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Gypaètes Barbus et pratiquants de la montagne : une précieuse cohabitation

Le Gypaète Barbu est le plus grand rapace d’Europe. Craint il y a encore un siècle, il a largement disparu avant d’être le sujet de nombreuses tentatives de ré-introduction. Pourtant sa présence est régulièrement remise en cause : le 13 octobre dernier, un jeune gypaète a été retrouvé mort son corps criblé de plombs de chasse dans les Cévennes. Ailleurs, c’est son habitat et ses zones de nidification qui sont perturbés par les randonneurs, alpinistes ou grimpeurs. Ce rapace est certainement l’un des symbole de la problématique du partage des espaces. L’équipe des Rencontres Montagnes & Sciences revient sur l’histoire sinueuse de ce rapace bien particulier, avec en prime des conseils pour éviter son dérangement.

Le gypaète est dit barbu car son masque facial se termine en barbichette autour du bec. Son régime alimentaire est constitué d’os, d’un peu de viande et de tendons. En tant que charognard, il se situe donc au sommet de la chaîne alimentaire. Pour le reconnaître, voilà une astuce : si vous observez un très grand oiseau en montagne (jusqu’à 2m90 d’envergure) à la longue queue en losange : il y a de fortes chances pour que ce soit un gypaète barbu.

Exterminé et réintroduit

Cette espèce a malheureusement disparu de l’arc alpin au début du 19ème siècle, chassée par des humains qui le considéraient comme maléfique. Grâce à la volonté première d’habitants de l’arc alpin – français, suisses, autrichiens et italiens – suivie de la mise en place de moyens conséquents, un réseau d’élevage européen dans lequel naissent et grandissent les futurs gypaètes barbus des Alpes est créé. Aujourd’hui, ce sont en théorie près de 400 gypaètes barbus qui parcourent l’arc alpin.

Gypaete barbu. ©Thomas Cugnod

Aisément dérangé

Sa réintroduction dans les Alpes n’est pas loin d’être un succès mais sa population reste fragile et augmente peu du fait de sa stratégie de croissance très lente. Le gypaète barbu ne se reproduit pas avant l’âge de 7 ans, âge à partir duquel il peut donner un jeune à l’envol tous les 3 ans environ, du fait d’une reproduction assez peu fréquente.

L’espèce est très sensible au dérangement sur une dizaine de mois dans l’année entre novembre et la fin de l’Été suivant. Le nid est construit dans une cavité en falaise au cours de la période d’accouplement, entre les mois de novembre et décembre. Ensuite, vient la période de ponte, entre janvier et février suivie de la naissance en mars. Le jeune pèse alors 150 g puis quelques 6 kg au milieu de l’été où il prend son envol. Ses parents le nourrissent encore jusqu’en automne avant de le chasser et d’entamer une nouvelle année de reproduction.

Le dérangement d’un couple de Gypaètes barbus est problématique car il peut faire échouer la nidification. L’espèce peut s’y montrer très sensible, que le dérangement soit visuel ou sonore, et à des distances importantes du nid. Les survols aériens sont considérés comme une menace très importante. La chasse peut être très perturbante car autorisée lors de l’installation du couple dans son nid et la ponte. Les skieurs de randonnée, les grimpeurs, le vol libre et le parapente sont autant d’activités pouvant déranger le Gypaète barbu lorsque pratiquées à proximité d’un site de nidification.

Gypaete barbu. ©Thomas Cugnod

D’après la littérature scientifique, la distance à partir de laquelle une espèce comme l’aigle royal est susceptible d’être dérangée serait de 1500 m. Or cette espèce étant non seulement plus répandue que le gypaète barbu, mais aussi plus proche des activités humaines, un compromis est fait et il est généralement conseillé de ne pas s’approcher à moins de 300m d’un nid. Quant au gypaète barbu, sa population est plus fragile que celle de l’aigle royal, mais son habitat est aussi plus éloigné des activités humaines. Au final, la littérature scientifique évalue la distance minimale à 700m, ce qui est aussi la distance conseillée par les associations environnementales.

Problèmes d’acceptation et initiatives de sensibilisation

Le retour de l’espèce n’est malheureusement pas toujours bien vu par une certaine partie de la population. Dolomie, un jeune Gypaète barbu réintroduit en 2019, a été récemment retrouvé criblé de plomb dans le parc national des Cévennes. Ce n’est pas la première fois que cela se produit et c’est tout à fait scandaleux.
Quant aux pratiquants de la montagne, ils n’ont pas de velléités de nuisance, comme l’attestent unanimement des acteurs de leur protection, à savoir Marie Dorin qui travaille au département de l’Isère sur la commission sport et environnement, mais aussi Adrien Lambert, chargé de mission médiation environnementale à la LPO. D’après eux, la protection du gypaète barbu et de toutes les autres espèces protégées passe par la sensibilisation et les dérangements sont majoritairement dus à une méconnaissance du milieu montagnard et de sa faune.

Pour y remédier, l’application Biodiv’sport permet de consulter les aires qu’il est conseillé d’éviter pour ne pas déranger certaines espèces protégées. Si par exemple vous prévoyez déjà d’aller faire de la cascade de glace du côté de La Grave en février, vous y verrez qu’en 2019, il était déconseillé de grimper dans certaines d’entre elles car un couple nichait à proximité. Les autres espèces protégées, telles que par exemple le tétra lyre ou encore le faucon pèlerin, sont également présentes dans Biodiv’sport.

Capture d’écran de l’application Biodiv’sport. 

Bien que la population de gypaètes barbus semble bénéficier d’une dynamique positive, celle-ci est encore fragile du fait de sa faible reproduction. A l’image de son vol, souvent plané et à l’aspect tranquille, le gypaète barbu prend son temps. Sa présence, notamment sur la falaise du Bargy en Haute-Savoie, est le fruit de presque 40 ans d’actions concertées de l’échelle européenne à l’échelle locale et impliquant tous les acteurs et pratiquants de la montagne. La continuité de sa présence dans nos territoires de montagne sera le fruit du travail de terrain de ces acteurs, mais aussi et surtout du respect des pratiquants pour cette espèce à nulle autre pareille.

Lionel Favier / Rencontres Montagnes & Sciences