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Bruchez et Jacquemoud dans une traversée sauvage du Mont-Blanc

Qui aurait pu croire que deux skieurs parmi les plus capés dans leurs domaines respectifs, se retrouvent pour découvrir des endroits méconnus de l’un des massifs les plus parcourus ? Vivian Bruchez et Mathéo Jacquemoud ont traversé le Mont-Blanc à skis, à la recherche d’une aventure au pas de la porte. Ô surprise, ils ont trouvé là quelques lignes parmi les plus sauvages, dont deux nouvelles, ouvertes ensemble. Entre pente raide et grosses bambées, en route pour quelques traces avec une paire de skieurs défricheurs.

Il y a de la désinvolture dans cette aventure. L’air de rien. Ecoutez Vivian parler pendant deux minutes et vous vous sentirez presque pousser des ailes, prêt à le suivre tant ça semble facile lorsqu’il vous parle de cette traversée du massif du Mont-Blanc, obsédé par l’élégance plutôt que la performance : « On est partis d’un bout du massif, de Suisse, pour arriver à l’autre bout, avec la volonté de trouver une ligne logique. On ne voulait pas forcément être dans l’extrémité exacte à tous prix ou dans le suivi précis d’une ligne droite. On voulait dessiner un itinéraire élégant. » Mathéo ajoute : « L’objectif était surtout de donner aux gens l’envie de la refaire ». Chiche ? Mais peut-être pas à la manière de ce duo pour qui l’efficacité était essentielle, ce qui n’étonnera pas grand monde quand on sait l’efficacité d’un Bruchez à la descente dans le 50° – les pentes raides du massif, il les a presque toutes skiées – et celle d’un Jacquemoud dans le dénivelé à la montée – les compétitions de ski alpinisme, il les a (presque) toutes gagnées.  « On a juste emmené une couverture de survie et un duvet pour dormir dans un trou, au cas où. Ce qui faisait des sacs de 8kg, maximum 10kg avec le matos de tournage. Il fallait être à l’aise dans les pentes raides » explique l’ancien collant-pipette du briançonnais reconverti en guide de haute montagne à Chamonix.  Minimaliste ce matériel obligatoire ? Vivian y ajoute un élément… de poids : « dans la liste, il faut ajouter un Mathéo. En tous cas avec lui, tu ne fais pas souvent la trace ! »

L’objectif était surtout de donner aux gens l’envie de refaire cette traversée

© Vivian Bruchez / Mathéo Jacquemoud

Numéros complémentaires

Si Mathéo passe devant à la montée, menant la cordée à un rythme d’enfer pour de longues journées de 10 à 12 heures de ski, c’est souvent Vivian qui prends le relais à la descente : « Je sais que je peux compter sur Vivian pour me mettre dans le bain et ne pas prendre de risques. J’ai appris avec lui et j’ai progressé. Cette notion de progression, on la recherche toujours. On ne recherche pas la peur. Mon kiff, c’est de maitriser et de progresser. » Apprendre et échanger avec les copains, les autres skieurs et snowboarders du massif, pour casser avec l’image d’une pratique uniquement basée sur le risque et l’engagement : « C’est un échange collectif où chacun joue un rôle. Suivre des athlètes comme ça, que ce soit Kilian Jornet ou Mathéo, c’est une chance pour moi d’aller au bout de ma pratique et au bout de ma vision. Ils sont un vecteur de progression pour moi. De mon côté, j’essaie d’être un vecteur de nos aventures avec mes images. »

On ne recherche pas la peur.
Mon kiff, c’est de maitriser et de progresser.

