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Mont Blanc tout le monde descend

Chaque été, le mont Blanc déborde. Files processionnaires mitraillées dans le couloir du Goûter, engueulades à 3800 mètres, glissades sans crampons à 4500 et l’abri Vallot transformé en squat : il fallait bien que le mont Blanc Circus se calme d’une façon ou d’une autre. Poussée en fin de saison par Jean-Marc Peillex, le maire de Saint-Gervais, la Préfecture de Haute-Savoie a sifflé la fin de la récréation. La saison 2019 inaugure un système de réservation obligatoire et individuel pour le candidat au mont Blanc qui sera contrôlé sur l’itinéraire, et le sera une fois arrivé en refuge. Ce n’est pas un « permis mont Blanc », mais un justificatif de réservation dans l’un des refuges de la voie normale qui sera exigé. Le mont Blanc est une montagne ouverte à tous. Mais à qui ? À ceux qui réservent avant les autres, à ceux qui réussiront à joindre le refuge pour figurer sur liste d’attente, et à ceux qui descendront des nobles voies italiennes. Alpinistes, achetez une imprimante. Ou mieux, un topo exhaustif du massif. Et quand on voit la tête des séracs en travers du mont Maudit, et même la crevasse du Tacul actuellement, il est probable que Chamonix et sa voie des Trois Monts ne remplacera pas la voie normale depuis Saint-Gervais, du moins pas cette année. Donc, le « problème » restera versant Saint Gervais.

 

Soyons justes, les fées qui se sont penchées sur le berceau de ces nouvelles règles ont évité non seulement l’emploi des mots qui fâchent, mais ont biffé au moins une partie de l’intention, qui était d’après la Préfecture de Haute-Savoie en septembre dernier, d’établir « une déclaration de passage ». Un permis, à ce moment-là. Demain, il faudra simplement un justificatif de réservation. Pas de résa ? Pas de place. Pas la peine de monter. « Comme pour monter dans un avion », a tweeté Jean-Marc Peillex, qui aime la métaphore du transport aérien. Sauf qu’on parle d’un espace de liberté, la montagne, et pas d’une carlingue. Fenêtre ou couloir, vous choisirez votre ruban vert ou rouge selon votre sens de montée. Une histoire de sémantique ? Oui mais pas que. La question n’est pas de savoir si une porte d’entrée, un kiosque physique existera, puisqu’à terme cela sera le cas. Mais bien de ce que l’on contrôle : pour l’instant, pas une déclaration de compétence, mais une réservation. On jugule la surfréquentation par un quota, et si vous et moi n’aimons pas ce mot, alors il faudra gravir une autre montagne.

Mont Blanc, tout le monde descend. ©Ulysse Lefebvre

La Préfecture insiste pour dire que le mont Blanc est « une affaire d’alpinistes ». Mais si vous avez besoin d’un marquage luminescent comme annoncé cet été pour vous diriger dans l’ascension du Goûter, êtes-vous un alpiniste ? Probablement non. Vous êtes un traileur, un sportif, un « passant honnête » comme le chantait Brassens, voire un passionné, des grands espaces ou de grands défis, mais pas un passionné de montagne, puisque la montagne veut dire exploration du monde qui m’entoure et pas seulement exploration de mes limites. Le mont Blanc n’est plus une affaire d’alpinistes, eux sont censés tracer leur chemin. C’est une affaire mondialisée, réduite à peau de chagrin par l’incapacité des uns et des autres à protéger ce qui aurait dû être l’un des premiers parcs nationaux. Alors on régule les flux, comme on dit. Quoi faire d’autre ? Naturellement on ne va pas laisser des Estoniens monter un drapeau de dix mètres, ou d’autres ne pas payer la note quand ils quittent le refuge du Goûter en braillant. Mais au milieu d’un site classé (interdit de rire), on laisse vivre le camping de Tête Rousse, qui a provoqué le vieillissement accéléré d’un refuge dont tout le monde use des commodités, campeurs compris.

Le mont Blanc n’est plus une affaire d’alpinistes, eux sont censés tracer leur chemin. C’est une affaire mondialisée, réduite à une gestion des flux, comme on dit.

Quant à l’ancien refuge du Goûter, dont la destruction était l’une des conditions de la construction du nouveau en 2006, on ne parle plus de sa démolition (à peine entamée en 2014) mais bien de sa réhabilitation. En guise de refuge de secours, ou de refuges pour guides-secouristes, peu importe. Si on plante un deuxième refuge de secours pour chaque refuge d’altitude, la FFCAM va devoir multiplier ses tarifs par trois. Je plaisante à moitié. Il va de soi que la présence d’assistance à demeure ne saura faire diminuer le nombre de candidats au sommet. Le mont Blanc nécessite une réflexion et une action plus large. Celle qui anime de facto la FFCAM autour de la voie normale dans son ensemble, et pas seulement à propos du Goûter. Celle qui serait de produire (faire la promotion, etc) de l’alpinisme ailleurs, sur d’autres sommets que le mont Blanc par sa voie normale. Chez les guides, à l’école de ceux-ci, dans les clubs et les médias. Libérons le mont Blanc. Prenez les Aiguilles Grises, ou la tangente.