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Elisabeth Revol à l’Everest : « une belle perf, mais pas une première »

Retour gagnant en Himalaya ?

L'Everest versant népalais. ©Jocelyn Chavy

Via la page facebook du sponsor d’Elisabeth Revol, Valandré, la France entière pouvait lire hier jeudi matin que la drômoise, survivante du Nanga Parbat, avait atteint le sommet de l’Everest sans oxygène à 9h40, heure locale. Il en faut parfois peu pour déchaîner un emballement médiatique, surtout que « personne n’était au courant », hormis l’entourage proche de la Française. Ce serait une (belle) première française, mais pas mondiale : replaçons l’église – la cathédrale ? – au centre du village.

Il est des post facebook qui en disent long sur la performance des médias français à couvrir les évènements sportifs ou, plus exactement, sur les mécanismes qui régissent désormais – et cela ne date pas d’aujourd’hui – l’information estampillée outdoor, ou montagne. Hier jeudi 23 mai au matin, Valandre.com annonce être à « Mount Everest » et déclare, via sa page facebook, que la drômoise Elisabeth Revol, tellement connue par le grand public depuis son triste et heureux secours au Nanga Parbat en janvier 2018, a atteint le sommet de Chomolungma – l’Everest, en tibétain, ou Sagarmatha, en népalais – à 9h40 heure locale et sans oxygène.

Disons-le tout de suite : si cette information est vraie – et elle l’est sans doute puisque France Info l’a annoncé dans son journal de 19 heures hier soir – il s’agit d’une belle performance, d’abord parce que la drômoise s’est sévèrement gelée il y a un an sur les flancs du Nanga Parbat au Pakistan, en hiver, est passée à deux doigts du très haut – une mort évitée grâce à la bravoure kazakhe et polonaise de Denis Urubko et Adam Bielicki. E. Revol a de surcroît dû digérer le décès de son compagnon de cordée au Nanga, Tomek Mackiewicz. Aussi bien sûr parce que gravir l’Everest sans oxygène n’est pas une mince affaire, et reste très rare.

Une info facebook qui s’est éparpillée façon puzzle sur le web, sans confirmation aucune de l’intéressée.

Oui, chère lectrice et cher lecteur, vous avez bien lu « si cette information est vraie » :   celle-ci aurait mérité d’être confirmée, au moins par Elisabeth Revol elle-même, avant de s’éparpiller façon puzzle au sein de la websphère, voire radiosphère. Hier soir pourtant, Le Parisien relayait « l’info », citant L’Équipe, elle-même reprenant le fameux post du sponsor Valandré : rassurant ou étrange, l’article de l’Équipe affiche toujours, ce 24 mai, zéro partage. Du côté des médias spécialistes français, pour le moment, seuls nos confrères de Montagnes magazine avaient hier relayé de même « l’info », sans plus de détail.

Mais pourquoi dire « si cette information est vraie » ? Parce que la Française – et c’est son droit le plus strict, le moins critiquable – « fera sa propre communication une fois de retour au camp de base ». Oui, mais lequel ? On ne le sait même pas, probablement celui de la voie normale népalaise, l’Hillary Base Camp, néanmoins. « C’est elle qui en a décidé ainsi », nous rapporte aussi – à nous, ça, c’est sûr – Ludovic Giambiasi, personnage clé du secours d’Elisabeth au Nanga Parbat en 2018 et dans la confidence. Admettons. À moins que des embouteillages monstres sur cette fameuse voie normale implique une descente pénible et donc longue – pour ne pas dire dangereuse envers quelqu’un qui évoluerait sans oxygène – nous devrions en savoir davantage aujourd’hui, ou demain. Peu importe, finalement, nous souhaitons une descente rapide et sans accroc à Elisabeth Revol, parmi le barnum parfois dramatique qui sévit actuellement à l’Everest et sur les 8000.

Elisabeth fera sa propre communication une fois de retour au camp de base. Ludovic Giambiasi, proche de la Française.

