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D’être alpiniste

Il est un plaisir supérieur, celui de prendre son café au comptoir d’un bistrot inconnu.
On s’assoit en observateur du monde, notre anonymat nous protège, les habitués se fichent de notre avis, aucun ne le réclame. Alors on se tait. Sauf à ce que nos bornes soient dépassées.
Le type avait la tête à dire ce qu’il a dit. La morphopsychologie est une science fondamentale. Sa vérité, maintes fois assénée, était qu’on aurait dû la laisser là-bas, l’autre. L’autre, c’est Élisabeth Revol, une himalayiste revenue de nulle part. Là-bas, c’est le Nanga Parbat mais le type n’avait pas jugé utile de s’en souvenir ; il avait retenu la montagne tueuse, c’est plus efficace. Que ce soit une femme ne semblait pas lui déplaire. Que Pakistan sonne comme Afghanistan semblait fluidifier sa pensée. Alors mon silence s’est tu.
Je lui demande quelle était l’autre solution. La laisser mourir donc ? Je tente de lui expliquer que l’himalayisme est un truc qui dit la binarité, la vie ou la mort, la mort ou la vie, que les matchs nuls ou les bonnes défaites n’y existent pas et qu’il nous est interdit, à lui comme à moi, en Himalaya ou au coin de la rue, de ne pas tout tenter pour sauver une vie. Vain. Il me dit qu’elle n’a pas fait grand chose, elle, l’autre, pour son compagnon de cordée, Mackiewicz ou un nom comme ça, je lui fais remarquer que tiens…ça y est, le sort des alpinistes soudainement l’intéresse.