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Au pays des terres hautes

Anselme Baud, connu notamment pour ses réalisations à ski dans les pentes raides du monde entier, revient dans les librairies en ce début d’année avec Au pays des terres hautes, un témoignage très personnel, publié aux éditions Kero.

Après ses très beaux Chamois clandestins (Nevicata, 2014), le guide de haute montagne originaire de Morzine propose de raconter sa montagne, et ce, à travers les différents regards qu’il a pu poser dessus, de celui de l’enfant du pays envoûté par les cimes à celui du professeur de l’ENSA, en passant par ceux de l’aventurier, du guide, de l’amateur passionné. Un de plus ? Oui, un de plus. Mais un qui vaut que l’on s’y attarde quelque peu, quitte à seulement le picorer, à piocher dedans, selon l’humeur, les envies ou le hasard. Car la construction du livre casse, et c’est heureux, la linéarité bien souvent ennuyante de l’autobiographie traditionnelle pour ne dévoiler que quelques séquences de vie que l’on imagine « fondatrices ».

Si, au final, l’on est loin, très loin, du récit de montagne catastrophe, où la mort s’impose en un sinistre argument de vente, ce livre n’est pour autant pas seulement celui d’une montagne heureuse ; au fil des pages, l’euphorie et les désirs finissent par côtoyer le cauchemar et la douleur, en un troublant tableau. La nuit qui précède une chute de pierre qui lui arrache la moitié du visage dans la voie des Suisses, aux Courtes, il écrit :  » Les dortoirs sont humides, bondés de ronfleurs, et je tarde à sombrer, tracassé par des pensées parasites. Est-ce cette blancheur entraperçue à l’horizon, ou d’avoir tourné un film sur la tragédie aux Grandes Jorasses ? Depuis que j’ai simulé une chute mortelle – en réalité, je me suis laissé tomber de cinq mètres dans une couche de poudreuse –, je n’arrive pas à me débarrasser d’un malaise diffus, le sentiment que j’ai approché une zone grise de tabou. Par ici, on se sait vulnérable. Alors, jouer avec la mort, même fictive, n’a rien d’une d’une banalité… […] Je ne suis pourtant pas superstitieux, pas comme certains en tout cas qui voient des signes derrière chaque hasard, mais j’ai appris à me fier à mon instinct. Est-ce vraiment ça ? Je me tourne sur ma couchette, je récapitule notre matériel. Succinct vu l’escalade. En plus des piolets, on a cinq broches tire-bouchons pour une voie longue et très escarpée. Limite, je pense. Limite, mais faisable. Et je plonge enfin dans un sommeil noir… »
Avec sincérité et sans renfort de sensationnalisme ou de divagations philosophiques, Anselme Baud prend le temps de nous raconter une montagne vraie, vécue, qui n’a pas d’autre personnalité que celles que nos fantasmes veulent bien lui donner. Cette histoire, ses histoires, l’auteur les resitue aussi parfois dans la grande, narrant, au détour de quelques paragraphes, l’histoire des premières tentatives au mont Blanc ou célébrant certaines pratiques ancestrales, comme la chasse aux cristaux, qui donne lieu à quelques-unes des plus belles pages de ce livre. Une grande histoire qu’il écrit aussi parfois lui-même, en infatigable expérimentateur de nouvelles pratiques en montagne, de combinaisons toujours plus audacieuses. L’on connaissait le défricheur du ski de pente raide, l’on découvrira aussi ici l’inventeur du paraplane !

Au pays des terres hautes, Anselme Baud, Kero, 2018.

L’on connaissait le défricheur du ski de pente raide,
l’on découvrira aussi ici l’inventeur du paraplane !

De fait, dans ce livre, le parcours du guide croise sans cesse celui de l’amateur, de l’aventurier. Mais loin de brouiller l’image, ce va-et-vient permanent finit par dessiner une vie où les chemins empruntés trouvent leur cohérence, et leur cohésion, dans une passion de la montagne qui justifie toutes les approches – du moins celles qui ne l’abîment pas. Des approches qui ne se cantonnent donc pas à l’extrême, aux danses avec la mort, et où certaines formes très convenues d’héroïsme sont sévèrement mises à mal. L’on assiste même parfois à de bienheureux renversements de la figure du héros alpin, comme quand l’auteur écorne la réputation du légendaire Sylvain Saudan, skieur de l’extrême que l’on découvre ici plus attaché à son image médiatique qu’à l’aventure sauvage, là où il n’hésite pas à brosser un joli portrait de ce client confidentiel, Monsieur Kondo, inlassable grimpeur japonais aux prétentions aussi humbles que ses motivations semblent sincères.

L’alpiniste, qu’il soit amateur ou professionnel, pourra trouver dans ce livre une belle inspiration, ancrée dans une pratique de la montagne qui fait sens, loin des poncifs spirituels et des discours « développement personnel » qui ne dégoulinent parfois que trop des récits de montagnards. Et nul besoin de vivre obsédé par l’idée de dévaler une pente à ski avec un parachute militaire accroché aux fesses pour s’autoriser à faire siennes certaines des vérités qui ressortent de ces pages.