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Gueules glacées | L’ICE Climbing Écrins version people

L’ICE Climbing Ecrins, à l’Argentière-la-Bessée, c’est avant tout une histoire de gens, des passionnés toujours, de sacrées gueules parfois. En voici un petit panel, photographiés non loin du bar.

« You talkin’ to me? You talkin’ to me? Then who the hell else are you talkin’ to ? You talkin’ to me ? Well I’m the only one here. Who the fuck do you think you’re talking to ? » Et voilà Christophe Moulin qui grimace, gesticule, brandit le majeur, avant d’éclater de rire, la casquette vissée (à l’envers) sur la tête, le Moulinos joue De Niro (celui de Taxi Driver) du monologue précité, on est dans un coin de la salle de l’ICE, le studio photo constitue en un drap attaché aux loupiottes de secours, c’est dire si mes portraits vont ridiculiser Annie Leibovitz, d’autant qu’une foule compacte passe puis repasse au milieu dudit studio, benoîtement situé devant deux portes battantes. De Niro, enfin, Moulin, est comme un poisson dans l’eau, c’est un survivor, il s’est rappelé qu’il était un homme avant de frapper le glaçon de trop, alors que c’est une question de chance, pas de talent, hein, quand on a écumé tout ce que Freissinières et Gramusat comptent de chandelles glacées. À l’époque, dans les années 90, on disait « free standing » pour parler de ces colonnes pendues loin du rocher, l’ICE s’appelait Rassemblement de Cascade de Glace, et le sourire de Gérard Pailheret, le fondateur, accueillait les participants, le vin rouge coulait à flots. Moulin grimpait avec un petit-jeune, Jérôme Blanc-Gras, à eux deux ils ont noirci quelques pages de nouveautés dans le topo. Ils n’étaient pas les seuls, bien sûr, il y avait du monde, et du beau monde, dans Quartier Nord, à l’ombre de la grande paroi de Gramusat, pour aller se rétablir sur ce glaçon au rebord d’un toit, comme Lionel Daudet, torse nu et en chaussures d’expé, ou comme Cyrille Copier, auteur d’une razzia d’itinéraires futuristes, et qui passe aujourd’hui les bras chargés de pancartes, au taquet, car le guide-vigneron s’occupe des ateliers de l’ICE, pas une mince affaire avec tous ces débutants assoiffés de glace pilée – et pas tant de voies à se mettre sous le piolet.

 

Il y a de quoi être blasé, mais ce n’est pas le cas de Marco Troussier, venu en voisin, lui qui écrit des romans après avoir aussi beaucoup ouvert, de la mythique Ginat aux Droites jusqu’au cigare le plus répété de l’univers (Sombre Héros à Ceillac, ouvert avec Pschitt), en passant par l’immense secteur Pont Vert de Freissinières, hommage à Pont Rouge, haut-lieu de la glace canadienne. Au tournant des années 2000, Will Gadd s’est pointé avec ses dragonnes au Fournel, autant dire qu’il s’est ridiculisé devant les frenchies, quand la révolution du dry avait envoyé balader les dragonnes – et la glace avec, parfois. Marco attrape son frère par le bras, Stéphane, voilà une photo de famille pas banale, les frères Troussier qui du fin fond du 05 ont conquis le Verdon par tous ses trous, pardon, ses fissures, puis le monde entier, et même l’ENSA (pour Marco). La séance photo aurait pu se poursuivre avec d’autres durs à cuire, les Arnaud Guillaume, écumeur des faces nord d’Ailefroide (oui, il y en a deux, révisez vos Cent Plus Belles), les Philippe Pellet, les pirates de haute mer comme Toni Clarasso ou Gepetto, mais un vent de fraîcheur a souflé sur le studio, les frères Ladevant ont remplacé les frères Troussier, pas en termes d’ouvertures, enfin, pas encore, mais en termes de médailles, Tristan et Louna écument eux les podiums de compétition de glace, et le Rif d’Oriol tout proche a servi de décor, d’ailleurs un autre couple, réel celui-là, passe aussi devant l’objectif, la jolie blonde Marianne van der Steen et son Dennis van Hoek de copain, ces deux-là sont redoutables en glace, se baladent en vieux Volkswagen T3 poussif, mais ne vous fiez pas au sourire de « Vertical Marianne » (son pseudo sous instagram), elle déchire aussi en glace naturelle. Quoique pas autant, évidemment, que Fred Degoulet : un local façon de parler, puisqu’il passé des mois au Nuptse histoire de plier une fois pour toutes la face sud de ce géant d’Himalaya, tout en étant capable de faire le zouave aux Viollins (sans glace) ou à Gramusat avec d’autres lames comme Symon Welfringer, alias la Machine, comme quoi, il ne faut pas écouter les fragiles de l’entraînement, ceux qui assènent ne pouvoir garder leur niveau dans toutes les disciplines : le Deg est la démonstration même de la polyvalence, qu’il pratique avec ses collègues d’Écrins Prestige, tel Jonathan Joly, qui fait semblant de tenir le bar alors qu’il sort d’une campagne de rééquipement des relais des cascades avec ses collègues, un grand merci à lui.

