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Great Himalaya Trail en VTT | D’un bout à l’autre du Népal

Ex-coureur cycliste, Stéven Le Hyaric vient de boucler le Great Himalaya Trail en VTT. Soit la traversée du Népal d’est en ouest, deux mille kilomètres et vingt cols à plus de 5000 mètres : le rêve de Steven, tombé amoureux de l’Himalaya. 50 jours de démesure, à l’image de ce GHT. Récit.

A

près avoir passé cent vingt jours au Népal l’an passé, un déclic s’est opéré en moi. Je veux désormais aller au bout de mes rêves. J’ai donc créé une association qui s’appelle Rêves Blancs qui promeut l’aventure sous toutes ses formes, mais en gardant toujours mes rêves d’Himalaya dans un coin de ma tête. Cela fait donc plus d’un an que je prépare cette traversée de l’Himalaya en VTT. L’idée est de suivre l’itinéraire du Great Himalaya Trail, qui enchaîne les treks et les sentiers moins classiques du Népal de l’Est à l’Ouest du pays. Au de-là du fait d’être une des premières tentatives en vélo de ce parcours hors normes, j’avais fait le choix comme dans chacun de mes projets de tenter de transmettre un maximum au grand public quitte à parfois changer les plans initiaux pour que cette aventure ne soit pas qu’individuelle mais qu’elle soit partagée avec le plus grand nombre. Mon partenaire France Info a donc diffusé l’aventure avec un épisode par semaine sur le web et la télé TNT.

Je veux aller désormais au bout de mes rêves

Altitude, longueur, terrain cassant : l’Himalaya n’a pas fait de cadeaux à Stéven et à Ngawang, son accompagnateur. © Pehuen Grotti

On ne montre généralement que deux massifs, l’Annapurna et l’Everest, je voulais découvrir et montrer le reste

L’Himalaya en VTT, quelle drôle d’idée

Mon obsession de traverser cet absolu qu’est l’Himalaya népalais et ses huit “8000m” vient d’un constat assez simple. On nous rabache les oreilles de la magnificience de l’Himalaya mais nous n’en montrons principalement que deux sommets ou massif : l’Everest et les Annapurnas. Je voulais donc traverser le Népal par une de ses traces les plus hautes et les plus dures : le Great Himalaya Trail et d’en montrer l’envers du décors, sa faune, sa flore mais aussi ses populations semi-nomades. Aussi, parce que c’est un des derniers territoires véritablement sauvages du monde. C’est un territoire protégé où l’homme n’a que très peu sa place. Le froid, l’altitude, le manque de nourriture, l’impossibilité de survivre pour les bêtes et la difficulté d’approvisionnement en font un des endroits les plus préservés du Monde mais l’un des plus hostiles. La nature y est authentique, sauvage. Au Népal la diversité des paysages, de la faune, de la flore, est exceptionnellement riche. Dans la même journée vous pouvez passer de la montagne aux plaines en passant par des rivières, des lacs, des forêts, la jungle. Vous imaginez les écarts de températures, de -10°C à + 30°C et parfois tout ça dans la même journée. Le corps a dû s’adapter et très vite. Au programme, pas loin de 2000km, 90 000 mètres de dénivelé positif à vélo et à pied bien sûr parce qu’on ne traverse pas des cols à plus de 5000m  avec le vélo sur le dos avec aisance, en tout cas pas moi.

Beau temps, belle neige, mais pas toujours l’entente cordiale entre les deux compagnons de voyage. © Pehuen Grotti

Du stress pendant un an pour financer cette aventure

C’est bien connu dans le royaume des aventuriers, le plus dur d’une aventure comme celle là n’est pas forcément l’aventure en elle-même mais la période qui l’a précède. Pour moi ce fût beaucoup plus intense que je le pensais et ce, jusqu’au dernier moment. Après avoir traversé la France (en finissant par le GR20) pour promouvoir la bienveillance cyclistes-automobilistes l’été dernier, je me jette dans ce projet de traversée de l’Himalaya. En septembre, mon programme fût assez simple, le matin j’étais coursier à vélo chez Courrier à Paris, l’après-midi je faisais le tour physiquement, par téléphone ou par mail des sponsors potentiels pour le projet. Je savais que ce serait dur vu les objectifs que je m’étais fixé et le prix du sherpa. Au total près de 450 fondations, marques et entreprises contactés. Mes sponsors personnels me suivant sur le projet, (Compressport, Polar, Punch Power) j’avais déjà une petite épine du pied d’enlevée, il me manquait néanmoins quelques partenaires pour partir. A force de conférences, de rencontres et une belle aide de mon réseau je suis presque arrivé à boucler le budget mais l’échelonnement des paiements fera que je manquerai d’argent au jour J pour pouvoir partir. J’empièterais sur mon argent personnel, c’est toujours le cas aujourd’hui puisque je me suis endetté largement pour pouvoir le financer. Mais les rêves n’ont pas de prix et je ne regrette absolument rien. J’ai beaucoup appris sur le projet en lui-même mais encore plus avant.

