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L’épique ascension du col du Simplon, par sa redoutable face nord

Voici le deuxième récit gagnant du concours organisé par le Festival du film d’aventure de la Réunion que nous vous proposons. Il s’agit du Prix spécial du jury. Très spécial à vrai dire. Vous y découvrirez une ascension différente de celles que nous vous proposons habituellement, mais non moins épique. Une histoire de Raphaël Audema, à lire sur la route des vacances…

« Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache ; nous sommes cons, mais pas à ce point.»
Samuel Beckett

« Je ne fais pourtant de tort à personne, en ne suivant les ch’mins qui ne mènent pas à Rome.»
Georges Brassens

 

 

Sans être d’une nature à chasser des moulins, l’idée de mettre le cap vers l’Italie en chevauchant une vieille mule ne me déplaisait pas. Ma mule, ou plutôt ma meule, est une authentique mobylette Peugeot 104 bleue de 1974. Le projet, qui n’en est pas vraiment un, est de rejoindre ma mère qui se trouvait alors à Florence en partant d’Evian-les-Bains. Un rapide coup d’oeil sur une carte me permets de déterminer un itinéraire simple, qui se résume en une remontée du Valais suisse jusqu’à Brigue, suivi du passage du col Simplon avant une longue glissade vers la Toscane.
Achetée la veille du départ, ma seule expérience sur un deux-roues se limite à l’aller-retour à la station service depuis chez moi. C’est avec ces 2,7 kilomètres au compteur que je quitte plein d’assurance les rives du lac Léman par un frais matin de juin 2008.

Nuit à Brigue avant l’ascension. ©Raphaël Audema

Si vous aussi, vous vous êtes déjà demandé
pourquoi il y a des pédales sur une mobylette,
vous allez vite comprendre

Après seulement une dizaine de kilomètres de route le long du lac, le passage de la frontière francosuisse de Saint-Gingolph me donne un rapide aperçu du rythme que prendra la suite du voyage. Je me rends compte dès l’entrée du village, que lorsque je ralenti trop, le moteur s’arrête. Je passe donc la frontière à pieds, laissant ma fierté en France. N’ayant aucune connaissance en mécanique, le douanier ose un pronostic en m’annonçant que « c’est sûrement le carburateur ». Rassuré d’apprendre que mon moteur comporte un carburateur, je n’en reste pas moins un piéton le temps que le moteur refroidisse. Je comprends alors qu’il faudra éviter tant que possible de trop ralentir sur la route, au risque de devoir attendre un bon moment que le moteur reprenne des forces. Cet inconvénient me force à adopter un certain style de conduite qui consiste principalement à ne plus s’arrêter aux feux tricolores et à lire la carte en roulant.

Après une nuit sous tente, au pied de ma destiné, me voici d’attaque pour l’ascension par sa majestueuse face nord. Si vous aussi, vous vous êtes déjà demandé pourquoi il y a des pédales sur une mobylette, vous allez vite comprendre. De Brigue, trois itinéraires permettent de rejoindre l’Italie. Soit par le tunnel ferroviaire, idée que j’élimine directement, soit par la nouvelle route principale du col, ou sinon par l’ancienne route, aujourd’hui réservée aux cyclistes et aux contemplatifs. Bien que n’apparaissant pas sur ma carte, je choisis cette dernière. Les deux routes doivent de toute façon se rejoindre avant le col

Hospice du Simplon bordant la route pour l’Italie. ©Raphaël Audema

Le problème en commençant la journée au pied de la montée, est que mon canasson n’a pas eu le temps de s’échauffer avant l’assaut. Sans surprise, après deux virages, le cacochyme crache déjà ses poumons sur le bitume. Et c’est justement ici que les pédales interviennent. En effet, le moteur ne m’étant plus utile que pour faire du bruit, la bande-son du voyage, c’est à la force des mollets que je dois gravir le col. Bien que le départ fût matinal, il fait rapidement chaud sur les pentes valaisannes. Le poids de la mobylette et du chargement, comprenant le matériel de camping ainsi que les bidons d’huile et d’essence, additionné à la petitesse des roues, me donnent l’impression de rouler sur une plage de sable avec un vélo d’enfant. C’est donc assez rapidement que je vis des cyclistes me doubler avec la mine bien plus fraiche que la mienne. Heureusement que j’avais déjà laissé toute fierté à la frontière, celle-ci aurait péri sur la mythique face nord du col du Simplon.

La montée se poursuit à grosses goutes de sueur, avec pour unique carotte ces magnifiques sommets enneigés. Les jambes en coton, j’ai maintenant la certitude que je grimperais plus vite à pieds. Avec de petites roues, la révolution n’est pas rapide, mais ce n’est pas le moment de craquer. Rejoignant la route principale, mon coeur sursaute à chaque camion me doublant de trop près. Ce n’est pourtant qu’un léger aperçu de ce que sera la traversée de la plaine du Pô.

