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François D’Haene | Catch me if you can

François D'Haene devant l'entrée de son domaine viticole du Germain. © A | M

L’UTMB, trois fois. La diagonale des Fous, trois fois. Le record du GR20 en Corse. Et maintenant celui du sentier le plus réputé de Californie, le John Muir Trail. Mais qui est François D’Haene, vigneron et patron du trail mondial ?

Fin de l’été 2017. Les accords de Conquest of Paradise de Vangelis résonnent sur la place de l’Église de Chamonix. Deux mille traileurs tremblent, sauf une poignée de favoris qui pensent déjà à la prochaine nuit, en Italie, déterminante. Dix-neuf heures plus tard, François D’Haene est de retour sur la place de l’Église. Devant tout le monde. Devant Kilian Jornet, arrivé un quart d’heure trop tard. François a bouclé ces 168km en un temps record, un rythme d’enfer qui a semé ses poursuivants un à un. Et ce n’est pas un hasard. Octobre 2013. Deux mille coureurs se pressent au départ du Grand Raid de la Réunion, avec l’espoir d’en voir l’arrivée après 170 kilomètres et près de dix mille mètres de dénivelé. Le Grand Raid n’est pas une course comme les autres : à l’arrivée, seule la moitié des partants bouclent cet ultra considéré comme le plus dur du monde. Cette année-là, un homme atteint le stade de la Redoute, à Saint-Denis, avec 2 heures 42 minutes (!) d’avance sur le second : François D’Haene a traversé l’île de la Réunion en 22 heures 58 minutes, laissant les favoris plusieurs heures derrière – dont Kilian Jornet, victime de son genou. La diagonale des Fous, l’autre nom du grand Raid, ne fait pas de cadeau. Le pire ? Les températures qui font le yoyo entre le littoral et les cimes. Mais ce mois d’octobre 2017, François n’était pas à la Réunion, mais en Californie, sur le John Muir Trail. 359 kilomètres. Deux jours, 19 heures et 26 minutes : le nouveau record, qui pulvérise le précédent (3 jours et 7h par Leor Pantilat), est époustouflant. Incroyable. Qui est donc François D’Haene, coureur, skieur-alpiniste, vigneron et leader du trail mondial ?

François D’Haene à l’arrivée d’un 3e UTMB gagnant, le 02 septembre 2017. ©Ulysse Lefebvre

« L’athlétisme comme fil rouge… »

Ses parents sont originaires de Savoie, du coté d’Aiguebelette, à Novalaise où il a passé son enfance. François D’Haene débute l’athlétisme jeune, à l’âge de 5 ans. « L’athlétisme est devenu le fil rouge de ma vie. Au lycée, à Chambéry, je m’y suis mis de façon intensive, avec un groupe d’amis. Ensuite je suis parti en première année de STAPS à Valence pour pouvoir intégrer ensuite l’école de kinésithérapie. A Valence j’ai beaucoup couru et  fait de piste : c’était athlétisme à fond, piste et cross. Je faisais des compétitions de 3000 mètres steeple, 1500, cross. J’allais aux championnat de France de cross tous les ans, sur 3000 m steeple j’avais d’assez bons résultats. Mais la piste ne me faisait déjà plus rêver. Le weekend, on s’est mis au raid multisport avec les copains, et au championnat de France de course en montagne. J’avais 18 ans et commençait à ne plus trop aimer le cadre parfois rigide de l’athlétisme. L’hiver je continuais à pratiquer le ski de fond et le ski de piste. Très rapidement, j’ai découvert le ski de randonnée. Pour des raisons financières, comme bon nombre d’étudiants, j’ai vécu mes premières expériences en ski de randonnée avec les grosses chaussures de ski de piste. »

 

 Skis sur le dos, il court toujours, à la Pierra Menta 2017. © Jocelyn Chavy

« Le mont Blanc depuis l’église, en chaussures de slalom… »

