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Marion Poitevin

"Je remercie tous ceux qui n’ont pas cru en moi."

Mobiles #6
C’est une question qu’on nous pose souvent. Et que l’on se pose parfois. « Pourquoi je vais en montagne ? » Il y a du social et de l’intime dans ce point d’interrogation.
Certains disent qu’ils ont la réponse, certains qu’ils ne s’interrogent pas, d’autres qu’ils cherchent encore le mobile, ce drôle de mot qui dit la raison, l’impulsion autant que le mouvement.

Mobile :
1. Adjectif. Qui peut se mouvoir.
2. Nom. Motif qui pousse à agir.

Marion Poitevin
guide de haute-montagne

Au début, j’allais en montagne pour la beauté des lieux. Les levers de soleil, les odeurs, l’effort physique, l’apprentissage des techniques. Je voulais grimper toutes les montagnes du monde, par n’importe quel chemin, apprendre et découvrir. Ma maman me disait que je faisais beaucoup de sport. Moi, j’avais l’impression de simplement me promener. Dans mes yeux d’adolescente, le sport était réservé à la compétition. Donc l’alpinisme n’était pas un sport.

Ensuite, j’allais en montagne pour la performance. À force de grimper, skier, encore et toujours, j’ai réalisé des voies de plus en plus difficiles. Dans le regard de certains hommes, j’ai pu sentir que je n’étais pas toujours la bienvenue dans ce niveau. « Elle ne va pas y arriver, trop dur pour elle ! » Relever ces défis m’a donné une sacrée énergie. J’avais envie de montrer de quoi j’étais capable. Je remercie tous ceux qui n’ont pas cru en moi, c’était le meilleur moyen de me faire avancer. Faire des courses de plus en plus dures.

Puis j’ai réalisé que devoir prouver n’était pas une saine motivation et que c’était vain de toute façon. J’ai perdu une dizaine d’ami.e.s et collègues dans des accidents de montagne. Puis j’ai passé mon diplôme de guide de haute montagne. Aujourd’hui je vais en montagne pour partager. Les moments passés là-haut sont précieux. Certains les ont payés de leur vie. Je ne vais pas en montagne avec n’importe qui. Des client.e.s intéressant.e.s, des ami.e.s, mon ami, des collègues sympas, des stagiaires curieux. J’ai à cœur de partager toutes ces connaissances, ces techniques d’alpinisme apprises en 17 ans aux femmes avec le club « Lead the Climb ».

Ascension de la Colton-Mac Intyre, 1200m dans la face nord des Grandes Jorasses. Les conditions étaient exceptionnellement bonnes. Beaucoup avaient déjà gravies cette face impressionnante, mais seulement quelques cordées féminines. Avec Mélanie, nous avions prévu de faire une semaine l’alpinisme ensemble. Je lui ai proposé de gravir La face. J’avais peur, mais en même temps je me rappelais que j’avais le niveau. Mélanie avait peur aussi car elle savait que tout reposerait sur moi, qu’elle ne pourrait sûrement pas grimper en tête. Nous sommes allées acheter un sac à dos pour Mélanie avant l’ascension, c’était l’occasion d’aller faire du shopping entre copines. Nous avons choisi un sac mi- randonnée, mi-alpinisme. Nous demandons l’avis du vendeur.
Le vendeur : « C’est un bon sac, mais pas non plus pour la face nord des Grandes Jorasses ! »

 ©Coll. Marion Poitevin