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Le survol des géants – Épisode 3

Vol au-dessus d'un nid de Trango

Après avoir effectué une boucle de 1500 km en parapente au-dessus des montagnes sauvages du Karakoram, du Nanga Parbat jusqu’à la frontière afghane avec un vol à plus de 7950 mètres (lire l’épisode 1), Antoine Girard et Damien Lacaze ont tenté le fameux Spantik, 7027m (épisode 2). Leur dernier objectif ? Finir en apothéose en survolant le glacier du Baltoro, avec les mythiques Tours de Trango, et flirter avec les sommets de plus de 8000 mètres. Une aventure soutenue par les Bourses Expé.

L

e mauvais temps nous cloue au sol une semaine de plus. Nous nous félicitons d’autant plus d’avoir forcer un peu la chance pour décoller au plus vite du Spantik… et s’échapper du plateau à 6500 mètres où nous étions bloqués. Finalement, le 2 août nous tentons notre chance pour « fermer la boucle », revenir à Skardu en faisant un détour par l’Est et le fameux glacier du Baltoro et sa formidable densité de sommets de 8000 mètres. Nous espérons bien remonter les 60km de ce glacier fantastique en faisant un coucou à tous les sommets emblématiques qui le bordent (Trango Towers, Mustagh, Masherbrum, Broad Peak, K2, Gasherbrum IV, Gasherbrum II). Pour le vol qui suit, nous avons besoin de plafonds à 6500m pour « sauter » par dessus le plateau du Spantik, ou nous étions coincés une semaine auparavant et continuer vers le Sud Est en direction du Glacier du Baltoro.

J’ai la gorge serrée en survolant le glacier du Spantik où nous avons été bloqués deux nuits.

Je me souviens de la vive émotion qui m’a serré la gorge lorsque j’ai revu le plateau ou nous avons passés deux bivouac forcés, mes yeux qui cherchaient des traces de notre passage, balayées par la tempête, qui reconnaissaient là une crevasse, là un sérac. Les ascendances nous ont permis de basculer sur l’autre versant du Spantik, de suivre la très longue arête de la voie normale, de survoler quelques alpiniste faisant une trace profonde. Nous avons quitté le Spantik émus et soulagés. La suite était encore plus sauvage jusqu’à trouver une crête à 5200m pour bivouaquer au dessus de village d’Askole, à l’entrée du Glacier du Baltoro. C’est l’apothéose de notre expédition : tenter d’aller voler très haut sur les 8000 du Baltoro, survoler les Tours de Trango, faire en un vol ce que les trekkeurs font en quinze jours au pied et les alpinistes en une vie en paroi. Tel est notre rêve ! Nous en discutons au bivouac. Antoine n’y est allé qu’une seule fois, deux ans auparavant, mais tous les instants de son vol exceptionnel sont gravés en lui. Le Glacier du Baltoro fait 60km de long, le dernier village, Askole, est à 8 jours de marche du camp de base du Broad Peak. Le glacier est parsemé de camps pour les trekkeurs et surtout de camps militaires. Autant dire qu’il est hors de question de nous poser sur le glacier.

Antoine sur fond de Lady Finger. © Antoine Girard – Damien Lacaze.

Coup d’oeil dans le rétro, avec le Spantik au fond. © Girard – Lacaze.

Trango. Survoler les plus belles montagnes du monde.

La nuit passe, les thermiques arrivent à l’heure, on ne peut plus reculer. C’est parti pour le vol de ma vie. La journée est belle, les cumulus généreux. Nous avançons à bonne allure, survolons le glacier du Biafo et entrons dans le vif du sujet. Je vois maintenant clairement la moraine et le début du Baltoro, le sommet du Masherbrum (7821m) donne le ton, c’est haut ! Avancer en vol sur ce glacier est logique, c’est presque un cas d’école. De belles faces Sud le remontent sur 40 km avec des transitions relativement courtes entre chaque face. Oui mais voilà, ces gigantesques faces Sud s’appellent les tours de Trango, Paiju Peak ou encore Muztagh Tower. Autant de sommets au dessus de 6000m et autant de noms qui résonnent dans la tête des alpinistes et dans la mienne comme des mythes, inaccessibles à la plupart d’entre nous. Ajoutez à cela un fond de vallée rempli de glace et saupoudré de blocs comme des autobus à perte de vue et vous comprendrez que le cas d’école aérologique »devient un supplice pour l’esprit, l’engagement est total. À chaque transition on s’éloigne un peu plus de la sortie, on sait qu’il faudra absolument rentrer par le même itinéraire. Et donc tenir un horaire. Nous voilà sur le dernier relief avant le Broad Peak, au dessus de Concordia. Nous distinguons, minuscules, quelques camps de bases éparpillés aux pieds des montagnes. Les plafonds ne dépassent pas 6500m, ce n’est pas suffisant pour aller sur le Broad Peak et en revenir. Nous choisissons sagement de faire demi-tour et de retenter notre chance le lendemain. Le retour se fait sans encombre, nous nous offrons même, luxe extrême, une séance de photos devant les tours de Trango.

