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Chroniques du Trans Atlas Marathon

Au coeur des montagnes marocaines

Le Trans Atlas Marathon, 250 kilomètres et 12.000 mètres de dénivelés positifs sur 6 jours, au cœur des montagnes du Haut-Atlas. La course par étape la plus dure du Maroc conquière le coeur de ses participants autant qu’elle leur en fait baver. Créée il y a six ans par Mohamad Ahansal, champion d’ultra-trail local et multiple vainqueur du Marathon des Sables, le TAM est l’occasion de dénicher les futurs talents locaux.

Lundi 5 mai 2018, à Agouti, Maroc. Le jour se couche sous un ciel déchaîné. Il a plu toute la journée et même neigé sur les hauteurs de l’Atlas. Une créature au visage violacé et aux cheveux gelés, sorte de yéti des temps modernes, franchit la ligne d’arrivée de la première étape du Trans Atlas Marathon. L’abominable homme des neiges se prénomme Joe. Il est le dernier arrivé de cette monstrueuse étape de la course, rendue encore plus ardue par la neige et le vent. Joe tremble comme une feuille. Une salve d’applaudissements venus des bénévoles, organisateurs, quelques enfants du village et l’ensemble des concurrents déjà arrivés lui tombe dessus. Les cliquetis des appareils photos se déchaînent pour immortaliser l’émouvante scène. Mohamad Ahansal, l’organisateur, lui couvre délicatement les épaules d’une couverture berbère, et lui adresse un sourire complice. Pas besoin de mots pour comprendre que les deux coureurs se connaissent depuis plusieurs années déjà et ont lié au fil des aventures une infaillible connivence. Joe Kelbel, coureur allemand bien connu dans la communauté des ultra-traileurs pour son goût prononcé pour la bière avait déjà participé à cette course de 250 kilomètres en 6 étapes dans le Haut-Atlas marocain. Il avait tant souffert qu’il s’était fait la promesse de ne jamais plus recommencer une pareille aventure. L’année suivante, on le retrouvait de nouveau aligné sur le départ, le sac à dos rempli de bières.

 

Les coureurs s’élancent à travers l’Atlas. ©Peter Hochhauser

Bienvenue chez les nomades

La scène marquait la fin de la première étape de la 6ème édition du Trans Atlas Marathon, une course organisée par Mohamad Ahansal. D’origine berbère, ce champion d’ultra-trail a découvert la discipline un peu par hasard, quand, avec son frère Lahcen, il voyait passer les participants du Marathon des Sables près de chez lui dans la région de Zagora. Une année, n’y tenant plus, son frère amateur de course s’est jeté dans l’aventure, sans dossard ni véritable chaussure. Il finit premier mais par courtoisie, laissa passer le vainqueur. L’organisateur Patrick Bauer lui recommanda alors de se trouver un sponsor pour une vraie inscription l’année suivante. Ce fut le début d’un règne des frères Ahansal sur le Marathon des Sables. Quinze victoires à eux deux. Excusez du peu!

Malgré leurs capacités physiques hors-du-commun et leur renommée, les deux frères durent batailler chaque année pour amasser l’argent nécessaire à l’inscription: près de 3000 euros, et le matériel obligatoire. C’est alors que germa dans la tête de Mohamad l’idée d’une course éprouvante dans le Haut-Atlas qui serait offerte aux talents locaux et démunis. Ainsi fut créé le Trans Atlas Marathon, une course de 250 kilomètres et 12.000 mètres de dénivelés positifs répartis en 6 jours, au cœur des montagnes du Haut-Atlas. L’aventure est offerte à une dizaine de coureurs marocains chaque année dans le but de découvrir de possibles talents dans la région et leur offrir la chance de participer à des courses de grande ampleur sur la scène internationale comme le Marathon des Sables.