Ngawang Sherpa

En rencontrant Ngawang à Katmandou, je m’attends bien sûr à rencontrer un garçon jeune et sans une très grande expérience de la gestion de ce genre de projet au long court. Il m’assure néanmoins qu’il est le meilleur, qu’il connait parfaitement cette trace et que tout est ok. Nous travaillons donc ensemble pour caler les nombreux détails de ce projet : timing, récupération, transfert ravitaillement matos et alimentation aux différents checkpoints, envoi du vélo de Pehuen, mon filmeur, en Jeep, possibilité de filmer ou non, etc.. Je suis tendu avant le départ mais confiant sur la relation entre Ngawang et à moi. Mais je tombe assez vite de ma branche lorsqu’il m’annonce qu’il n’a pas de vélo et que l’argent du projet va payer son vélo, son sac, de nouvelles lunettes, chaussures… Donc cela réduit de beaucoup sa marge de manœuvre financière étant donné ses dépenses personnelles de plusieurs milliers d’euros avant de partir. Mon stress est donc monté d’un cran très rapidement alors que je pensais que le plus gros du stress était derrière moi. Lorsque je le vois arriver avec un vélo d’à peine 10kg, full carbone (même le guidon), je me dis que nous ne sommes pas vraiment dans la même vision de l’aventure. J’ai moi aussi roulé sur de jolies montures par le passé lorsque j’étais coureur mais jamais je n’ai privilégié le matériel à ma préparation et au sens que je voulais donner à mes projets. Par la suite, j’ai eu mille engueulades avec ce garçon qui n’avait aucune notion de ce qu’étaient que l’acclimatation, la gestion de la récupération, l’alimentation, etc.. Je suis d’ailleurs tombé plusieurs fois malade, la dernière fois à 15 jours de l’arrivée où j’ai bien cru que c’était fini pour moi. Coté sécurité, ce garçon m’a fait peur. Ngawang n’avait pas conscience avant le projet que réaliser le GHT avec un vélo de 14-15kg plus un sac de 12-15kg serait très dur, et particulièrement au dessus de 4000m. Malgré tout je ne garderai que le meilleur de cette aventure. Je souhaitais partager mon expérience avec vous. Le choix d’un compagnons de cordée, d’aventure ou de trekking est essentiel dans l’approche de votre projet, j’ai probablement été trop confiant, et je me suis retrouvé en grande difficulté même si le projet a été couronné de succès. En définitive le plus grand fautif dans cette histoire c’est moi.

Lors du passage du très enneigé Larkya La, à plus de 5000 mètres, qui permet de contourner le Manaslu par le Nord. © Pehuen Grotti

