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Point de croix au Québec avec Jeff

La glace jusqu'au bout de la nuit, sur la route du Saguenay.

Partir avec Jeff Mercier c’est avoir la certitude de ne pas faire long feu dans le 3+, de se faire secouer les piolets, de couiner sans arrêt à essayer de ne pas trainer. L’animal est du genre affamé. Et plus c’est raide, plus il plaide. Alors quand on débarque au Québec en plein mois de février, Jeff a déjà établi un copieux menu. Des croix il en veut. Mais le Québec est grand et le vent et la neige l’étirent un peu plus encore… Souvenirs d’un voyage glacial dans la Belle Province.

Il fait la moue quand je lui annonce ce titre. Point de croix. A croire qu’on a traversé l’Atlantique, avant de se cailler les miches pendant dix jours à -40°C, pour pas un rond. Ou pas une croix. Pourtant Jeff, je l’ai bien vu changer son fusil d’épaule, rentrer progressivement dans le rythme lent du Québec immense. Et finalement passer de l’homme pressé au glaciairiste posé.

©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

 Je l’ai vu croire de moins en moins en cette cascade « bord de route » comme le dit Pierre Raymond, figure locale de la glace dans le grand est québécois, quand la plus infime des approches se transformait en brassage intense, dans une neige aussi vierge que profonde. Malgré l’enthousiasme de Nasser Hanani, son jeune compagnon de cordée, Jeff a dû freiner. Je l’ai vu renoncer à des gros morceaux, des pièces de choix, quand le rapport grimpe / approche / moyens logistiques commençait à dépasser le raisonnable. Cascade de la Pomme d’Or, dehors.

Parfois, le Canada est le plus fort ! ©Ulysse Lefebvre

Et des surprises grisantes. Comme remonter une rivière gelée au doux nom de Sainte-Marguerite, pendant près de 18 bornes aller/retour. Le nez dans le blizzard, pleine face ; les pieds dans la poudre, pleine brasse. Rincés mais vivants, terriblement présents. Enfin arrivés au pied de l’objectif, après 4h de lutte à l’approche, dur de passer du combat horizontal au mode baston verticale. Pourtant l’idée du gros coup reste toujours dans un coin de sa tête.

Le nez dans le blizzard, pleine face
les pieds dans la poudre, pleine brasse

En route sur la rivière Sainte Marguerite, plein nord, blizzard pleine face. ©Ulysse Lefebvre

Cascade caramel, à côté de l’Appartement. ©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

Cet « Appartement » notamment, ouvert par Sam Beaugey et Erwan Le Lann. Comment décrire cette ligne improbable, sinon en imaginant quelques postillons de glace sur un mur déversant vers un toit final délirant. Quelques spits difficilement trouvés plus tard et une glace définitivement trop fragile, et c’est le retour au bercail. Avant d’y revenir. Pour une autre cascade, plus facile, une classique qui voit même le soleil, mais qui disparaît lorsqu’arrive enfin le photographe… Une glace caramel à ne pas prendre trop mou quand même. Ne pas traîner, vous vous souvenez…

Tentative dans L1 de l’Appartement. ©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

Point carto au milieu de la rivière gelée. ©Ulysse Lefebvre

Jeff, je l’ai vu surtout se prendre au jeu du trappeur, lors d’une virée en train vers le Mur du 51, un drôle de nom pour un lieu reculé, loin dans la forêt boréale, au 51e mile de la voie ferrée reliant Sept-Îles à Shefferville, 580km plus au nord, au Labrador. Tente, feu de camp, nuit glaciale et cascade à un jet de pierre. La perf est loin, l’aventure est proche. Les cascades tout aussi belles. Et de fil en aiguille, de la recherche de la cascade belle et dure, on passe à la quête d’un environnement singulier. Un bout de forêt isolé par-ci, un fjord englacé par là.

Sur le train en route pour le Labrador. ©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

Arrêt spécial aux abords du Mur du 51. ©Ulysse Lefebvre

Dans le Mur du 51. ©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

Attention baignade interdite indique un présomptueux panneau au Saguenay. On rigole, goguenards, jusqu’à ce qu’on découvre un nouveau type de rimaye à passer, avec la marée qui fait descendre le niveau de l’eau libre, sous la glace, et met en mouvement les berges au moment de regagner la rive. Baignade interdite qu’ils disaient…   Au retour, le compte n’est pas très bon. A peine quatre cascades d’ampleur gravies en dix jours de voyage. Mais finalement, comme dirait Jeff : « si tu veux aligner des croix, reste à Gramusat »…

En route sur le fjord du Saguenay. ©Ulysse Lefebvre

Pêcheur du Saguenay. ©Ulysse Lefebvre

La rimaye du fjord, mouvante au gré des marées. ©Ulysse Lefebvre

©Ulysse Lefebvre

Jean-François « Jeff » Mercier  est guide de haute montagne et secouriste au Peloton de gendarmerie de haute montagne de Corse (PGHM). Outre son talent pour gravir les cascades de glace difficile, il est reconnu pour avoir poussé les limites de l’escalade mixte moderne, notamment quand il était secouriste au PGHM de Chamonix, en utilisant les techniques issues du dry tooling. Le tout combiné à un très gros mental, parfois clairement situé dans le bas ventre.

Article initialement publié sur Alpine Mag en 2017. 

Dernière longueur avant la nuit. ©Ulysse Lefebvre