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K2 – Pologne 0

Le K2 depuis le camp de base. © Pierre Neyret

Voilà, c’est fini. Le K2 culmine bien à 8 611 mètres quelle que soit la saison, mais il va falloir en convenir : en hiver il parait le double…

L

es polonais avaient pourtant mis le paquet et leur équipe type avait fière allure mais le curseur n’a jamais dépassé les 7 600 mètres et le record de 2003 (7 650 mètres) tient toujours. Malgré l’échec, cette expédition est historique à bien des égards car cet hiver en Himalaya est à lui tout seul un condensé des plus grandes heures de l’alpinisme.

Le gotha contre Goliath

« Pourquoi pas ? Nous avons commencé avec l’Everest, nous pouvons finir avec le K2. Si nous n’essayons pas, nous n’y arriverons pas. » Ainsi parlait Krzysztof Wielicki lors d’une interview donnée au magazine espagnol Desnivel, quelques mois avant le départ de l’expédition pour le Pakistan. Pratiquement inconnu lorsqu’il parvient au sommet de l’Everest en compagnie de Leszek Cichy à l’hiver 1980, c’est en légende vivante que Wielicki abordait cette hivernale au K2 où il a déjà passé, en cumulé, plus d’un an de sa vie. Cinquième homme aux quatorze 8 000, premières hivernales à l’Everest, au Lhotse et Kangchenjunga, déjà chef de l’expédition au K2 à l’hiver 2003… qui d’autre que lui pour diriger l’énorme machine financée par le gouvernement polonais ?

Et qui d’autre que le gotha de l’alpinisme polonais pour l’accompagner ? Douze alpinistes, dont les auteurs des premières hivernales du Broad Peak, du Makalu et des Gasherbrum I et II. Sur douze, cinq avaient déjà gravi le K2. Ténors parmi les ténors, la crème de la crème, les flingueurs de 8 000, les top gun des cimes : Adam Bielecki et Denis Urubko étaient chargés de poser pour la photo du sommet. Mais si photo du sommet il y a eu, c’est d’en bas qu’elle a été prise… Pourtant, lorsque l’on regarde l’engouement du public pour cette folle histoire, il semblerait que le microcosme alpin se soit considérablement agrandi ces deux derniers mois. Et si l’expédition est un échec sur le terrain elle restera comme un formidable succès populaire.

Adam Bielecki à Ladek, en Pologne (2017). ©Ulysse Lefebvre
Denis Urubko à Chamonix (2012). ©Ulysse Lefebvre

Engouement sans précécent

« Les montagnes ne sont pas des stades » dit le vieil adage. Le K2 avait pourtant des airs de Maracanã ces derniers mois… Si l’idée des ascensions en direct dans les médias ne date pas d’hier, cette hivernale au K2 marque indéniablement un changement d’ère. Dans les années 60, l’ORTF et Radio Luxembourg suivaient René Desmaison à l’Aiguille du Midi, aux Grandes Jorasses et même sur la Tour Eiffel. En 1978, la voix de Pierre Mazeaud au sommet de l’Everest était relayée en direct par France Inter et TF1. Mais l’avènement des réseaux sociaux et des traceurs GPS ont fait de cette hivernale du bout du monde un buzz bien ancré dans son époque. Les drones sont annoncés pour la prochaine tentative ! Du suspense, des engueulades, des polémiques, des héros, des gentils, des méchants, des retournements de situation… que celui qui a écrit le scénario se fasse connaitre ! Peut-être plus que le sommet, c’est finalement une vraie tentative qu’il aura manqué pour que la fête soit totale et que la twittosphère alpine disjoncte définitivement. Mais n’est-ce pas mieux comme ça ? La mort en direct eut été de mauvais goût… Quand le soufflé sera retombé, peut-être faudra-t-il s’asseoir cinq minutes pour réfléchir à tout cela. Peut-être lors des prochains Piolets d’Or qui auront d’ailleurs lieu en Pologne ? « J’ai des sentiments mitigés. Le passé n’était pas meilleur mais différent. Vous ne pouvez pas freiner ni arrêter le changement. » avaient répondu Krzysztof Wielicki et ses 68 ans à la question du WiFi au camp de base. Tout avait pourtant commencé calmement, début janvier, par une marche d’approche des plus bucoliques sur le glacier du Baltoro…
Le camp de base de l’expédition polonaise au K2. ©K2dlapolakow