Les fabuleux paysages de l’Atlas et l’atmosphère détendue d’une course censée être pénible semblent avoir, comme par enchantement, décrispé les tensions

La neige, imprévue mais bien présente. ©Peter Hochhauser

L’art de la salade marocaine

« Comparé à la Transalpine-Run (230 km, 16 000 mètres de dénivelés, 7 days), le TAM est très rude » confie Karl Padrta, 4 fois finisher de la Transalpine-Run. Le Trans Atlas Marathon est l’une des courses les plus difficiles au monde, en raison de son nombre de kilomètres et des sentiers empruntés. « L’Atlas est traversé sans chemin préalablement tracés. Pas de larges sentiers de randonnée » poursuit Karl. « Heureusement, tout est très bien indiqué. Avec une petite marque de peinture tous les 20 mètres, il est difficile de se perdre ». Ceux qui souhaitent participer sans faire un marathon par jour peuvent s’inscrire sur le ‘challenge’: la moitié du parcours environ, moitié de dénivelés. Chaque année, le nombre de participants varie et, en 2018, on en comptait 36 ​​venus d’une diversité de pays: Autriche, Australie, Belgique, Irlande, France, Allemagne, Maroc, Norvegia, Espagne, USA. Au campement, toutes les instructions pour la course étaient données en français et en anglais mais on pouvait aussi entendre un savoureux mélange de langues entre les coureurs dont le berbère, le français, l’anglais, l’arabe, l’allemand, l’espagnol, l’italien et le norvégien. « Une grande salade marocaine » disent avec plaisanterie les coureurs locaux.

un monde qui semble concentrer tout ce que la vie ordinaire offre d’épreuves et d’enchantements. En ultra pire et surtout, en ultra mieux!

 

Chaque année apporte son lot de surprise. La première, on l’a dit, provint du ciel. En mai, il neigeait encore à 2000 mètres d’altitude. Du jamais vu sur le TAM! Naturellement, personne ne s’attendait à ce temps, ni les participants internationaux, ni les organisateurs. « Quand est le prochain vol pour Cork? » plaisantait Chris O’Connor, Irlandais réalisateur venu filmer l’aventure, alors qu’il mettait tout juste les pieds au Maroc. « Va à Zagora » lui répliquait du tac-au-tac Mohamad, région où il a créé son campement et d’où il organise des stages d’entrainement de course à pied. Là-bas, le soleil cognait alors sec. Derrière les blagues, Mohamad rit jaune. Il avait prévu cette année de faire dormir les coureurs exclusivement en bivouacs, par économie, mais surtout parce qu’il a déniché des coins paradisiaques et que le bivouac offre une ambiance irremplaçable faite de feu de camps, de musique et danses traditionnelles. A quelques jours de la course, l’organisateur se trouve donc désemparé. Que faut-il faire: abandonner les bivouacs? Et si la météo se trompait? Mordant sur sa chique, il décide d’annuler les premiers bivouacs pour dormir dans un gîte d’Agouti. Il faut refaire une bonne partie du tracé de la course mais l’intuition se révèle bonne puisque le premier jour, il pleuvait des trombes sur le camp et il neigeait sur les sommets. Le jour suivant, la grêle faisait son entrée! Ainsi, chaque jour, Mohamad et son équipe se triturait l’esprit pour dessiner un nouveau parcours, faisant, défaisant et refaisant les signalisations selon les caprices météorologiques. Une tâche ardue réalisée de nuit et dans un calme olympien. Et les coureurs exténués n’y voyaient que du feu.

La course alterne entre neige et soleil de plomb. ©Peter Hochhauser

On l’appelait TAMO

Une autre surprise cette année-là vint de la présence d’un coureur sourd et muet: Christian, Allemand. C’était la première fois que l’on trouvait sur le TAM un participant de sa catégorie. Mais il en fallait plus pour mettre mal à l’aise l’équipe organisatrice. Munis des plus belles grimaces faciales dignes des plus grands pantomimes, faisant appel à leurs mains, leurs pieds et tout ce que le corps offre de communication, Mohamad et ses collègues parvenaient à créer un dialogue aussi insolite qu’efficace, à en juger par les sourires et les retours de Christian. « Si tu veux te faire comprendre, quelque soit la langue, tu trouves toujours un moyen » confie Mohamad. Ce n’était pas la fin des surprises. Il se trouva que Michèle, une participante venue des États-Unis, enseignait la langue des signes. Pure coïncidence. C’est ainsi que, après quelques discussions, Christian le coureur sourd se retrouva comme une star sous la caméra de l’Anglais Chris O’Connor pour une interview interprétée par Michèle. Une vraie pièce de théâtre! Encore un inattendu de dernière minute? Dès le coup d’envoi, un chien du coin suivit les premiers participants. Remuant la queue, ayant l’air de trouver l’aventure plutôt divertissante, il accompagna les premiers coureurs pendant les trois quarts du trajet, soit une trentaine de kilomètres, gravissant deux monts de plus de 3000 mètres, défiant les dénivelés, la distance, bravant la neige, la pluie, la grêle et le froid. Fidèle compagnon, il suivit à la trace les premiers coureurs sur les trente premiers kilomètres avant d’être récupéré par David, coureur Australien participant au Challenge, qui l’aida à traverser la rivière. Le duo de choc franchit la lignée d’arrivée en même temps. Jusqu’à la tombée du jour, le chien inépuisable rôda à l’arrivée, près des musiciens et de l’équipe bénévole, enchainant les allers-retours pour accompagner chaque participant sous la ligne finale. Une telle bravoure méritait bien qu’on lui déniche un nom. Ce sera TAMO.