« On est parti faire le mont Blanc depuis l’église de Chamonix, avec nos grosses chaussures de slalom. Et des vieux skis de rando. On est parti à minuit ! A 7h du matin, au niveau du refuge des Grands Mulets, on a fini par faire demi-tour… La semaine d’après on était au Dôme des Écrins. Ce coup-ci, on était un peu plus légers et on a réussi à monter en haut ! Le ski était important pour moi, ça l’est toujours. Mais pas idéal pour les cross… Au final, l’hiver j’avais du mal à me contraindre à ne pas aller skier, à m’entraîner vraiment en athlé. Et puis c’est à cette période là que les premiers trails ont commencé à voir le jour… comme le trail du Nivolet. Je me suis dit, fais ce que tu as envie de faire. Là où tu as du plaisir. Et j’ai laissé tomber les compétitions d’athlétisme. » A l’époque, François D’Haene goûte déjà à l’endurance version trail : des Chambéry-Grenoble au printemps par le Granier et les crêtes, puis à l’automne, par le côté occidental, Charmant Som, Chamechaude, avec sept ou huit copains tout en faisant la fête la veille… D’Haene s’inscrit au Tour des Glaciers de la Vanoise, 72km, et gagne. Il prend goût à la compétition au format « libre » du trail . La même année, en 2006, il finit 4e de la CCC à Chamonix.

Le premier ultra ? « J’ai changé 4 ou 5 fois de chaussures, c’était n’importe quoi… »

« En 2009 je me suis inscrit au Grand Raid de la Réunion. On est parti en couple sur l’île, histoire de faire la traversée en 15 jours avec le sac à dos, en mode trekking. Après, j’ai fait la course – et la traversée en sens inverse. J’ai fini à la cinquième place, et franchement, c’était inespéré. J’ai changé plein de fois de chaussures… quatre ou cinq fois au moins tellement j’avais mal aux pieds. A ce moment-là, je n’étais pas sponsorisé et c’était tout à fait contre ma façon de voir les choses . Je voyais ça comme une machine hyper structurée et j’imaginais retomber dans le coté rigide de l’athlétisme que j’avais voulu quitter. Le trail, je faisais ça pour m’amuser, pour le délire entre potes. Finalement, ce n’était pas si éloigné de nos traversées Chambéry-Grenoble. C’était le même esprit. »

Loin devant l’un des autres favoris, Kilian Jornet, à l’UTMB 2017. ©drozphoto / Salomon

« L’hiver, je m’amuse … »

L’hiver, François D’Haene le passe sur ses skis. Hyper-légers et avec les peaux,  la Pierra Menta en ligne de mire, pour s’amuser. Sur cette course de ski-alpinisme par équipe de deux, en quatre étapes, totalisant 10 000 mètres de dénivelé, la plupart des prétendants accumulent cent mille mètres de dénivelé en ski avant la course. Chaque mois de mars, depuis dix ans, François D’Haene écume le Beaufortain, en équipe avec son beau-frère, Alexis Traub, et le duo se classe en général dans la vingtaine, une sacrée performance puisque la Pierra Menta rassemble l’élite du ski-alpinisme (200 équipes). Comme il le dit lui-même : « l’hiver, je m’amuse ».

« Cham’-Briançon : 211 km, 37 heures… »

En 2011, François imagine un concept appelé la Traversée, très simple sur le papier : Chamonix-Briançon. Avec Thomas Vericel et Michel Lanne, ils bouclent leur pari en 37 heures pour 211 kilomètres et pas mal d’errance de nuit, ou dans certains cols… L’ultra endurance n’est pas une découverte pour François. C’est même un sujet d’étude – jusqu’à croire en l’inimaginable, le John Muir Trail en 80 heures. « J’adore l’idée de boucler un parcours, si démesuré soit-il, en ne sachant pas exactement où tu vas, ni quand tu vas arriver. Tu sais quand tu pars, c’est tout. C’est ce qui me motive. Se battre d’abord contre soi, et contre les éléments. Je ne pars pas pour faire une course ou un temps, mais d’abord pour un itinéraire, une traversée. »

Courir de nuit c’est courir contre soi, avec le halo d’une frontale comme horizon ( l’UTMB 2017). ©drozphoto / Salomon

« L’UTMB ? De supers souvenirs…. »