Ne jamais rien lâcher pour rester dans les temps 

L’aventure n’a pas été facile. Combien de fois ai-je failli craquer, combien de moments me suis-je vu exploser et tout lâcher pour stopper cette course infernale. Mon passé de modeste cycliste élite m’a servi souvent, et pour de multiples raisons : ne jamais rien lâcher, s’accrocher, apprendre à gérer son effort sur des durées pouvant aller jusqu’à 16-17h par jour, garder la tête froide, préserver son matériel partout, tout le temps, ne pas mettre trop de braquet, ne pas partir trop vite chaque jour. Une des plus dures batailles aura lieu à 24h de l’arrivée, moi qui pensait être plus tranquille et pouvoir savourer les derniers jours de ce projet. Je me retrouve au départ de Simikot avec une certaine appréhension, avec des inconnues quant au terrain qui nous attend. Ce fut pire que je l’imaginais. Ngawang nous avait annoncé une route entre Simikot et Hilsa, la frontière chinoise et arrivée finale de ce projet. Entendons-nous bien, nous parlons d’une route népalaise donc très difficile et roulable sur 70-80%. En réalité, après une descente de 10km, nous nous sommes retrouvé en face d’un vrai « chantier » comme j’aime à l’appeler. Pas un mètre de vélo pendant quasiment 60% du parcours, une chaleur étouffante et pas une zone d’ombre. Les kilomètres à pied, ça défile beaucoup moins vite qu’à vélo, tout le monde le sait. Mais là j’avais l’impression que le compteur était tout simplement bloqué. Au final une dizaine d’heures de portage et de poussage de vélo pour aller jusqu’au déjeuner. Ensuite, ce fût un poil plus roulant avec l’arrivée sur des « jeep tracks ». Là, malgré la difficulté du terrain, nous avons chacun trouvé notre rythme, Pehuen s’arrêtant régulièrement pour filmer à la caméra ou au drone. A 20h, la nuit noire tombe, nos frontales s’allument pour laisser place à un numéro d’équilibriste pendant 1h de descente sur une « route » parsemées de pierres. Dans la dernière partie, j’ai le plaisir de faire un « soleil » avec mon vélo, traduisez « il s’est retrouvé par-dessus son vélo et la terre dans la terre sans savoir ce qui lui est arrivé ». Plus de peur que de mal mais je demande à Ngawang de nous trouver une maison pour manger et dormir 3h avant de repartir vers Hilsa. Il s’exécute mais négocie pour repartir dans la foulée, mais c’était impossible pour moi. Trois heures plus tard, nous repartons à jeun, je m’accroche. Je suis à bout de force. 12h plus tard, nous sommes à Hilsa, partagés entre bonheur, émotion intense et la boule au ventre de refaire le même trajet dans l’autre sens car aucune liaison aérienne n’existe d’Hilsa pour Katmandou. Nous montons un scénario avec Pehuen, il fait le blessé et je négocie avec les locaux pour nous permettre de rentrer en hélicoptère. Après quarante minutes de négociation, j’arrive à nous faire partir pour une somme modique, surtout comparée à l’enfer que nous venons de vivre pendant les derniers jours. Tout est bien qui finit fabuleusement bien.

Dernière étape. nous repartons à jeun, je m’accroche, je suis à bout de forces.

© Pehuen Grotti

Rouler sur l’impossible

Quel plaisir de rouler sur l’impossible, de rouler sur le ciel comme diraient certains, parfois à plus de 5500m, parfois beaucoup plus bas. Rouler au soleil, dans la neige, sous la pluie, dans la moiteur de la jungle à la sécheresse des sommets. Porter parfois dix heures pour rouler une petite heure, cette petite heure d’ivresse indescriptible pour nous comme pour les populations locales. Des populations qui pour certaines n’avaient jamais fait mais même jamais vu un “Cycle” (prononcez « caïkeul ») comme ils l’appellent. Quelle émotion pour eux en arrivant dans les villages reculés où la nourriture et n’importe quelle fourniture arrive sur dos de yak, d’ânes ou d’hommes. J’arrivais donc tel un porteur, avec ma bicyclette sur le dos, le sourire aux lèvres de partager un moment d’exception avec ces populations qui pour certaines n’ont ni télévision, ni téléphone. Elles m’ont souvent accueilli à bras ouverts. Ces rencontres m’ont à chaque fois touché et enrichi. Alors écoutez-moi. Si vous lisez ces lignes, vous avez déjà mis un pied de l’autre côté de la barrière. Vous avez déjà pris conscience que faire du sport ne se limite pas à enchaîner les courses, les entraînement sur des chemins balisés, à passer les yeux rivés sur son GPS jusqu’à épuisement. Vous savez que la montagne n’est ni juste ni injuste, elle est dangereuse. Vous savez combien vous avez de la chance de pouvoir pratiquer votre sport librement. Si j’avais un seul conseil à vous donner ce serait celui de continuer, de ne jamais lâcher vos rêves de vue et d’en réaliser quelques-uns, d’aller toujours à la découverte de l’autre. De l’autre chemin, de l’autre personne, de l’autre voisin que vous voyez partir chaque dimanche avec son vélo flambant neuf. Tentez de nouvelles traces, de nouvelles voies, de nouvelles routes, roulez différemment, soyez libres, heureux de vivre un moment unique sur votre merveilleuse machine à plaisir qu’est votre vélo, certains n’y ont pas accès et ni auront jamais accès alors prenez conscience du privilège d’être en vie et ne vous arrêtez jamais de rêver. Bonne route à vous.

SI j’avais un seul conseil à donner ce serait de ne jamais lâcher vos rêves.

© Pehuen Grotti