L’Atlas déroule son paysage, aride et neigeux. ©Peter Hochhauser

33 degrés à l’ombre

Le 4ème jour, après un transfert en Jeep de 2 heures, nous arrivons au petit village d’Aouija, situé à environ 2500 mètres d’altitude. L’étape s’annonce plus rude que celle d’hier: 36 kilomètres, 850 mètres de dénivelés positifs, 2000 mètres de négatifs pour le TAM, environ 28 kilomètres pour le Challenge. Le coup d’envoi est donné à 10h. A 2500 mètres, il fait encore frais, une température idéale pour courir. Nous traversons des paysages lunaires, de vastes prairies où paissent les chevaux, des petits villages où les moutons semblent trois fois plus nombreux que les habitants. Après une grimpée assez peu technique mais pleine de petits buissons épineux, nous arrivons sur un plateau où l’on trouve encore de la neige, rappelant que, quelques jours auparavant, il faisait encore un temps de chien. Difficile à croire aujourd’hui! Le soleil cogne et la température grimpe au fil de la journée jusqu’à atteindre 33 degrés à l’ombre. Nous entamons la descente rocheuse avant d’entrer dans un superbe canyon. Le niveau d’eau de la rivière est plutôt haut, ce qui rend difficile son passage sans tremper les pieds. Quelques dizaines de mètres de course sur cailloux, puis les pieds dans l’eau. On alterne ainsi pendant des kilomètres avant d’apercevoir le magnifique village de Tamga. Ici s’arrête l’aventure du jour pour les participants au Challenge. Les autres continuent sur une route plus large et de descente qui permet de courir plus librement. A la ligne d’arrivée, une musique DJ donne une allure de fête à la course. Tous les participants dorment sous tente ce soir, sous un ciel brillant d’étoiles, au bivouac de Cathedral Camp, situé le long d’une rivière, pour un repos bien mérité. « C’était particulièrement dur aujourd’hui, à cause de la chaleur et des rochers » nous dit une participante venue des Etats-Unis. « Mais c’est ce genre de parcours très difficile que l’on garde généralement en mémoire. Et puis, plus c’est rude, plus on est fier d’avoir fini ».

La pastèque réconforte tous les maux. ©Peter Hochhauser

Une odeur de pastèque

Le lendemain, le soleil éclatant nous troue les paupières quand le coup d’envoi est donné à 8 heures au camp Almou N’ouhanad. La dernière épreuve de la course s’annonce rude: 37 kilomètres, 1714 mètres de positifs et 2080 de négatifs pour le TAM, 28 kilomètres, 1196 mètres positifs, 1894 mètres négatifs, pour le Challenge. C’est parti! Le parcours traverse des paysages très divers où les montagnes d’un vert flamboyant laissent place à d’immenses champs de coquelicots. « C’est comme dans la vie » philosophe mon compagnon du jour en cours de route. « Chaque jour est différent ». Nous grimpons un col de 2600 mètres particulièrement technique et difficile, surtout sous la chaleur. La descente est faite de canyons, nous traversons la rivière plusieurs fois, empruntons des chemins pour moutons et chèvres. Je suis alors avec Disc O Meisch, participante venue de New-York et les chemins commencent à se confondre dans la brousse. On hésite un moment avant de prendre un petit sentier. La fatigue se fait sentir, les forces physiques et mentales s’amenuisent pour laisser toute la place à notre pire ennemi du moment: le doute! Et si l’on s’était trompé? Et si l’on continuait de s’épuiser pour rien?

