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La Dent Blanche selon Paul Bonhomme

Une descente hors normes

Haute de 1100 mètres, la gigantesque face Est de la Dent Blanche, 4357 mètres, n’avait jamais été skiée intégralement. C’est chose faite par Paul Bonhomme le 27 février, une descente exceptionnelle qu’il dédie à son frère disparu, Nicolas Bonhomme.

Pyramide aux formes idéales, la Dent Blanche pointe ses triangles de gneiss aux angles nets au-dessus du Valais. Montagne parfaite pour les alpinistes classiques qui jouent sur ses longues arêtes, elle est aussi guettée par quelques rares skieurs. « Une des plus belles montagnes des Alpes », dit Paul Bonhomme. Et il a raison. Ce 27 février, à cinq heures du matin, Paul ferme la porte de la cabane Schönbiel. La veille, il est monté dormir dans ce refuge non gardé perché à 2700 mètres d’altitude, le sac bien chargé : réchaud, duvet, et le matériel technique. Sur lequel il n’a pas lésiné, au vu du labyrinthe de la face Est et des dimensions : 1100 mètres de hauteur. « Je suis parti tôt en raison de l’exposition au soleil. J’atteint le sommet à onze heures, l’heure limite que je m’étais fixé » raconte Paul Bonhomme, joint par téléphone. « La traversée initiale, quoique longue, s’est bien déroulée ». La neige transformée ne l’était pas complètement, Paul s’enfonçant « à mi-mollet » la plupart du temps, jusqu’à deux cent mètres sous le sommet. « Là c’était plus compliqué, avec une neige difficile dans laquelle je plongeais parfois jusqu’à la taille : l’horreur ! » explique t-il. Puis, quelques minutes de repos durement gagné, c’est l’instant décisif : celui où Paul chausse ses skis et file sur les premiers mètres de l’étroite arête sommitale, semée de rochers.

 © Paul Bonhomme

Tracé de la descente de la face est de la Dent Blanche sur une photo prise en 2015. © Stéphane Hottinger.

En réalité j’étais parti pour un but. 

La fine ligne entre but et succès

Paul Bonhomme a proposé le projet à deux compagnons qui ont préféré décliné, devant des conditions jugées moins favorables que lors d’une descente de la face Est-Sud-est en avril 2015 par Gilles Sierro. Le Suisse suivait les traces du précurseur et prophète du ski extrême Dédé Anzévui, qui fut le premier à mettre ses spatules dans ce versant sauvage, se faisant héliporter au sommet et récupérer en bas. En l’occurrence, les deux skieurs suisses choisirent une ligne beaucoup plus simple, sur la droite, et aboutissant sur le glacier suspendu dans la partie droite de la face. Paul Bonhomme, lui, a choisi d’inaugurer un itinéraire direct, et bien plus complexe puisque ne pouvant sortir que par une longue traversée exposée au-dessus de la dernière barre infranchissable. Comment d’ailleurs ne pas se perdre dans une face aussi gigantesque ? « Tu t’ouvres des options petit à petit, mais pour ce genre de descente j’ai une règle d’or : je gravis la face avant de la descendre, pour tâter la neige, et bien sûr, prendre mes repères au fur et à mesure. J’ai franchi deux sections mixtes et glace que j’ai dû désescalader, tout en haut de la face, et une autre en rappel tout en bas ». C’est pourquoi Paul a dû emmener un gros sac : corde de soixante mètres, pitons, coinceurs. Et deux piolets, bien sûr. Les skis ? Ses Völkl Mantra V-Werks en 100 mm au patin.

Et la cotation ? « Je préfère ne pas insister sur la cotation car les conditions n’étaient pas les meilleures, quand on regarde les photos prises en 2015. Ce qui est sûr, c’est que c’est moins raide que, disons, le Nant Blanc, mais très complexe, et vraiment plus long, avec en plus cette longue traversée à gérer ». Une concentration qui aura duré sept heures a minima pour le guide spécialiste de la pente raide, pour venir à bout en aller-retour de cette voie cotée D en alpinisme, mais qui sort plus à gauche. Mais cette phase de concentration n’arrive pas par hasard : « j’entre dans ce processus la veille. Je cogite moins la veille maintenant. L’expérience, mais aussi le fait de se dire qu’il est possible, à n’importe quel moment, de renoncer, de devoir abandonner si la machine ou les conditions ne fonctionnent pas » explique t-il.
Paul Bonhomme a déjà réalisé une autre belle première en février : c’était dans les Aravis, à l’Étale, un sommet plus modeste (2483 mètres) mais dont la face Est réussie avec Stéphane Roguet a été une vraie aventure, avec du mixte sérieux (M5) et « aléatoire » à la montée, et des passages à 55° et plus à la descente, pour une cotation pas loin de maximale (5.5 E4). Dix jours plus tard à peine, le duo prenait un but en règle dans le Chablais voisin, renonçant pour cause de manque de neige. Les buts, même rares cette année pour Paul Bonhomme, font partie du chemin. Et de cette envie de Dent Blanche : un projet formé cinq jours auparavant mais mûri depuis des années. « En famille nous venions l’été dans la vallée. Avec mon frère, nous regardions ce sommet mythique, inaccessible. Pour moi, c’est la montagne rêvée, une montagne telle qu’on la dessine quand on est enfant » témoigne Paul Bonhomme, qui a baptisé cette première Nico, du nom de son frère aîné de six ans, Nicolas Bonhomme, disparu en 1998 au Gasherbrum VI. « Cela faisait longtemps que j’attendais de pouvoir nommer une voie en hommage à mon grand frère … quoi de plus normal que de choisir La Dent Blanche pour cela, lui qui aurait rêvé être à mes côtés aujourd’hui. »

Je cogite moins la veille maintenant.