L’alpinisme est un art qui consiste à prendre de la hauteur jusqu’à se mettre dans la plus remarquable des panades. Un sommet atteint sans écueil serait presqu’une œuvre ratée. Ce 17 août 1955, lorsqu’il s’installe pour son premier bivouac dans le pilier sud-ouest du Dru, Walter Bonatti a déjà posé les bases de son chef d’œuvre, à grand coup de marteau.

Pendant la nuit, le gel lui a rendu sa corde et son doigt s’est arrêté de saigner. Il repart vers le haut en utilisant la fastidieuse technique de l’autoassurage qui l’oblige à grimper puis à redescendre pour récupérer ses pitons pour ensuite remonter. Il doit aussi trainer derrière lui son énorme sac qui contient le matériel. L’après-midi du deuxième jour, il atteint le point où il avait dû faire demi-tour deux ans plus tôt avec Carlo Mauri.
Son doigt et la soif le font souffrir mais le bivouac est bon. A l’aube du troisième jour, il s’octroie l’une des deux bières qui ont survécu au piton mais lorsqu’il l’ouvre, il reçoit le jet en pleine face. Dieu n’est jamais aussi cruel que lorsqu’il s’agit d’enfoncer l’un de ses sujets. À partir d’une certaine altitude, pourtant, Bonatti et Dieu semblent ne faire plus qu’un. Rien ne peut l’atteindre. Pas même le furieux orage qu’il subit le quatrième jour, pas non plus cet abîme infranchissable qui se présente à lui le cinquième jour.


Cet épisode de la conquête des Drus par Walter Bonatti est à retrouver dans La montagne à la une, par Philippe Bonhème et Catherine Destivelle. Un ouvrage richement illustré aux éditions du Mont-Blanc.