Dans un autre registre, le presque local Benjamin Ribeyre néglige parfois ses piolets pour ses skis, bien que drômois d’origine, ce qui ne gâche rien, comme il l’a prouvé en répétant la plus belle voie à l’ouest du Drac, Lou Monstraou. La transition est toute trouvée avec Monsieur Ibarra, ouvreur du chef d’oeuvre. Guide, alpiniste drômois qui se revendique comme tel, géotrouvetout qui oeuvra pour Grivel avant de travailler aujourd’hui avec Blue Ice, Manu Ibarra est plus vieux que vous mais bien plus à l’aise sur la glace, surtout quand il n’y en a presque pas, un style félin qu’il excerce du 05 au Ben Nevis en passant bien entendu par le col de la Bataille (demandez à Google). Surtout, avec Jérôme Blanc-Gras, Manu œuvre pour la communauté avec l’outil Ice-fall data, une base de données pour mieux comprendre la cascade de glace. D’autres essayent aussi, encore, malgré leur âge avancé, d’y comprendre quelque chose malgré leur tendance exhib’ : Sébastien Constant, guide-éditeur, auteur du topo Neige, Glace et Mixte des Écrins connaît mieux les vallons des Hautes-Alpes que vous le parking du Recoin (si vous êtes grenoblois) ou celui des Confins (si vous êtes annecien). Et les Écrins, c’est beaucoup plus grand. Le Seb a aussi beaucoup oeuvré avec le regretté Raphaël Borgis, auteur de moults voies glacées ou non dans le Briançonnais. Pour la photo, nous réunissons Manu Ibarra et Raphaële Charvet, l’une des rares femmes guides dans la région, et également géologue à l’ONF. Ne lui demandez surtout pas si elle fait partie de la promotion 2017 des six femmes guides : la réponse est NON, Raphaële Charvet a été diplômée l’année précédente, avec deux autres femmes, ce qui était déjà pas mal, non ? C’est l’heure de la pause, on tente de rejoindre le bar où s’égosillent des guides glaciairistes par passion et amateurs de bière par nécessité – Laurent Girousse, Jérôme Huet, Anthony Lamiche, Abdou Martin–  mais c’est peine perdue, mieux vaut se tourner vers des grimpeurs plus sobres, c’est-à-dire la gente féminine. Commençons avec Stéphanie Maureau, qui a bouffé du dry au petit déjeuner pendant quelques années, avant de devenir guide de haute montagne, et qui poursuit sa mission glace chez Camp. Les fûts de bière se vident, les candidats au photomaton se font rares, mais le hasard de l’ICE n’existe pas : c’est au tour de Liv Sansoz de se prêter au jeu, elle qui s’est lancée dans la quête des 82 sommets des Alpes de plus de 4000 mètres, et qui l’a presque finie (ce sera pour ce printemps). Liv l’ex-championne du monde d’escalade faisait ses premiers pas en glace en compétition (sic), avec un beau casque lesté sur la tête (le modèle jaune chantier de Petzl) et passe désormais son temps en montagne. Eux aussi mais dans un autre style : Pablo Signoret et Antony Newton des SDD Slackline, qui sont venus faire une démonstration de highline. Dehors, au-dessus du public de l’ICE chauffé par le houblon. Eux sont pieds nus sur la sangle : autant dire qu’ils sont mûrs pour aller se prendre une onglée à Freissinières.