On se souvient évidemment tu film T’es pas bien là de Seb Montaz Rosset, qui popularisa le ski de pente raide et la pratique de Vivian lors de sa sortie en 2013. On y découvrait un Vivian hilare, perché sen équilibre sur ses carres, content d’être là-haut avec ses potes. C’est aujourd’hui lui qui perpétue cette vision lumineuse de la pente raide : « J’ai été formé par Seb et il m’a transmis des compétences. Aujourd’hui c’est clair que j’ai envie de partager ça à l’image et ça devient un plaisir. Dans cette trav’, j’avais plus de matos vidéo que de matos technique de montagne (un drone, un boitier, chacun une GoPro…). L’idée c’était de faire un truc cool et de ramener des images. Emmener un vidéaste n’aurait pas eu la même saveur. Dans nos images, je crois que le spectateur a l’impression d’être avec nous. C’est presque du live ! ».

Le bivouac des Périades : une vabane posée au milieux des géants. © Vivian Bruchez / Mathéo Jacquemoud

Une certaine vision du ski

Ce projet de traversée, c’est Mathéo qui y pense depuis longtemps, avec le rythme du skieur aux trois poumons qu’il est. De son côté, avec (seulement) deux poumons mais un goût prononcé pour aller là où les autres se gardent bien de mettre leurs spatules, Vivian apporte la touche verticale au projet, curieux de sortir des sentiers battus : « On a découvert le côté sauvage et inexploré d’un massif sur-fréquenté. Et vous savez quoi ? On n’a vu personne en cinq jours ! » On peut donc trouver en 2019 des lignes et des secteurs inexplorés dans le Mont-Blanc, oui oui. « Ce qu’on est allé chercher aussi, c’est les bivouacs et les versants qu’on ne connaissait pas. En skiant beaucoup du côté italien, c’est à dire le versant qu’on ne voit pas tous les jours, et bien on a changé notre regard. Ça permet de créer, comme Triolet, en face sud : c’est hyper sauvage et long pour y monter depuis l’Italie. Une fois là-haut, il n’y a pas grand-chose à y faire, surtout avec des clients. Donc tu n’y croises personne. Souvent, on partait avec quelques idées en tête et ensuite on se laissait guider. »

© Sur le fil de la Kuffner, vers le Maudit. ©Jacquemoud / Bruchez

© Scarpa F1 pour Vivian… ©Scarpa

Scarpa Alien RS pour Mathéo. ©Scarpa

© Vivian Bruchez / Mathéo Jacquemoud

Le film Entre les lignes, réalisé par Yucca films, relate une partie de l’aventure et exprime bien cette recherche permanente des deux skieurs. « C’est un film-portrait sur une discipline qu’on affectionne. Il développe une vision, une envie de créer, d’explorer, d’aller voir avec tout un tas de rencontres, comme Kilian Jornet, Douds Charlet, Paul Bonhomme… » Ils ne sont pas légion ceux qui prennent le temps de réfléchir à leur pratique, à leur impact, à leur sens. Sans oublier l’originalité et l’audace, comme le rappelle l’un des plus emblématiques des skieurs de raide, Pierre Tardivel : « Vivian, j’ai l’impression qu’il a la même vision que les autres skieurs, sauf que lui il a de meilleurs lunettes ! ». Lors de leur traversée, Mathéo et Vivian ouvrent deux nouvelles lignes, en face ouest du Triolet puis en face nord du piton des Italiens. CQFD.
Mathéo conclut : « Il faut quand même dire que je passe parfois devant à la descente, quand justement c’est plus difficile. Comme ça Vivian peut m’envoyer une corde si je suis au taquet !» 

Quelques lignes parcourues en 5 jours

24 mai : mont Dolent par l’arête Gallet puis face ouest à ski
25 mai : Triolet par sa face est à la montée, ouverture en face ouest à la descente ; face sud du petit Triolet ; pointe Isabelle ; nuit au bivouac des Périades.
26 mai : face est de l’aiguille de Rochefort puis traversée des arêtes
8 juin : arête Kuffner ; mont Blanc par mur de la Côte ; nuit au refuge du Goûter
9 juin : Dôme du Goûter ; piton des Italiens (ouverture) ; face nord de Bionnassay

La ligne ouverte en face ouest du Triolet. © Vivian Bruchez / Mathéo Jacquemoud