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Notes de trail, premières foulées

Un monde à part ?

Des bosses et des bulles est un florilège d’anecdotes croustillantes sur le monde du trail. Premières Foulées, publié aux éditions Amphora, est le premier tome de la série Notes de Trail, écrite par Matthieu Forichon. Le trail est un milieu avec ses codes, ses vannes et ses idoles. La preuve en BD.

On peut rire de tout mais pas avec tout le monde. Bien connu de Desproges, cette phrase ne se limite pas aux blagues douteuses. L’humour de niche, la private joke comme disent les anglo-saxons, est toute aussi limitante que sa cousine de mauvais goût lorsqu’elle s’adresse au non-initié. C’est un peu ce qu’il se passe à la lecture de ces Notes de Trail. Le néophyte qui ouvre la BD pour un instant détente au fond de son canapé va vite comprendre que courir sur des chemins reste un délire bien à part, loin d’être aussi simple qu’il n’en en a l’air.

 

Le travail de Matthieu Forichon est toujours aussi savoureux et dépeint avec précision et lucidité l’univers impitoyable du trail. Franchement agréable à parcourir, les dessins sont soignés et les bulles agrémentent les bosses (ou inversement) dans un style fluide. Le profane sourit même quand il saisit quelques gags plus généraux qu’il comprend aisément, ou lorsqu’apparaît la figure connue de Kilian Jornet. Mais rien de comparable à ce que l’amateur éclairé ou le compétiteur forcené pourra en tirer et en comprendre. Ambiance de compétitions, tics et tracas récurrents du traileur, moquerie des manies des plus grands champions… Le potentiel humoristique est là, et c’est d’autant plus frustrant lorsqu’on est moins au fait du petit milieu pour en saisir toute la saveur. 

Famille ou courir, dilemme du trailer. 
©Matthieu Forichon

Lièvre essoufflé ou tortue alerte ? ©Matthieu Forichon

Autre interrogation après lecture : le trail est-il une énième passion réservé aux mecs ? On en a l’impression en tout cas, au vu du peu de scènes représentants des femmes courir. L’archétype du traileur gainé dans ses collants thermo-respirants et autres bas de contention, pendant que Madame attend à la maison avec les enfants, égratigne un peu la conscience féministe d’aujourd’hui. Mais trêve de bien pensance à la sauce politiquement correcte ! Après tout, peut-être nous emballons nous trop vite ici en transformant de banales scènes de bromance1 en exemples malsains d’un patriarcat latent…

Course à l’ultra… spécialisation

Le trail au final c’est comme toutes les autres passions : ça fédère une communauté avec ses codes, sa culture et son langage bien à elle. L’alpiniste dit « Ah, cette bartasse, ça m’a ouvert ! » et ses compagnons de bar n’y comprennent goutte. Le savoyard secoue ses pognes et lance « Ça meule ! », et le parisien pense fromage.  Le traileur parle « kudos »² et le lecteur se demande quel type de Pokémon il peut bien avoir attrapé. 
Appartenir à une communauté, c’est parler un même langage, avoir des références communes et rire sur des anecdotes bien à nous.  Un environnement familier où on a nos repères, où on s’éclate. On y a notre place au milieu de gens et passions qui nous ressemblent et nous rassemblent. Mais c’est aussi un peu facile, une façon de rester dans notre zone de confort douillette. Alors que chacun est toujours plus spécialisé dans son domaine professionnel comme dans son hobby, ne devrait-on pas éviter l’enfermement et cultiver notre ouverture ? Notes de trail, Premières foulées, c’est le syndrome communautaire en BD. Excellent à conditions d’en faire partie.

1 Bromance : terme anglais dérivé de brother et romance : une amitié forte entre hommes, avec un niveau émotionnel élevé et des démonstrations d’intimité fortes, sans composante sexuelle. Merci Wikipédia.

² Kudos : du grec kydos, « ce dont on a entendu parler ». Désigne la gloire et le renom qui découlent d’une action réussie. Sur Strava, c’est l’équivalent du like de Facebook, version sportifs.

Et vous, plutôt bitume ou plutôt sentier ? ©Matthieu Forichon

Notes de Trail, Premières Foulées, Matthieu Forichon. 19,95 €, éditions Amphora.