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L’empreinte des glaces

Un livre pour l'Astrolabe #1

L’empreinte des Glaces est le récit d’un brise-glace, l’Astrolabe. Héros lui-même du récit, l’histoire de ce bateau hors du commun est racontée à deux voix. Lydie Lescarmontier, glaciologue, écrit ses impressions lors de de ses nombreux voyages sur le navire. De son côté, Romain Garouste, illustrateur, met en image ces aventures sans jamais être monté à bord. C’est ce voyage immobile qu’il nous raconte dans ce premier épisode, en exclusivité pour Alpine Mag. 

L

e projet naît alors que nous sommes attablés à une terrasse de café à Vannes, il y a presque deux ans. « Et si on faisait un livre sur l’Astrolabe ? Il fait sa dernière saison d’expédition » « Chiche ?». Voilà. Pas plus compliqué que cela. Notre livre, c’est cette envie commune de partager un moment de vie autour de ce navire.
Pour dire la vérité, quand Lydie me parle de l’Astrolabe, je n’en ai que vaguement entendu parler. Je connais encore moins son trajet, sa mission et son histoire. Mais passionné par la littérature d’aventure du XIXe et du XXe, je vois là une opportunité de ne plus la lire, l’aventure, mais de la vivre, en l’écrivant ! Lydie et moi souhaitons depuis le début de cette aventure raconter une histoire.  Une bonne si possible. Mais qu’est-ce que c’est, une bonne histoire ? Celle qui prend le lecteur par la main. Celle qui lui donne envie de tourner la page, puis celle d’après, encore et encore.

Et si on faisait un livre sur l’Astrolabe ?
Il fait sa dernière saison d’expédition 

© Romain Garouste

Un hommage aux hommes et aux femmes,
qu’ils soient techniciens, marins, scientifiques, plombier ou encore boulanger
qui ont voyagé à bord du bateau bleu et rouge

Dans une histoire, qu’elle soit documentaire ou fiction, c’est bien le point de vue qui guide le lecteur à travers ses méandres. Nous souhaitons, pour une fois, mettre le bateau au centre de l’histoire polaire. En cherchant l’angle qui donnera son originalité à notre histoire, c’est finalement ma co-auteure qui a une idée aussi simple qu’elle est efficace. Le point de vue sera celui du bateau lui-même. Narrateur de sa propre histoire, il racontera sa rotation entre Hobart, Tasmanie, et la base Dumont-d’Urville en Antarctique.
De cette manière, on rentre « dans la tête » du mythique navire polaire. Ses sensations dans les 40e rugissants, ses états d’âmes au moment de quitter le continent blanc, on vit avec lui au fil des pages. Par cette narration à la première personne, qui fait du navire le conteur de sa traversée, le lecteur se sent proche de l’Astrolabe et plus proche aussi de ces lointaines contrées australes qui nous paraissent habituellement si éloignées.

Un livre hommage

L’Astrolabe. Ce nom évoque à lui seul le voyage et l’Histoire. Instrument de navigation par excellence chez les navigateurs de tous temps depuis l’Antiquité, ce nom sera donné à plusieurs navires mythiques d’exploration. Fin du 18è siècle, c’est sur la corvette l’Astrolabe que Jean-François de La Pérouse partira pour une circumnavigation qui finira par un naufrage aux îles Salomon. Autre navire, autre temps mais déjà un nom qui résonne. C’est au tour de Jules Dumont d’Urville, au 19è siècle, de naviguer sur l’Astrolabe et donner le prénom de sa femme Adèle à cette terre française Antarctique – La Terre Adélie.
Nouveau saut dans le temps. 2017, près de 30 ans après sa première rotation vers l’Antarctique pour ravitailler les bases scientifiques de l’île de Macquarie, Dumont d’Urville et Concordia, le navire polaire l’Astrolabe entre dans la légende des bateaux d’expédition en tirant sa révérence.
C’est dans ce contexte que naît le projet de livre. Le bateau naviguera une dernière fois vers le grand continent blanc en 2017. Pour Lydie et moi, c’est l’occasion où jamais de lui rendre un hommage. Un hommage pour la machine, d’abord. Ce merveilleux travailleur de la mer qui affronte les pires conditions météo pour ravitailler des lieux totalement dépendants de ses va-et-vient. Un hommage, ensuite, aux hommes et aux femmes, qu’ils soient techniciens, marins, scientifiques, plombier ou encore boulanger qui ont voyagé à bord du bateau bleu et rouge. Ceux qui affrontent le mal de mer, le froid, la promiscuité pour aller au bout d’un rêve.

Un voyage réel et un voyage immobile

Lydie Lescarmontier, glaciologue de formation, a embarqué plusieurs fois sur l’Astrolabe pour étudier les glaciers antarctiques. Elle connaît ses coursives, son deck et sa passerelle dans ses moindres détails. Ses allers-retours entre la Tasmanie et Dumont-d’Urville la marquent « au fer blanc », comme elle aime à le dire. Là-bas, l’aventure n’est pas un vain mot. Elle est cette présence qui vous chatouille les côtes dans votre bannette lorsque la mer est agitée, que le mal de mer guette ou que la glace contrecarre les plans de navigation. De son côté, le voyage est bien réel. Il se vit, casquette d’aventurière  vissée sur l’œil.

