fbpx

Danse(s) avec le sérac

Escalade mixte à l'Albaron

©Coll. S. Thiabaud

En Haute-Maurienne, l’Albaron est un classique du ski de printemps. Mais pas que : le mois dernier, deux grands itinéraires en escalade mixte ont été parcourus par Matthieu Brignon et Sylvain Thiabaud. Du bel et bon alpinisme, avec à la clé, une ouverture et une répétition, deux voies d’ampleur pour les amateurs de face nord sauvage. Récit de ces grandes journées là-haut.

Cest le printemps ! Fini les attentes interminables à se geler au relais, les heures à scruter les prévisions météo pour savoir dans quelle orientation trouver de la bonne neige ou si les températures permettent d’aller décemment tenter ce petit cigare.

Vous y croyez vraiment vous ? Moi j’y croyais… enfin j’avais envie d’y croire. 

Mais le printemps, le vrai, se fait timide. A peine a-t-il pointé le bout du nez, que l’hiver semble revenir en force ; et cette alternance chaud/froid a tendance à rendre les conditions en montagne excellentes.

Le printemps commence donc comme l’hiver, avec un coup de fil du plus grimpeur des traileurs : le copain Matthieu Brignon. Dénicheur de lignes givrées s’il en est, il est surtout doué pour me vendre ces petits projets : « … les placages sont en super conditions… il y a juste une ligne de Pelliss (Manu Pellissier, autre excité local) dans la face… on répète ou on ouvre comme tu sens… en plus le matos est déjà au pied, on sera léger à l’approche… bon c’est sous un sérac mais il est vraiment tout rond, ça craint pas du tout… »

Acharnement thérapeutique, le placage de L6. ©Thiabaud

Comment ? Quel sérac ?

Sauf si on parle de fromage, ce mot n’a pas une super connotation et en général on se dépêche de courir quand on est dessous ou à proximité. Petit coup de fil à Stéphane Henry qui est allé au pied porter le matos (merci Steph !), histoire de vérifier que le sérac en question est bien rond et à peu près inoffensif, on n’est jamais trop prudent. Je suis bien placé pour savoir ce qui se passe dans la tête d’un ouvreur dénicheur de ligne qui cherche à trouver un copain pour aller grimper… et l’objectivité est rarement de mise.

A priori c’est tout bon, tout beau, tout rond ; en tout cas beaucoup moins vilain que 500m à gauche. Tant pis pour la reprise de la varappe à mains nues au soleil sans réveil, sans onglées, sans sérac, la ligne est quand même franchement attirante. Le RDV est pris pour mardi 30 mars à Bonneval à 4h00, c’est-à-dire tout à l’heure.

Une heure et quart plus tard nous voilà à pied d’œuvre. Je ne vous raconte pas la stupeur de Matt quand il s’aperçoit que le sérac offensif (pas le nôtre, celui d’à côté) à craché un énorme morceau, qui a déclenché une énorme coulée. Ce qui est sûr, ce que 48h plus tôt lors de leur tentative avortée, il n’y avait pas de la glace pilée de partout … on file se mettre à l’abri au pied de la face, notre sérac à l’air tout rond tout gentil comparé au voisin.

Acharnement thérapeutique, le mixte de L8. ©Thiabaud

Acharnement thérapeutique

Matt est guronsé comme jamais et attaque la première longueur. 60m tout pile et quelques claquements de dents plus tard, j’entends enfin « relais » et me dépêche de grimper pour me réchauffer un peu. Le printemps je vous dit… Magnifique longueur mixte avec quelques placages, du caillou, un réta en coincement de lames, bref une belle longueur de (sur) chauffe. Il s’ensuit deux longueurs faciles en neige avec de courts ressauts de glace et nous débouchons dans la grande pente intermédiaire. C’est à Matt de tracer et tant mieux : vu que nos bambées riment souvent avec tranchées cet hiver, je ne suis pas mécontent de le laisser s’amuser un peu. Je jette des coups d’œil malgré tout peu rassurés à cette masse blanche qui nous surplombe tout là-haut.

Fini le loisir de laisser mon esprit divaguer et tant mieux. C’est à moi que revient le magnifique placage suivant ! C’est aussi à moi que revient le bouchon de neige à la fin de la longueur… Le placage est juste parfait, deux centimètres de vraie glace, des petites boules de neige couic par ci par là. Je peux me protéger dans le caillou à côté. Ça avance lentement, mais ça avance. Après un peu de mixte, et de la neige couic comme je n’en avais jamais eu, j’arrive au bouchon de neige. Les protections sont moyennes et je n’ai pas trop envie de me faire embarquer ; je me résous à me vacher pour le faire tomber avant de terminer la longueur par une partie déversante en glace, juste magique !

Le placage est juste parfait, deux centimètres de vraie glace, des petites boules de neige couic par ci par là. Ça avance lentement, mais ça avance.

Matt arrive le sourire aux lèvres et encape la longueur suivante. Le fin placage de glace ne sera pas grimpable cette année et il se bat bien dans cette longueur dure à protéger et avec de la neige inconsistante. Les longueurs font entre 55 et 60m, nous progressons régulièrement et rapidement dans la face. C’est mon tour de partir dans la longueur d’après : normal il y a un énorme bouchon de neige et aujourd’hui ils sont tous pour moi ! longueur continue sur placages, caillou et couic, c’est du vrai mixte et il faut grimper entre les points ! c’est beaucoup plus raide qu’il n’y parait, et on s’en rendra encore d’avantage compte à la descente où nous sommes pas loin du fil d’araignée.

