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La Cie des Guides de Chamonix se positionne au sujet de la protection du Mont-Blanc

En 1820, le colonel anglais Anderson et le docteur Hamel (ce dernier envoyé par l’empereur de Russie pour faire des expériences météorologiques sur les montagnes les plus élevées du globe) arrivèrent à Chamouny : à peine arrivés, ils manifestèrent leur intention de gravir le mont Blanc et ordonnèrent tous les préparatifs nécessaires à cette expédition. Déjà neuf ascensions pareilles à celle qu’ils allaient faire avaient eu lieu sans accident… »

©Jocelyn Chavy

Dans son ouvrage Impression de Voyage en Suisse paru en 1834, Alexandre Dumas fait le récit de cette ascension. Elle fut marquée par le premier accident survenu au mont Blanc. Il coûta la vie à trois des dix guides engagés par le docteur Hamel dans cette ascension, qui aurait dû être la dixième depuis la première, par Jacques Balmat et Michel-Gabriel Paccard en 1786.

La cause majeure, outre les dangers objectifs liés à la haute montagne, vient du lien de subordination qui existait alors entre les voyageurs et leurs guides dont les prérogatives se limitaient au rôle d’éclaireur. Ayant à l’époque une autonomie décisionnelle réduite, les guides et leur chef Joseph-Marie Couttet furent traités de ‘lâches’ par le docteur Hamel lorsqu’ils alertèrent ce dernier sur l’énorme risque avalancheux auquel la caravane s’exposait. Contre leur gré, les guides poursuivirent vers le sommet. L’aveuglement de leur client, personnage influent à la cour du Tsar Nicolas 1er, endeuilla trois familles.

L’émoi fût grand dans la vallée et Victor-Emmanuel 1er, roi de Sardaigne et duc de Savoie, ordonna que fût remis une pension à chaque famille. C’est le premier acte fondateur de ce qui deviendra par la suite la Caisse de Secours de la Compagnie des Guides de Chamonix. Ce fond de solidarité encore actif aujourd’hui apporte soutient moral et financier aux guides blessés comme aux familles en deuil.

La Compagnie des Guides de Chamonix se réjouit
de la rédaction d’un projet essentiel,
un pas en avant vers la protection d’un environnement unique

C’est ce drame historique qui est aussi à l’origine des prérogatives du métier de guide de haute montagne tel qu’il est aujourd’hui exercé et reconnu par l’Union Internationale des Associations de Guides de Montagnes. Le 24 juillet 1821, le conseil municipal de Chamonix adoptait les premiers statuts de la Compagnie des Guides qui, par l’article 17, donnent aux guides le pouvoir de renoncer dès lors qu’ils estiment les conditions de la montagne comme défavorables à la sécurité de la cordée.

Le 20 août dernier, à la date anniversaire des 200 ans de ce drame fondateur s’ouvrait la consultation publique d’un projet d’arrêté préfectoral de protection de l’habitat naturel du Mont-Blanc.

La Compagnie des Guides de Chamonix se réjouit de la rédaction d’un projet essentiel, un pas en avant vers la protection d’un environnement unique. Plus qu’un lieu d’exercice, le Mont-Blanc est ce lieu ultime, sur lequel les yeux de chaque alpiniste ont un jour regardé. En ce sens, ce projet d’arrêté est une réelle opportunité pour la Compagnie des Guides de Chamonix de poursuivre ses engagements vers une pratique plus durable.

La communauté des accompagnateurs et guides des vallées adjacentes au Mont-Blanc, le Valais suisse, le Val d’Aoste italien, le Val Montjoie et la Vallée de l’Arve partagent des valeurs fortes de l’alpinisme reconnues au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO en 2019. Sentinelles d’un espace en mutation à l’heure du changement climatique, ce sont ces professionnels qui chaque jour de l’année sensibilisent leurs clients à la beauté de ce milieu sauvage et fragile.

Notre inquiétude est d’autant plus forte
quant aux conséquences que peuvent engendrer
l’adoption de tels articles sur le métier de guide de demain

Cependant, si la Compagnie des Guides de Chamonix salue l’effort de protection de cet habitat naturel, elle déplore le manque d’articulation entre les enjeux de protection de l’environnement et le respect d’un patrimoine propre au métier de guide de haute montagne. Pourquoi priver la région du Mont-Blanc et toute une profession d’une partie de son identité ?

Les articles 2.1.3 et 2.2.2 du projet d’arrêté préfectoral concernant le nombre d’alpinistes encordés ensemble, l’interdiction du bivouac, le matériel technique nécessaire et le libre choix d’un itinéraire de progression privent les professionnels de leur autorité et de leur expertise sur un terrain changeant et risqué. En outre, le projet d’arrêté préfectoral interroge de manière plus large sur l’application rigide d’un cadre juridique au milieu de la haute montagne. Le pouvoir normatif ne pourrait en aucun cas se substituer à une analyse fine des conditions d’ascension le jour même sans compromettre la sécurité des alpinistes, guides comme clients. Notre inquiétude est d’autant plus forte quant aux conséquences que peuvent engendrer l’adoption de tels articles sur le métier de guide de demain. Qui sera alors responsable, le guide sur le terrain ou l’État à distance ?

La Compagnie des Guides de Chamonix est aujourd’hui prête à collaborer plus étroitement avec les services de l’État pour que cet arrêté s’inscrive dans l’Histoire comme dans le développement durable de l’alpinisme et des territoires que cette pratique fait vivre. Avec l’habitat naturel, ce projet d’arrêté préfectoral se doit de protéger aussi un espace de liberté qui fait appel à la responsabilité de toutes et de tous.

 

 

Jean-Phillipe Couttet, Guide de Haute Montagne et Président de la Caisse de Secours de la Compagnie des Guides de Chamonix

Ulysse Robach, étudiant en master Environmental Policy à Sciences Po Paris et membre du Groupe Jeune Alpinisme Mont-Blanc