En 2012, François D’Haene s’impose sur l’UTMB dans des conditions exécrables. Mais le parcours de remplacement fait dire à certains que ce n’était qu’un demi-UTMB. Pas sûr puisqu’en 2014, lorsqu’il se présente à nouveau au départ de la course mythique de Chamonix, ce n’est pas pour acheter du terrain : D’Haene s’impose avec quarante et une minutes d’avance. Lui a douté tout le long. Il enchaîne sur le Grand Raid de la Réunion et le remporte pour la seconde fois. François est impérial. Déjà. Sa marge de progression est là, elle existe malgré un énorme niveau. 2015 sera une année blanche, mais c’est pour revenir encore plus fort l’année suivante. En juin 2016, il s’attaque au fameux GR20, la traversée de Corse par ses sentiers les plus escarpés, du nord au sud. Un record détenu par Kilian Jornet, puis par Guillaume Peretti (en 32 heures). Ce n’est plus de l’ultra trail mais de l’ultra endurance. François ne faiblit pas, bouclant cette traversée de 180 km (et 14 000 mètres de dénivelé positif) en 31 heures et six minutes. Cette année-là, il zappe l’UTMB mais trouve le moyen de s’imposer à nouveau sur le Grand Raid, peut-être sa course fétiche… Et pourtant, le jour du départ pour la Réunion, il était encore à finir de travailler à cinq heures du matin…  L’automne, c’est le temps des vendanges. Elles étaient en retard et il les a bouclées seulement dix jours avant le Grand Raid.

«Huit heures dans la vigne, c’est un bon entraînement… »

« Le trail, c’est un rêve égoïste. D’ou l’idée d’un projet à deux, avec ma femme : le Domaine du Germain, quelques hectares de vignes dans le Beaujolais. On venait de Florac, en Lozère, et nous avons eu cette opportunité. L’ancien métayer, lui-même vigneron, nous aide, et ma femme a obtenu un bac pro de vitiviniculture. En réalité, je ne sais pas si j’aurais envie de ne penser qu’à courir. Après six heures de course tu es démonté. Le reste c’est dans la tête. Quand tu passes huit heures l’échine courbée à tailler la vigne, c’est un bon entraînement mental, et c’est bon d’alterner les saisons, à la vigne ou sur les sentiers. C’est pour cela aussi que j’aime le trail : une source infinie de voyages et de nouvelles aventures toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Enchaîner les vendanges et le Grand Raid, c’est un défi. Le trail, le domaine, tout cela doit fonctionner naturellement. J’ai le sport et un métier enthousiasmant. La clé ? Ne pas être frustré. Boire un verre de vins entre amis. Etre en pleine nature et garder l’esprit originel du trail et de la montagne. » Et quoi de mieux que la « High sierra » en la matière ?

Un vigneron en son domaine, dans le Beaujolais. © Jocelyn Chavy

« Une course contre soi »

Le John Muir Trail, qui porte le nom d’un fameux naturaliste, s’étire dans les plus beaux coins de la Californie, du Mont Whitney à Happy Isles, dans la vallée du Yosemite. Le sentier court sur l’échine de la Sierra, souvent à plus de trois mille mètres, entre pics de granite, lacs d’altitude et forêts de pins, la beauté de l’Ouest et la wilderness en prime. On y croise plus d’ours que de randonneurs, surtout mi-octobre. Si le dénivelé, 14 630m, rentre dans le cadre qu’a connu François D’Haene sur le GR20, la longueur, 359km, l’a projeté dans l’inconnu. Comment son corps allait-il réagir ? « Globalement mon corps et mon mental se sont bien adaptés ». Ce record, il l’a préparé pendant un an. On comprend mieux pourquoi l’UTMB 2017 a presque été une balade de santé…  « J’ai le sentiment d’avoir vécu une grande aventure, au milieu de nulle part. C’est complètement différent d’un ultra avec un effort exigé sur plusieurs jours. Un peu une course contre soi, sans adversaire direct. » D’Haene n’était pas seul : une équipe le soutenait, certains copains faisant quelques miles avec lui. Il était également « suivable » grâce à une balise GPS en live – qui valide l’exploit. Un exploit bien réel : un peu plus de 67 heures (dont six heures de repos !) pour 359km, un record qui pulvérise le précédent de douze heures. Un rêve d’ado qui survole les montagnes pour le plaisir. François D’Haene peut se servir un verre : il l’a bien mérité.

  © Jocelyn Chavy