Interlude au Nanga Parbat

Le 9 janvier, Krzysztof Wielicki et sa bande débarquent au camp de base. C’est le début de l’aventure. Sans prendre le temps de défaire leurs valises, les alpinistes se jettent à corps perdus sur la montagne qui les fait rêver depuis des mois. Le 17 janvier, Janusz Gołąb et Denis Urubko atteignent 5 900 mètres sur la voie des Basques mais le mauvais temps repousse l’installation des premiers camps. Le camp II ne sera finalement établi que le 22 janvier à 6 300 mètres. Le processus d’acclimatation allait véritablement commencer lorsqu’arriva, le 26 janvier, un SMS de détresse d’Elisabeth Revol en perdition au Nanga Parbat. Débutent alors les heures folles du Nanga Parbat et le sauvetage historique d’Elisabeth Revol par Denis Urubko et Adam Bielecki qui changent immédiatement de dimension. Denis Urubko n’en est pas à son premier sauvetage, c’est même un habitué des situations critiques, un véritable Saint Bernard de l’Himalaya. Le grand public glorifie les héros Polonais et conspue l’imprudence de la Française sans comprendre qu’ils appartiennent à la même caste, celle des alpinistes et fiers de l’être, comme l’écrit Cédric Sapin-Defour dans l’un de ses plus beaux billets sur Alpine Mag. Et l’on sait aussi que les rôles auraient pu être inversés. Urubko et Bielecki, eux, sont de nouveau héliportés au K2 où ils retrouvent leur place sans regarder en arrière. Le 4 février, soit une semaine après avoir englouti le Kinshofer wall, Urubko reprend du service au K2 pour tenter d’établir le camp III.
Denis Urubko, Elisabeth Revol et Adam Bielecki lors du sauvetage de la française en perdition avec son compagnon Tomek Mackiewicz. ©Adam Bielecki
La satisfaction du sauvetage réussi lors du retour en hélicoptère au K2. ©DR
Denis Urubko et Elisabeth Revol, de retour au camp de base du Nanga Parbat. ©Denis Urubko

Adam Bielecki, après la chute de pierres reçue en plein visage. ©DR

Accidents, tension et changement de plan

Le 7 février, en guise de remerciement pour son sauvetage du Nanga Parbat, Adam Bielecki reçoit une pierre sur la tête… Le casque a rempli sa mission mais le nez est tout de même cassé… Il en faut plus pour arrêter l’homme de Tychy qui repartira après quelques points de suture. Deux jours plus tard, c’est Rafał Fronia qui reçoit une pierre sur le bras. La fracture est plus grave, il devra être évacué vers Skardu. Entre les deux accidents, Denis Urubko était sorti une première fois de sa réserve pour émettre, via son blog personnel, des critiques sur les choix de Wielicki et demander un changement de voie : « il n’y a plus rien à espérer sur la voie des Basques » disait-il après avoir récupéré ses effets personnels dans les camps d’altitude. Le 11 février, le chef d’expédition annonce qu’en raison des chutes de pierres trop fréquentes, l’équipe déménage vers la plus traditionnelle voie des Abruzzes. Urubko a été entendu. L’expédition repart pratiquement à zéro mais le beau temps aidant, la progression est plus rapide que sur la voie des Basques. Le 13, Urubko, toujours lui, monte en éclaireur jusqu’à 6 500 mètres et annonce – toujours sur son blog – qu’il a déjà repéré une fenêtre météo pour tenter le sommet le 20. La semaine qui suit, le K2 offre effectivement quatre magnifiques journées qui permettent à Urubko et Bielecki d’installer le camp III à 7 200 mètres et même de monter jusqu’à 7 400. Le créneau est trop court pour tenter le sommet mais la voie est désormais équipée et les hommes sont acclimatés. Les voyants sont au vert mais Urubko commence à voir rouge…
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Denis Urubko a quitté le camp de base sans en informer le chef d’expédition

