’acteurs économiques locaux et personnalités exprime ses inquiétudes, et son soutien aux opposants à la retenue : « nous avons bien profité de tout ce que la montagne nous a donné depuis une soixantaine d’années (…) et nous sommes nombreux à avoir bénéficié de l’essor économique phénoménal lié à l’or blanc. (…) Nous sommes conscients que cette activité économique remarquable est toujours un moteur pour les départements de montagne, un employeur direct et indirect majeur (…) Il est tout à fait logique que l’aménagement de la montagne soit au cœur de nos réflexions (…).

Nous sommes cependant convaincus que le modèle d’aménagement d’hier ne peut plus être la réponse aux questions d’aujourd’hui et aux enjeux de demain. Toujours plus de parkings, toujours plus de remontées mécaniques, toujours plus d’infrastructures, toujours plus de retenues collinaires pour toujours plus de neige artificielle… nous pensons que ce modèle est désormais obsolète. »

Dans les Aravis, au-dessus de la Clusaz, avec Pica Herry ©Jocelyn Chavy

Demain, mardi 25 octobre, un juge va statuer sur le référé-suspension déposé par les associations pro-environnement à l’encontre de ce projet défendu par la mairie de la Clusaz et validé par le Préfet. Ce n’est pas ici que vous saurez si l’argument retenons-l’eau-de-la-neige-de-culture-pour-les-vaches-en-cas-de-sécheresse est recevable, et il est fort peu probable que la justice s’exprime sur le fond. Pourquoi ? Parce que c’est une histoire de démocratie.

Entre ceux qui défendent « le droit à la démocratie à entreprendre, à créer de l’emploi et à utiliser les ressources », ceux qui, sûr de leur bon droit comme Domaines Skiables de France, arguent de la légalité d’un projet validé par les élus locaux et par le Préfet, et de l’autre côté, ceux qui égrènent les arguments contre l’aménagement sans fin des espaces montagnards, il y a un mot qui revient souvent : c’est le « déni », le déni de « démocratie », le déni de « justice ».

Or, c’est justement cela la démocratie : la possibilité de dire non, quand des citoyens s’opposent à une décision qui n’a pas été suffisamment débattue ou qui tout simplement ne suscite pas le consensus. La démocratie, c’est cela, c’est ce qu’on en fait, une évolution qui suit le pouls de la société, et surtout, un dialogue – où Twitter et les réseaux sociaux ne sont pas le lieu idéal, quelle que soit l’opinion, mais la caisse de résonance et de déformation de l’époque. Ici, le dialogue est rompu.

La Cluzad, la retenue collinaire ? Ce n’est pas, ce n’est plus le problème des seuls habitants de la Clusaz.

Disons le une bonne fois pour toutes, ici.

La Cluzad, la retenue collinaire ? Ce n’est pas, ce n’est plus le problème des seuls habitants de la Clusaz. Comme à la Grave : le projet de troisième tronçon de téléphérique sur le plus grand glacier des Alpes du Sud n’est pas seulement l’affaire des habitants, ni même des édiles, mais celui de chaque citoyen. Comme à Chamonix : la question des camions dans la vallée n’est pas, n’est plus le problème du maire de Chamonix, si tant est qu’il ne l’ait jamais été. De même que l’aménagement pharaonique du Montenvers n’est pas le domaine réservé des élus chamoniards ni des crânes d’oeuf de la Compagnie des Alpes.

La Clusaz, la Grave, le Montenvers 2.0… Ce sont des sujets d’intérêt commun, pour ne pas dire d’intérêt général, des sujets qui nous concerne tous, que l’on habite Plougastel ou Bordeaux. Parce que l’utilisation des ressources, de l’eau, l’environnement, l’avenir de l’économie et le partage, oui, des richesses, nous concerne tous. Quelle que soit l’issue ou la décision du juge concernant la retenue de la Clusaz, chacun devra comprendre qu’on ne peut pas accuser de déni de démocratie tout en menaçant l’autre, ou en ignorant peu ou prou « le système économique » montagnard.

De même, on ne peut pas penser l’avenir sans mentionner (et solutionner) la spéculation délirante dont l’immobilier à la Clusaz est l’objet, avec 9490 € le mètre carré en moyenne selon le Figaro, +46% en cinq ans. Une réalité qui amène à s’interroger : pour qui les décisions sont-elles prises ? Et qui sont ceux à en profiter ? Pas sûrs qu’ils soient en tout cas les plus à même de réfléchir à l’avenir de ces montagnes.

À lire demain sur Alpine Mag, le compte-rendu de la décision de justice concernant le référé-suspension.