L’engagement est total. A chaque transition on s’éloigne un peu plus de la sortie, on sait qu’il faudra absolument rentrer par le même itinéraire.

Le vol du lendemain me demande un effort mental considérable. En effet, je connais les difficultés, l’engagement et l’interdiction de poser, je sais aussi que le retour sera compliqué. Sachant tout ça, je suis obligé de me faire violence pour m’engager dans le vol, l’espoir de voler sur le Broad Peak m’aide un peu. Nous voilà de nouveau à Concordia, une Barbule se forme sur le Broad Peak, à plus de 7000m. C’est décidé, cette fois on y va. La traversée au dessus de Concordia, avec le K2 à gauche, le Gasherbrum IV à droite est un grand moment. Nous arrivons sur la belle arête Sud du Broad Peak dans des thermiques malsains, hachés par du vent de sud-ouest trop fort. À force de patience, nous parvenons à grimper jusqu’à 7700m, au dessus, le vent balaye tout ; le vol devient très turbulent et nous avons atteint l’heure limite de 15H30 que nous avions fixé pour faire demi-tour.

Au-delà du Spantik, la vallée qui permet de rejoindre Askole au pied du Baltoro. On voit le Gasherbum IV au fond. © Girard – Lacaze.

Bingo, vol au-dessus des Tours de Trango. © Antoine Girard – Damien Lacaze. 

Baltoro airlines

Nous orientons nos voiles à l’Est, vers la sortie du Glacier, qui est encore à 60km, la fin du vol sera longue et compliquée à cause du vent de face. Nous sortons tout juste de la vallée avant que les ascendances ne s’essoufflent et trouvons un atterrissage à 3500m in extremis. C’était la dernière pente posable avant un enchaînement de falaises et d’éboulis jusqu’en bas, nous poussons un ouf de soulagement. Nous profitons de notre dernière nuit au milieu des étoiles qui paraissent si proche dans cet air limpide d’altitude. Le vol de retour à Skardu n’est qu’une formalité malgré un col à 5700m à franchir, heureusement car nous n’avions qu’une seule chance, le mauvais temps doit arriver le lendemain. C’est d’ailleurs ce qui nous a poussés à ne pas faire une nouvelle tentative sur le Baltoro.

Un atterro à 3500 mètres nous sauve in extremis d’un enchevêtrement de falaises et d’éboulis.

Le Pakistan nous a offert des conditions exceptionnelles en début de séjour, on ne peut pas tout avoir d’un coup. Cela aurait peut être été trop facile de faire 8000m sur le Broad Peak dans le même voyage. Ce genre de vol se mérite, certains pilotes sont venus pendant presque 10 ans tous les étés sans avoir dépassé 7700m. Nous sommes déjà très heureux d’avoir pu enrouler sur les faces de ce géant, d’avoir atteint une altitude extrême de presque 8000m et d’avoir sillonné ces massifs dans une boucle ambitieuse qui n’avait jamais été réalisée. Pour survoler un 8000, il faudra revenir.

Damien Lacaze

Damien a la banane, pile au-dessus de Trango ! ©Girard-Lacaze

Antoine devant le K2 (à gauche) et les Broad Peaks (à droite). © Antoine Girard – Damien Lacaze.

L’infini glacier d’Hispar, l’un des plus longs au monde. Une fin d’aventure en beauté. © Girard – Lacaze.

Une image mythique : Damien glisse sur l’arête sud du Broad Peak. À gauche on distingue bien le Gasherbrum IV, au fond le Chogolisa. Incroyable.. © Girard – Lacaze.

Remarque : Attention le glacier du Baltoro est stictement interdite au vol libre sans autorisation. C’est une zone militaire Pakistanaise à la frontiére entre la Chine et l’Inde, qui est contrôlé en permanence et l’armée ne plaisante pas avec les autorisations. Il en va de même pour plusieurs région du Pakistan. Il faut se renseigner avant de voler dans le pays.