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Neige, glace & mixte, tome 1 | Dans les coulisses du nouveau topo

En montagne, on a tous une Bible, un saint topo en lequel on confie beaucoup de notre avenir proche en montagne. Parmi ces livres qui nous aiguillent, le « Neige, Glace & Mixte » fait référence depuis bien longtemps dans le massif du Mont-Blanc. Rencontre avec son auteur, François Damilano, alors que paraît la nouvelle version du topo. 

Par où commence-t-on pour mettre à jour un topo de référence dans le massif ?

En réalité le travail sur Neige Glace et Mixte ne s’arrête jamais. La première édition que nous avions conçue avec Godefroy Perroux en 1996 s’appuyait sur 20 ans d’archivage photos et de déambulations dans le massif du Mont-Blanc. Depuis, je n’ai cessé de continuer de grimper, photographier et compiler. Puis il arrive un temps où il faut se lancer dans l’écriture et le remodelage du topo. Commence alors la drôle de vie du bénédictin scotché à son écritoire – l’ordinateur – les dossiers papiers organisés par secteurs empilés près du clavier…

Quel est le maitre-mot ? 

Neige Glace et Mixte permet une vue à la fois synthétique et exhaustive.
Ce topo s’inscrit dans une démarche encyclopédique. Et si au départ l’idée était plutôt de proposer un digest des plus beaux itinéraires glaciaires, s’est assez vite imposée l’évidence qu’il fallait également s’attacher à une mémoire plus complète, ne serait-ce que parce que certains grimpeurs pensaient ouvrir des voies qui avaient déjà été parcourues ! Avec l’arrêt de la collection des Guides Vallot sous leur forme exhaustive et la déconcentration des lieux d’informations, il n’existait plus de vision d’ensemble du massif (à l’incontournable « chronique alpine » de la revue La Montagne & Alpinisme s’étaient peu à peu substituées les revues commerciales des années 80, puis le net au tournant des années 2000). Il était devenu impossible de trouver une information « rassemblée » et fiable.

François Damilano, en plein travail de synthèse bibliographique… ©Ulysse Lefebvre

il fallait une mémoire plus complète,
ne serait-ce que parce que certains grimpeurs pensaient ouvrir des voies qui avaient déjà été parcourues

Le temps a passé depuis la première version ?  

Il y d’abord eu l’édition noire & blanc en un seul volume, publiée en 1996. Quelques années après la disparition de Godefroy, je m’étais interrogé sur la continuation de ce travail, puis j’ai décidé de tout reprendre et de lui donner cet axe plus exhaustif. La deuxième édition est alors parue en 2005, sous le label JMEditions, jeune maison d’édition que nous avions fondé avec Françoise Rouxel. Je n’avais pas imaginé que je me remettrais une troisième fois ! Hors travail préparatoire, il nous a fallu une année entière entre l’organisation de l’archivage, l’écriture et le travail d’édition proprement dit (tracés photos, maquette, traduction…).

Comment se démarquer de la foule d’infos du web ?

Pour cette nouvelle version, j’ai senti à un moment donné que je perdais pied sous le piège vertigineux du net. À quel moment cesser de rechercher d’éventuelles infos complémentaires sur la toile ? Et comment hiérarchiser, vérifier, recouper tout ce qu’on y trouve ? Sans me priver de ce fabuleux outil, il a fallu à un moment que je me recentre sur mon travail d’auteur et sa spécificité : mon expérience terrain et un réseau de grimpeurs actifs.
Un topo d’auteur se démarque justement du net par sa proposition « journalistique » : une information homogénéisée, triée, recoupée et choisie. Un topo d’auteur est une source clairement identifiée.
Un site communautaire au contraire va proposer une information quasi infinie, mais dont par définition on ne peut identifier tous les contributeurs. C’est une source d’informations incontournable et précieuse, mais à l’intérieur de laquelle il faut savoir filtrer et garder un certain recul.

Quid de l’intérêt du papier en 2018 ??

