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La folle histoire du trail

C’est l’inverse : l’histoire du trail fou, ou comment une poignée d’originaux ont inventé la course à pied longue distance, qui contre toute attente est devenu un sport de masse. Merci qui ? Merci Kiki.

La folle histoire du trail, Jean-Philippe Lefief, Ed. Guérin-Paulsen, 2018, 272p., 25€.

Le titre est trompeur : ce n’est pas la Folle Histoire du trail qui est contée ici, mais d’abord la folle histoire de la course à pied. En dehors des conventions et des stades. Jean-Philippe Lefief est un vrai ultrafondu, comme s’appelaient les premiers ultra-traileurs. Lefief a traduit la bible du running Born to run de l’américain Chris McDougall, Né pour courir en français, déjà édité en collection Guérin.

Il a récidivé en traduisant Tous des héros du même McDougall. On parierait que celui-ci l’a influencé pour son propre livre : touffu, historiquement blindé, passionnant mais parfois fatigant, comme le maquis corse : foisonnant mais on s’y perd souvent. Autant commencer par le piment avant les douceurs sucrées : Lefief débute par les ancêtres grecs ou non, et nous estourbit d’érudition historique avant la cinquantième page. Ce n’est que le début, mais comme le granit qui fait mal au doigt, on s’y habitue peu à peu. Passionné d’ultra au point d’avoir couru dix UTMB sans y être obligé, l’auteur dresse la liste des tribus, peuples, messagers et traditions qui ont produits les humains les plus véloces… en matière de longue distance.

Tout y passe, jusqu’aux joyeux huluberlus du XIXème siècle – les pedestrians anglais, et certain tricheur aussi (un Paris-Moscou en deux semaines, allons donc) avant d’attaquer le cœur du poulet, la naissance des « cent miles » d’abord, puis l’avènement des premiers ultra trails « modernes » aux Etats-Unis. Il apporte la preuve sans le dire que l’ultra est réservé à des chevaux de race : en l’occurrence, la Western States américaine qui était une course, à l’origine, équestre ! En 1974 un certain Gordy se présente à cinq heures du matin au vétérinaire en chef de la course… dont il va boucler les cent miles (165 km) sans monture. L’ultra est né, et comme souvent par la suite, grâce à une poignée de marginaux, qui parcourent des dizaines d’heures avec une demi-bouteille d’eau à la main pour seul viatique.

il faudrait être sacrément aigri
pour ne pas se réjouir que notre passion soit à ce point partagée

Lefief décrit par aller-retours sa propre passion de l’ultra, et ses participations aux classiques que sont désormais l’UTMB ou le Marathon des Sables. Mais c’est quand il s’intéresse à l’histoire de ces fameux ultras que son livre donne le meilleur. Le premier tour du mont Blanc fut l’œuvre de doux dingues, des pionniers vêtus de shorts échancrés et d’un K-Way à la taille. Jacky Duc et Christian Roussel, puis le valaisan Jacques Berlie, entre autres, bouclent un « TMB » au tracé plus direct et plus routier que l’actuel UTMB en une vingtaine d’heures. Les nouveaux traileurs échappent tant bien que mal à la vindicte de la fédération internationale d’athlétisme, qui fera son possible pour étouffer dans l’œuf ce mouvement à l’esprit très seventies.

Les années 80 et 90 d’ailleurs ne seront pas si propices, puisque même l’UTMB a failli finir aux oubliettes avant de renaître en 2003. Pourtant, des mythes émergent : la Marche des Cimes, qui deviendra le Grand Raid de la Réunion en 1989, avec certains qui le feront en tongs (oui, en « savates réunionnaises »). Ou en 1986, le MDS, dont le fondateur, Patrick Bauer, a commencé par traverser le sud algérien – un beau morceau de Sahara – à pied et en autonomie complète…

Et la montagne dans tout ça ? Ca manque d’intimité quand certains vous dégobillent « la soupe du ravito » sur les baskets. « Douze mille fêlés sur le TMB transformé en piste aux étoiles… » Mais Lefief ajoute : « il faudrait être sacrément aigri pour ne pas se réjouir que notre passion soit à ce point partagée ». Certes. Si vous n’aimez pas les dossards, dites-vous que tous les alpinistes en ont un – rappelle Cédric Sapin-Defour. Si vous aimez les dossards, pensez aux pionniers qui couraient cent cinquante bornes sans pipette et surtout sans ces abominables manchons de compression. Si vous aimez le trail, lisez ce livre.