Le caillou est excellent mais il faut nécessairement pitonner pour se protéger. J’arrive au bouchon de neige, je pense creuser dans un coin pour passer derrière et me protéger avant de le dégager. Il n’a pas l’air d’accord et décide de foncer sur Matt sans crier gare et embarque les cordes au passage. Je me rattrape in extremis et évite d’aller tester la solidité de mon piton cinq mètres à l’horizontale.

Le sérac grossit à vue d’œil. Il semble toujours arrondi mais de plus en plus déversant quand même. Matt enchaine sur un petit dièdre mixte puis une pente de neige. Je négocie à mon tour un dernier ressaut rocheux pas commode, et une petite goulotte me permet d’aller faire relais au pied du sérac. Il est franchement déversant et beaucoup plus intimidant vu d’ici. On est presque sorti de jour pour une fois, enfin presque… un petit Abalakov et c’est parti pour la descente. Le temps de planter 2 pitons à chaque relais et de dilapider le jeu de câblés de Steph, nous voilà déjà en bas. Une affaire rondement menée.

Après 3 tentatives avortées pour Matt, notre passion commune pour les tranchées, les lignes vierges et le portage de gros sacs nous a permis d’ouvrir cette voie que nous nommons Acharnement thérapeutique. La voie a déjà vu deux répétitions.

Caillante au relais. ©Thiabaud

Matt et Sylvain, heureux.

Touffes of Vapors

Jeudi 1 avril : coup de fil de Matt : « … bien récupéré ? … la face est quand même en pure condi… ça te dit qu’on aille répéter la voie de Manu ??… et ouvrir un départ direct… ». Ce n’est pas un poisson d’avril, je ne suis pas prêt de raccrocher les gants comme on dit. Et puis même si on se caille, les condi de grimpe sont hallucinantes et c’est toujours plus facile que la reprise de la grimpe à mains nues sur les couennes grenobloises… « A demain Matt ! »

Cette fois-ci l’approche se fait sentir car on porte tout le matos et j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène il y a peu. Il faut de la fraîcheur mentale pour aimer souffrir et on a bien puisé dans le réservoir cet hiver. Peu importe, nous arrivons doucement au pied de la face et nous dirigeons vers la variante directe que nous pensons ouvrir. Il y a des blocs de glace de la taille de container poubelle et des cratères de partout. La zone semble bien exposée au sérac et nous décidons sagement de nous replier sur le départ classique parcouru il y a 2 jours. A mon tour de grimper en tête et c’est un régal de progresser dans cette longueur nettoyée en connaissant les protections. Nous avalons rapidement les 3 premières longueurs et je me colle à la tranchée de la pente intermédiaire. La pente se redresse progressivement et je brasse dans du gobelet jusqu’à la taille. Bien content de voir une belle cassure au loin et de savoir que la coulée est déjà descendue. Je cherche néanmoins à me protéger autant que possible dans les cailloux affleurant jusqu’à faire relais au pied de la goulotte de gauche. Touffes of vapors [jeu de mots avec la célèbre Sea of Vapors au Canada… NDLR] a été ouverte 1998 par Manu Pellissier et Benoit Jacquemot, repris une seule fois par Eric Doiseau et Yannick Anselmet avec une variante de départ.

Touffes of Vapors, Matt dans L2 ©Thiabaud

Dans la pente de neige intermédiaire.

Touffes of Vapors, Matt dans L7. ©Thiabaud

La Haute-Maurienne, what else ? ©Thiabaud

Il faut de la fraîcheur mentale pour aimer souffrir et on a bien puisé dans le réservoir cet hiver…

Matt attaque les difficultés par un beau placage. J’enchaine avec un beau dièdre mixte. Matt se régale en savourant les touffes gelées qui parsèment la longueur suivante. Ça grimpe mais moins qu’il y a 2 jours et ce n’est pas pour me déplaire : on avance plus vite, on se caille moins au relais, mais c’est loin de dérouler quand même. A moi le placage collector : moins de glace ce ne serait juste pas possible ! il y a tout juste ce qu’il faut pour que j’ose m’engager dessus, je progresse tout doucement et réussis à me protéger dans le caillou à côté, mais c’est plutôt bien aéré… « RELAAIIISSS »

Matt arrive avec une banane pas possible et encape la goulotte terminale qui termine au pied d’un sérac qui lui est enfin dans le bon sens, positif ! Un selfie et je file rejoindre le glacier supérieur du Vallonet avec une vue imprenable sur l’Albaron. C’est la première fois de l’hiver qu’on finit de jour avec Matt et c’est assez exceptionnel pour que je le souligne. Content d’être venu là 2 jours plus tôt pour savoir où descendre et rejoindre la ligne de rappel. Un petit rappel pendulaire sur ce bout de glaçon et on retrouve les relais en place pour une descente rapide et sans histoire. La Maurienne, what else ?

Bravo Manu et Ben pour cette belle ligne, sacrément engagée à l’époque j’imagine !!

Merci Matt de m’avoir invité à parcourir cette belle face, d’ouvrir et répéter 2 lignes majeures.

Merci RAB pour me tenir au chaud, TotemCam pour les coinceurs, François K pour les pitons