Là encore bonne question que nous nous sommes évidemment posée ! Je ne sais pas combien de temps nous parviendrons économiquement à tenir ce pari du papier, mais je suis toujours persuadé qu’un topo papier est un outil extrêmement pratique ! Par la forme même : condensé, facile à manipuler partout et en toutes circonstances, qui peut s’annoter, se corner, se raturer, se compléter. Franchement, on n’a rien inventé de mieux que le livre !
Seule une version papier permet cette vision complète d’un massif. Sur le net, comment avoir connaissance d’une face cachée d’un bassin discret ? En parcourant une version papier, le lecteur va découvrir des voies, des secteurs, des montagnes, quitte à aller compléter son information sur le net en y entrant les mots clés qu’il vient de découvrir. Et c’est comme cela que les pratiquants sortiront des sentiers battus. Pas en se précipitant sur la course à la mode qui vient de faire le buzz sur les réseaux sociaux ! Et il ne s’agit pas de mener un pseudo combat d’arrière-garde, juste repenser la place de l’édition papier en parallèle des possibilités fabuleuses du numérique.

Prévois-tu d’ailleurs une version numérique du topo ?

Pas pour le moment et pour plusieurs raisons. D’abord parce chaque support exige une présentation adaptée. Il ne s’agit pas de « simplement » numérisé un contenu pour le rendre efficient. Ensuite parce que le modèle économique n’est pas si simple à trouver. Enfin, parce que pour l’instant je trouve l’ouvrage papier davantage adapté à notre proposition. Cela ne nous empêche pas de réfléchir avec certains développeurs d’app.

 

Combien de nouvelles voies environ ?

Plus de 200 ! Pour ce tome 1, nous sommes passés de 568 itinéraires décrits et tracés à 772. Le tome 2 est en cours d’écriture, pour une parution en 2019.

Tu les as toutes parcourues ?

Impossible ! Personnellement j’ai au moins parcouru un itinéraire de chaque face, de chaque sommet. En croisant mon regard avec quelques collègues guides et grimpeurs (très) actifs, ça monte vite le nombre d’itinéraires parcourus !

facile à manipuler partout et en toutes circonstances, le topo peut s’annoter, se corner, se raturer, se compléter

Que disent ces nouvelles voies de la pratique de l’alpinisme d’aujourd’hui ?

La saisonnalité de l’alpinisme neige et glace a énormément évolué. À la saison estivale, s’est substituée deux longues périodes phares : printemps et l’automne. Finalement, seul le coeur de l’été et celui de l’hiver connaissent une désaffection de ce terrain. L’évolution du terrain glacaire et les répétitions de canicules estivales ont évidemment provoqué une désaffection des courses de neige et glace au plus chaud de l’été. Certaines voies normales classiques sont même devenues dangereuses dans cette période, compte tenu de la déstabilisation du terrain due à la fonte du permafrost. À contrario, les alpinistes ont rapidement compris l’intérêt de la fraîcheur de l’automne et des conditions souvent exceptionnelles du printemps, facilitées par les approches à ski. Par ailleurs, le développement du dry-tooling a modifié le regard des grimpeurs. Plus besoins de conditions optimales pour parcourir les itinéraires mixtes puisque le jeu privilégié est de coincer les lames dans les fissures ! Les grimpeurs les plus affutés, quant à eux, remettent à la mode des itinéraires oubliés ou à dominante rocheuse en les parcourant en crampons-piolet. Enfin, le regard des plus curieux continue de deviner de nouvelles lignes dans bien des recoins du massif… y compris au pied de faces où nous sommes tous passés des dizaines de fois. Finalement la période de grimpe « neige et mixte » s’est énormément rallongée ! Et dans une époque où l’on ne cesse d’entendre parler de désaffection de l’alpinisme, je suis plutôt impressionné du dynamisme de l’activité, que ce soit dans des itinéraires de proximité ou dans les voies de haute difficulté ! Et si l’on rajoute le ski de pente (très) raide sacrément actif au Mont-Blanc… Neige Glace et Mixte a encore de beaux jours !