Les cyclistes redescendent déjà, me riant au nez. Marrez-vous bande de sportifs, j’espère que vous boufferez du moucheron. Mais ça y est, le col est enfin en vue, c’est la dernière ligne droite avant la délivrance. Pas de flamme rouge, mais la vue de l’hospice m’offre un sursaut de motivation. Plus de 200 ans après le franchissement du col du Grand-Saint-Bernard par Napoléon, je me sens tout aussi grandiose au Simplon. Mais moi qui imaginais une arrivée digne d’un Tour de France, elle se fait plutôt sous les regards goguenards de chauffeurs routiers et de Teutons en claquettes. N’est pas Hinault qui le veut.

Durant la traversée de la Toscane. ©Raphaël Audema

Au pied de l’appartement. ©Raphaël Audema

Après une courte pause, je fais ronronner le moteur, mais pas trop non plus, pour entreprendre la descente tant désirée vers l’Italie. C’est parti, plus rien ne peut m’arrêter, à moi la dolce vi’ KLANG KLANG KLANG. Et merde, c’est quoi ce bordel ? KLANG KLANG ce bruit claquant semble KLANG KLANG venir de la chaine KLANG KLANG KLANG. Mon euphorie m’a fait oublier les récits d’ascensions himalayennes, il faut toujours se méfier du retour au camp de base.

Je m’arrête sur le parking d’un vieil hôtel se trouvant sur le bord de la route afin d’essayer de déceler le problème, mais sans véritable espoir de pouvoir y remédier. Un homme sort alors à ma rencontre. Je lui explique mon souci à grand recours d’onomatopées, qui sait, il s’y connait peut-être un peu en mécanique. Il ouvre alors la porte du garage devant lequel je suis parqué, et là, miracle. Vous est-il déjà arrivé d’obtenir quelque chose d’inespéré quelques secondes après l’avoir grandement désiré ? Le gérant de l’hôtel s’avère être un passionné de raid à moto. Son garage cache un véritable atelier avec plusieurs motos et des outils par centaines méticuleusement rangés dans des servantes à roulettes. Il installe alors la mobylette sur un portique, et effectue une série de réglages sous le regard bienveillant d’une pin-up en string, me montrant ses seins.

Raphaël Audema. ©Raphaël Audema

La tonitruante et éprouvante ascension de la face du col de Simplon
se terminera le soir par une baignade dans les eaux calmes du lac d’Orta

Même si le défaut du moteur n’a put être résolu, je reprends à toute berzingue la longue piste d’asphalte menant à Domodossola. Douaniers ou pas, je ne compte pas m’arrêter au poste frontière. La tonitruante et éprouvante ascension de la face du col de Simplon se terminera le soir par une baignade dans les eaux calmes du lac d’Orta, au bord duquel j’ai planté ma tente. Le repos tant mérité prendra à l’aube sous le déluge d’un orage. Le voyage continue.

Il me faudra encore plusieurs jours, écrasé par la chaleur, pour rejoindre Florence. Avant de partir, j’avais recopié un plan des rues me permettant de rejoindre l’adresse où se trouve ma mère en partant du Duomo, coeur névralgique de la cité florentine. C’est avec une simplicité déconcertante que je trouve cette petite rue sombre. Me voyant observer l’immeuble, une passante me demande ce que je cherche. Lui expliquant ma présence, elle appelle à plein poumon la propriétaire de l’appartement. Une vieille dame, aux 80 années bien tassées, se montre à une fenêtre du deuxième étage, et me regarde avec méfiance. Ne parlant pas italien, j’essaye de lui faire comprendre que je suis le fils de la Française qu’elle loge. Ne saisissant pas tout ce qu’elle me dit, je finis cependant par comprendre qu’elle me fait passer un interrogatoire. « Comment s’appelle ton frère ? Et ta soeur ? Quel est le métier de ton père ? ». Réussissant l’examen du premier coup, l’hospitalité m’est offerte. Je suis alors accueilli comme un petit-fils. Elle me fait comprendre que ma mère mange en ville et ne rentrera que plus tard. Après une bonne douche, je découvre qu’elle m’a préparé des pâtes au pesto maison accompagnées de beignets de fleurs de courgette. Comme un petit-fils je vous ai dit. S’ensuit une discussion de deux heures, elle parlant en italien, moi en français. Entre latins, la compréhension est étonnante.

La nuit tombée, ma mère rentre de sa soirée. Ne s’attendant pas à me voir, vu je que ne l’avais pas prévenu, elle ne me reconnait pas dans ce salon sombre, et me sort un cinglant« Buena sera signore ». Me prenant pour un imposteur, je vis alors le visage de la logeuse se décomposer instantanément. Le malentendu s’éclairci juste à temps, avant que l’alerte ne soit lancée dans tout le quartier. Après quelques jours, le pâle Don Quichotte rentrera en train, au grand soulagement de Rossinante.

L’île San Giulio. ©Raphaël Audema

Organisé par le Festival du film d’aventure de la Réunion, ce concours de récit d’aventure a été rendu possible grâce à ses partenaires.