Quelques kilomètres plus loin, un local nous apporte les réponses à nos questions via une pancarte faite de bric et de broc qu’il porte face devant lui, sans bouger d’un iota. On lit très mal. Telle une statue, l’homme reste impassible, son large sourire imperturbable. « A pré lé olivier à droite ». C’est donc le bon chemin! On poursuit dans les dunes, regagnées d’un élan d’énergie grâce à ce bénévole surprise. On manque de s’égarer à plusieurs reprises, jusqu’à ce que l’on entende au loin des « noooooo ». Sans qu’on les voie, alors que l’on pense être dans un monde silencieux, des enfants guettent sur nous comme des vautours, qui au loin nous observent et nous guident! Puis soudainement, peu avant le CP3, le dernier de la course, on perçoit le barrage Bin el Ouidane, le plus haut barrage en voûte d’Afrique et le plus grand du Maroc en production énergétique. C’est ici que deux grandes rivières de l’Atlas se rejoignent. Le barrage apparait comme une bénédiction et nous donne le courage d’achever cette éprouvante épreuve. A l’approche de la ligne d’arrivée, nos noms retentissent au micro et les applaudissements se font grandissants, nous abreuvant de l’énergie que nous cherchons désespérément au fond de nous-mêmes depuis un bout de temps. Nous franchissons la ligne sous les applaudissements et les sourires de l’équipe organisatrice qui s’empresse de nous offrir une tranche de pastèque fraîche, originaire de Zagora. « Allez, zou, à la baignade maintenant » dit sans perdre de temps Mohamad Ahansal après nous voir passé une médaille autour du cou.

Rien ne se perd

A l’heure où l’aventure s’achève, nous repensons aux paroles d’un artiste marocain venu encourager une participante du TAM. Il suivait la course confortablement installé dans une Jeep.  La veille, à l’heure du thé, il semblait pris dans une contemplation silencieuse, observant attentivement le spectacle des coureurs qui allaient chercher leur repas d’un pas claudicant. « Ici, tout se transforme » nous dit l’artiste de façon sibylline. Il nous faut un peu de temps avant de comprendre ce personnage à l’air béat. Nous observons alors attentivement les coureurs en repensant à sa phrase absconse. Leurs expressions traduisent un étrange mélange d’épuisement, d’euphorie et de calme. Rien à voir avec les visages fraichement débarqués de l’aéroport. Les fabuleux paysages de l’Atlas et l’atmosphère détendue d’une course censée être pénible semblaient avoir, comme par enchantement, décrispé les tensions. 

L’arrivée, visages radieux malgré les 7 jours d’efforts. ©Peter Hochhauser

Comme si, sous les trésors de générosité déployés par une équipe qui manque clairement de moyens, l’individualisme s’était naturellement dissipé au profit de la solidarité. Nul doute aussi que les endorphines de la course ont catalysé la métamorphose, l’effort physique représentant tout de même celui d’un marathon par jour. Tout se transforme sur le TAM. Comme le sel transforme les aliments en rehaussant leur goût. L’artiste a raison. Pour autant, certaines choses semblent immuables. Notamment l’attrait de Joe pour la bière. « Quand est-ce que les Marocains auront l’idée de ravitailler en houblon? » demande-t-il inlassablement, au grand bonheur des autres participants. Le Trans Atlas Marathon 2018 s’est ainsi achevé dans cette bonne humeur, récompensant Aziza Raji, chez les femmes et Abdelaziz Bagherra chez les hommes. Deux grands champions locaux de l’ultra qui, grâce aux dons des coureurs occidentaux présents, ont pu participer au dernier Marathon des Sables. Ils finirent respectivement deuxième et troisième dans leur catégorie. De retour chez nous, comme un enfant nostalgique après une colonie de vacances, on médite sur nos courbatures et on montre comme un étendard nos pieds crado plein d’ampoules séchées. Et, le cœur encore en fête et la tête remplie de souvenirs bien frais, on ressasse la célèbre phrase de François Truffaut. « Le cinéma c’est la vie en mieux ». On se dit alors que la citation colle remarquablement bien à une course comme le Trans Atlas Marathon. Une aventure où l’on s’en prend plein les genoux et qui met l’âme à l’envers. Où l’on rencontre une galerie de personnages loufoques. Bref, un monde qui semble concentrer tout ce que la vie ordinaire offre d’épreuves et d’enchantements. En ultra pire et surtout, en ultra mieux!