fbpx

Le K2 en béquilles

©DR

Dans le barda nécessaire aux grandes épopées en montagne, certains ingrédients ne sont pas en option. A quoi bon alourdir son sac à dos avec une corde et des pitons si c’est pour laisser sa détermination au camp de base ? Pour appuyer cette thèse, l’histoire de l’alpinisme a, pour une fois, mis de côté les gros barbus aux mains calleuses pour retenir l’image d’un petit bout de femme claudiquant sur les chemins défoncés du Baltoro à l’été 1982 : Wanda Rutkiewicz.

Un an auparavant, la célèbre alpiniste polonaise avait été victime d’un accident lors d’une session d’entrainement sur les pentes de l’Elbrouz, dans le Caucase. Son fémur brisé et les complications qui s’ensuivirent jetèrent le doute quant à sa participation à l’expédition au K2 prévue pour l’été suivant et dont elle devait prendre la tête. Mais cette expédition exclusivement féminine qu’elle avait elle-même organisée, était sa raison de vivre. Rien ne pourrait l’empêcher d’y aller, pas même un fémur esquinté. Une paire de béquille ferait l’affaire. Et puis comme le résume si bien l’écrivaine Bernadette McDonald dans son ode à l’alpinisme polonais* : « Wanda n’était pas une alpiniste ordinaire, c’était une alpiniste polonaise. »
« Wanda n’était pas une alpiniste ordinaire, c’était une alpiniste polonaise. »

« Longue vie Wanda. ! Vive Wanda ! » pouvait-on lire le long du chemin sur les pierres gravées par les porteurs sidérés par le courage de l’alpiniste polonaise qui n’hésita pas à s’infliger les cent cinquante kilomètres de la marche d’approche appuyée sur ses cannes. Lorsque la caravane de l’expédition atteignit enfin le glacier du Baltoro après plusieurs jours de marche dans la caillasse, Wanda contempla ses mains en lambeaux et s’effondra dans les bras de Jerzy Kukuczka et Voytek Kurtyka, qui se relayèrent pour la porter dans les derniers kilomètres jusqu’au camp de base du K2. Ses deux compatriotes s’étaient glissés dans l’expédition mais visaient le sommet par une autre voie que celle des Abruzzes, que briguaient Wanda et ses filles.
La longue marche de Wanda Rutkiewicz au K2. ©DR
Il était évident que Wanda ne pourrait pas participer à l’ascension, mais en atteignant le camp de base dans ces conditions, elle montrait un peu plus sa détermination aux autres membres de l’expédition. Aussi, elle imposait définitivement son charisme et son leadership, parfois à la limite de la tyrannie. L’expédition, marquée par la mort de Halina Krüger, fut pourtant un échec et après plus de deux mois passés sur la montagne, les alpinistes plièrent bagages et Wanda reprit ses béquilles pour rentrer à la maison. Mais quand Wanda Rutkiewicz mettait un sommet sur sa liste, elle finissait immanquablement par en venir à bout. Elle cocha finalement le K2 en 1986, en échappant de justesse à la terrible tempête qui tua treize alpinistes cette année-là. Elle disparut six ans plus tard sur les pentes du Kangchenjunga.

L’un des secrets de la réussite en haute altitude, c’est de partir léger, le cœur y compris. Alors au moment de faire son sac à dos, le Grand Alpiniste choisit souvent d’emporter sa détermination plutôt que la prudence. C’est aussi ça qui fait sa légende. Celle de Wanda Rutkiewicz n’échappe pas à la règle.

* Libres comme l’air – Editions Nevicata