De mon côté, je suis un illustrateur qui aime sortir de ses bases ; je suis servi ! Tout y est. Le souffle épique d’une traversée hors-norme, un bateau vieux loup de mer battu par les vents et une ligne à peine visible entre la terre et le ciel, dans un camaïeux de gris et de bleus. Je ne suis jamais allé sur place, à la manière d’un carnettiste chevronné. Je voyagerai immobile. Par la pensée. C’est le paradoxe magnifique que tout livre permet. Imaginer entre les lignes ce que peut être cette traversée. Je préfère garder mes impressions, même si elles ne sont pas tout-à-fait justes. Les photos qu’on me fournit feront le reste en m’offrant la documentation nécessaire. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement ces photographies mais de les interpréter et de saisir ces instants.

Je ne suis jamais allé sur place, à la manière d’un carnettiste chevronné.
Je voyagerai immobile. Par la pensée

© Romain Garouste

La fabrication du livre

Le livre retracera, donc, le trajet du navire depuis le port d’Hobart, en passant par les 40e rugissants, les 50e hurlants, la confrontation avec la banquise australe jusqu’à l’arrivée.
Habituée des flancs de l’Astrolabe, Lydie écrit le texte et fournit les photos qu’elle a prises lors de ces expéditions. D’autres photographes, Bruno Marie en tête, nous offrirons par la suite des clichés somptueux. Habituellement illustrateur jeunesse pour la presse et l’édition, je relève le défi en m’éloignant de mes bases artistiques. Retranscrire les ambiances polaires en laissant la part belle aux vides et à l’aquarelle bleue, voilà ma modeste ambition devant la force de cette nature indomptable. Je vis, à ma mesure, l’aventure d’une traversée australe ; quand je peins une carte de l’Antarctique à l’aquarelle, c’est mon pinceau qui fait le trajet qu’ont emprunté Shackleton, Dumont d’Urville, Amundsen et consorts.

C’est donc un auteur « bicéphale » qui raconte cette histoire de l’Astrolabe. Notre méthode de travail est faite d’échanges perpétuels pour faire les meilleurs choix narratifs, par le texte et par l’image. Pour autant, chacun reste décisionnaire sur sa partie. Comme l’iceberg, une partie visible et l’autre sous-marine, faite d’allers-retours et de questionnements, pour trouver la bonne ligne de flottaison.

Avant même d’écrire la trame du livre, nous souhaitons recourir à la narration sous toutes ces facettes : le texte, la photo, l’illustration, la bande dessinée. Sorte de patchwork narratif, le livre permettra de montrer le continent blanc sous des angles à la fois distincts et complémentaires.

Côté direction artistique, s’impose rapidement l’épure. A l’image de ces territoires du grand sud, le livre sera blanc avec de légères touches de bleu et de gris. Lorsque l’écrivain américain Jack London parlait du
« grand silence blanc » sur les terres arctiques du Yukon, il évoquait à la fois une nature implacable et la beauté de paysages sauvages que l’Homme ne domine pas. C’est exactement ce que nous souhaitons mettre en avant dans notre ouvrage. Le lecteur, en ouvrant le livre, pourra l’ouvrir à n’importe quelle page et ressentir cette respiration, cet espace infini dont on ne souhaite pas remplir les vides, mais au contraire laissés immaculés.

quand je peins une carte de l’Antarctique à l’aquarelle,
c’est mon pinceau qui fait le trajet qu’ont emprunté Shackleton, Dumont d’Urville, Amundsen…

Un premier livre pour deux auteurs

L’Empreinte des Glaces est notre premier livre. Au fil de l’écriture, nous faisons notre apprentissage d’auteur. Lydie est une scientifique, elle sait rédiger, présenter ses idées et argumenter mais écrire un livre n’a rien à voir. Son travail de recherche et de synthèse est utile mais pas suffisant. De mon côté, j’ai beau, depuis près de 4 ans, travailler pour la presse et l’édition, le travail n’a rien à voir. Là où mon travail de commande est généralement un sprint, il me faut apprendre le marathon.
Les débuts de construction du livre sont laborieux. Mais, avec le recul, il y a une forme de logique à cela. Les voyages polaires ne sont pas des parties de plaisir. Après tout, l’Astrolabe, lui-même, n’est-il pas un navire laborieux ? Comme un écho à l’avancée pénible du navire contre une banquise souvent capricieuse, nous naviguons lentement mais sûrement vers notre but : convaincre un éditeur.
Ce sera Elytis, une maison d’édition bordelaise, spécialisée dans le voyage et les beaux livres. Euphoriques dans un premier temps, nous nous remettons rapidement au travail devant la montagne de glace qui se dresse devant nous. Petit à petit, nous avançons parallèlement. J’use mes crayons et mes godets d’aquarelle pendant que Lydie reprend inlassablement ces formulations.
Aux premières lueurs du printemps 2018, le livre est achevé. Nous mettons les dernières touches à l’ouvrage pour que notre hommage à ce bateau mythique lui apporte autant que ce qu’il nous a donné pendant presque 2 ans.

© Romain Garouste

Science et protection de l’environnement

Dans un contexte de réchauffement climatique, nous savons que faire un livre qui touche d’aussi près l’Antarctique est une forme d’engagement. Nous l’assumons sans pour autant revendiquer un message politique ou militant. L’Empreinte des Glaces est avant tout un livre qui fait le pont entre Science et Art. C’est, selon nous, le meilleur moyen pour toucher nos lecteurs et les amener à s’intéresser à ce sujet si important.
L’Empreinte des Glaces est un voyage. Nous espérons qu’il donnera l’envie à nos lecteurs de naviguer avec nous vers les terres antarctiques. Un voyage a ceci d’extraordinaire qu’il est à la fois sous nos pieds et dans nos têtes.

© Romain Garouste

L’empreinte des glaces, Lydie Lescarmontier, Romain Garouste, Elytis, 144p, 27€.