Denis Urubko, l’insoumis du K2

Denis Urubko l’avait annoncé avant de partir : pour lui, une véritable hivernale doit être réussie avant le début du mois de mars. On le savait comme un lion en cage de plus en plus affamé à mesure que les jours passaient et certains observateurs avertis voyaient déjà en lui le digne successeur d’Hermann Buhl, magnifique rebelle de la première du Nanga Parbat en 1953. Pourtant, le 24 février, alors que tout le monde se ressourçait au camp de base, des bras tombèrent soudain en même temps que le communiqué officiel : « Aujourd’hui, en plus des traditionnelles rotations d’acclimatation, Denis Urubko a quitté le camp de base sans en informer le chef d’expédition, pour tenter le sommet en solitaire avant la fin du mois de février. » Branle-bas de combat ! Après avoir assuré que le reste de l’équipe le soutiendrait dans sa tentative malgré sa transgression, Krzysztof Wielicki annonce le dimanche 25 au soir qu’il pense qu’Urubko va tenter le sommet le lendemain. Le lundi 26, à l’aube, c’est l’effervescence sur le web et une question revient en boucle : comment suivre l’ascension puisque Denis est parti sans radio ni GPS ? Nous voilà pris à notre propre jeu… La réponse tombera finalement assez tôt dans la matinée avec le retour de l’insoumis au camp de base puis son inéluctable départ de l’expédition, non sans un dernier incident.
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Wifi Gate au K2.0

Le monde entier veut savoir ! Pourquoi a-t-il fait demi-tour ? Que s’est-il passé pendant ces deux jours ? Jusqu’où est-il monté ? Mais pour le récit, il faudra attendre un peu. Pendant son absence, Wielicki a demandé que le mot de passe du Wifi au camp de base soit changé pour éviter qu’Urubko ne se répande une nouvelle fois sur son blog. Ambiance… C’est finalement pendant sa marche de retour que l’on apprendra que le rebelle du K2 a été refoulé par le vent et le mauvais temps après avoir passé une nuit dans une crevasse et atteint l’altitude maximum de l’expédition : 7 600 mètres. En allant au bout de son idée de fin de l’hiver en février, Denis Urubko a peut-être mangé la feuille… Mais peut-on en vouloir à un homme d’avoir des principes ? En refusant d’aller dans son sens, Wielicki a condamné une entreprise, certes peu en accord avec l’esprit de ce genre d’expédition collective, mais Ô combien chevaleresque… Peut-on lui reprocher d’être resté fidèle à sa ligne de conduite ? L’alpiniste italien Hervé Barmasse, qui a un avis assez clair sur la question, n’a pas hésité à prendre la parole pour défendre Urubko : « Il y a des alpinistes, puis il y a les champions. […] Non seulement je respectais son choix de partir seul, mais dans mon cœur j’espérais que ce serait un succès. Parce que Denis poursuit l’impossible, il fait rêver et rend l’alpinisme fascinant. […] Je suis profondément déçu. S’il  y a quelqu’un de sincère dans notre monde de « conquérants de l’inutile », c’est bien Denis. Aujourd’hui, les intérêts sont si grands à cause des sponsors et des records, que tout est questionné de travers et les informations souvent superficielles et approximatives voyagent trop vite sur internet. L’alpinisme risque de se transformer en détritus. »

#K2dlaPersonne…

#K2dlaPolakow. Ou « le K2 des polonais » en français. C’est le mot-clé attribué à cette expédition sur les réseaux. L’histoire en décide pourtant autrement… Pendant que Denis rentre au pays, l’expédition se poursuit et Wielicki continue de croire qu’une tentative début mars reste possible. Problème, seul Adam Bielecki est correctement acclimaté à la haute altitude. Pour tenter quelque chose, il faut deux fenêtres météo espacées de quelques jours. Rarissime au K2 à cette période de l’année. Pourtant, les premiers jours de mars, une belle semaine de beau temps se profile à l’horizon et pendant que la neige tombe en abondance sur la montagne et le camp de base, l’espoir semble renaitre. Pas pour longtemps… Le lundi 5 mars, aux premiers rayons de soleil, Bielecki et Golab partent en reconnaissance et reviennent vite avec de mauvaises nouvelles. Les cordes fixes sont enfouies sous des mètres de neige et le camp I a été ravagé par le vent. Fin de l’aventure. Il faudra revenir… Le mystère du K2 en hiver garde donc toute son épaisseur et il faut avouer que l’idée a aussi son charme. Celui qui le percera n’est peut-être pas encore né mais une chose est sûre : cela reste un défi de choix pour les futurs prétendants.   NB : le jeu de mot du titre de cet article  est librement inspiré de l’alpiniste turc Uğur Uluocak qui avait utilisé ce titre (K2 – Ugur 0) pour raconter dans un magazine son deuxième échec au K2. C’est Charlie Buffet qui rapporte l’anecdote dans La folie du K2 (éditions Guérin).
La descente lors de l’une des nombreuses phases d’acclimatation. ©K2dlapolakow