Everest (à gauche) et Nupste (à droite), vus depuis la montée au belvédère du Kala Pattar, vers 5500m. © Jocelyn Chavy

Alors que fallait-il faire dès hier pour en savoir plus ? Du côté de l’entourage proche de la Française, le téléphone sonne dans le vide. Chez Valandré dans l’Aude, personne ne décroche. Ludovic Giambiasi, très cordial, nous a révélé ce qui précède, respectant la volonté de l’himalayiste française : rien à dire. Du côté des éventuelles attachées de presse patentées, comme Anne Gery à Chamonix, ayant coordonné l’an passé l’autre cirque médiatique suite à la tragédie du Nanga Parbat, on a répondu en toute honnêteté mais sans pouvoir donner davantage de détails. Alors, qui va replacer cette fameuse église au centre du village ? Évaluer cette ascension féminine de l’Everest sans oxygène – première française, et 9ème ou 10ème mondiale d’après les tables sacrées de l’Himalayan Database[1] ? Réponse : Catherine Destivelle, référence française en matière d’alpinisme.

Appelée à l’heure de l’apéro tapas, ayant décidé il y a peu de ne plus répondre à tous les médias qui faisait sonner son téléphone sans relâche, Catherine nous a néanmoins répondu : « c’est une belle performance, mais ce n’est pas une première », annonce-t-elle d’entrée. Effectivement, la première femme à avoir gravi l’Everest sans oxygène, sans aucun doute[2], est la Britannique Alison Hargreaves – la mère de Tom Ballard, mort cet hiver au Nanga Parbat avec Daniele Nardi – le 13 mai 1995, par le col nord et l’arête nord-est tibétaine. Elle avait 33 ans. Ont suivi sans aucun doute encore 7 autres femmes : l’Américaine Francys Distefano-Arsentiev et la Chinoise Laji, les 22 mai 1998 puis 2004 (à respectivement 40 et 34 ans), puis les plus célèbres Nives Meroi, l’Italienne, et Gerlinde Kaltenbrunner, l’Autrichienne, en mai 2007 et 2010, à 45 et 39 ans. Le 23 mai 2016 enfin, l’Américaine Melissa Sue Arnot devenait, à 32 ans, la 8ème femme[3] à atteindre le toit du monde sans oxygène, à nouveau par le col nord et l’arête nord-est tibétaine.

Pour Destivelle, qui suppose que Revol a emprunté l’une des voies normales au sommet diablement fréquentées ces jours-ci, à la faveur d’un bon créneau météo, « on ne peut pas dire que la réalisation d’Elisabeth soit extraordinaire, mais il faut néanmoins la saluer ». L’alpiniste soliste des Drus et des faces nord des Alpes en hiver, qui pilote aujourd’hui sa maison des Éditions du Mont-Blanc, n’hésite pas une seconde à mettre en avant, concernant l’himalayisme féminin à 8000, Nives Meroi et Gerlinde Kaltenbrunner, « les deux seules femmes au monde à avoir gravi sans oxygène la totalité des 14 8000 de la planète, la première avec son mari, et la seconde par des voies parfois très techniques et en style alpin ». Échauffée, Catherine Destivelle regrette aujourd’hui le cirque de l’Everest, la communication à outrance de Sophie Lavaud, qui « chasse » les 8000, et encore plus l’ignorance par les grands médias généralistes des véritables performances réalisées sur les plus hauts sommets du globe : « quel grand média généraliste français a parlé de l’ascension de la face sud du Nuptse par Millerioux, Degoulet et Guigonnet ? Aucun », martèle-t-elle.

Élisabeth Revol, nous espérons bien entendu que vous reviendrez de l’Everest pleinement satisfaite, et que vous saurez raconter justement votre aventure. Nous vous souhaitons, de France, un bon retour.

[1] Référence concernant l’himalayisme au Népal, fruit du travail d’Elisabeth Hawley.

[2] L’ascension revendiquée de la néo-zélandaise Lydia Margaret Bakewell Bradey, le 14 octobre 1988, serait controversée

[3] Nous ne les citons pas toutes ici