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Antoine Girard | Haut vol en Himalaya

Au-dessus du Broad Peak (8 157m) en 2016. ©AntoineGirard

Imaginez un instant que vous survolez la cime d’un géant de 8 051m. Imaginez qu’au lieu de huit jours d’ascension, vous devenez capable de tutoyer les toits du monde par la voie des airs, en quelques heures. C’est le pari fait par Antoine Girard, repoussant les limites du style alpin grâce à un subtil mélange de vol et de grimpe. Grisant.

23 juillet 2016, Antoine Girard est assis dans sa sellette de parapente. Bien que ses réflexes soient un peu ralentis par le froid et les effets de l’altitude, il survole avec une facilité presque déconcertante le sommet du Broad Peak (8 051m), l’un des 14 sommets de plus de 8000m, situé au Pakistan, tout en ayant décollé à 60km de là, à 4 800m. Avril 2017, moins d’un an plus tard, il est au Népal et réalise, avec Julien Dusserre, un grand périple en l’air depuis Katmandou jusqu’au Langtang, au nord-est de la capitale népalaise. L’objectif ? Voler mais aussi grimper pour gravir le Langtang Lirung (7 227m), une montagne peu fréquentée, en raison notamment des risques objectifs rencontrés à l’approche. Pourtant Antoine Girard a un plan. Il compte utiliser le parapente pour éviter ces dangers et atterrir au-dessus, entre 5 700m et 6 000m. Ensuite, il espère pouvoir décoller du sommet : « en Himalaya, on trouve des thermiques jusqu’à 6 000m, même si le Népal est plus humide au printemps que le Pakistan, avec des plafonds souvent situés entre 5 000m et 5 600m. » Qu’à cela ne tienne ! Le professeur d’informatique sait que les calculs ont leurs limites et que parfois, il faut simplement oser : « Sûr que là, on y allait à tâtons ! ».
Durant la phase d’acclimatation, devant le Langtang Lirung (7 227m). © Antoine Girard

Vole et grimpe

Contrairement à la solitude de son aventure pakistanaise, Antoine Girard peut cette fois compter sur les compétences alpines de Julien Dusserre, guide de haute montagne basé dans le Champsaur. « Dans ce voyage, on a décidé que les décisions seraient prises conjointement, mais avec la prise en compte de l’expertise de chacun en son domaine : Julien pour les questions de conditions et ascension en montagne, moi pour la partie vol et parapente. » Et quand ils approchent du Shalbashum (6 680m), sommet choisi pour l’acclimatation, c’est d’abord Antoine qui ouvre la voie quelques mètres sous le plafond nuageux, le long de grandes falaises qui se perdent dans le brouillard.

J’attends longtemps l’impact du sol devenu invisible, je m’écrase dans la neige profonde, un bon 50cm de neige fraîche. Je ne bouge plus, je tire simplement la voile à moi.

Puis c’est au tour de Julien de donner le feu vert pour un atterrissage sur une zone crevassée. Antoine Girard : « Une plateforme semble accessible vers 5 800m en parapente, mais une fois engagé, il n’y a plus de demi-tour possible. J’ai besoin de l’avis de Julien car l’endroit est parsemé de crevasses et je ne veux pas prendre seul la décision de nous jeter dans la gueule du loup ! Je ralentis et lui pose la question. Il valide la décision de s’y engager. » Cet atterrissage sera sans doute l’événement le plus incertain du périple. Une plate-forme neigeuse qui se perd dans le brouillard, blanc sur blanc, avec pour tout repères quelques crevasses à éviter et bien d’autres invisibles sur lesquelles il vaut mieux ne pas se poser. « J’attends longtemps l’impact du sol devenu invisible, je m’écrase dans la neige profonde, un bon 50cm de neige fraîche. Je ne bouge plus, je tire simplement la voile à moi. Julien s’écrase à son tour à trois mètres de moi, j’étais sa cible ! » Il faut ensuite mettre rapidement les crampons et le baudrier, s’encorder, pour ne pas finir dans l’abîme d’une crevasse dissimulée par la neige abondante. Une neige tellement profonde qu’elle retient les deux alpinistes volants un peu plus haut, sur un autre plateau vers 6 200m. Et quand un orage arrive au loin, on touche du doigt l’une des problématiques essentielles de la démarche vol/grimpe : la redescente. Comment décoller vite depuis un plateau, qui plus est en neige profonde empêchant de courir ? Comment redescendre à pieds, dans un dédale de crevasses qu’une approche traditionnelle permet au moins de repérer à la montée ? « Nous avions anticipé ce genre de problématique. Pour le Langtang Lirung, nous avions prévu de quoi attendre trois ou quatre jours en altitude en cas de mauvais temps. On sait aussi que les créneaux sont relativement nombreux puisqu’un quart d’heure de beau temps nous suffit pour décoller ». Malgré des photos prises en vol pour se repérer en cas de nécessité, le cheminement est trop laborieux. Le surlendemain, ils tentent leur chance au décollage, depuis un petit plateau plus bas, où ils sont contraints de creuser une tranchée dans la neige pour pouvoir courir dans l’axe de la pente. Et ça marche. Retour au village. C’est là l’intérêt de ce nouveau style alpin.

Quand le vol se fait à vue, lors d’une tentative pour rejoindre le Langtang Lirung.. ©Antoine Girard
Vol d’acclimatation et de repérage du posé sur le Lantang Lirung. ©Antoine Girard
A la recherche d’une voie de descente du Shalbashum (6 680m). ©Antoine Girard

L’himalayisme à la journée : un nouveau style alpin ?

Pour gravir le Langtang Lirung, Antoine Girard et Julien Dusserre établissent un camp de base à…10km de la montagne. Une distance inimaginable avec les moyens d’approche habituels (en marchant, avec porteurs) mais pratique en parapente : « On a choisi de s’installer dans un petit village à 3 850m. On parcourait les dix kilomètres d’approche en une demi-heure de vol environ. Je pense que pour des ascensions à la journée, il faut rester à une distance de 40km max, pour des vols d’une heure trente environ ». Car l’objectif d’Antoine Girard est bien là : réaliser des ascensions en Himalaya à la journée, comme n’importe quel alpiniste de Chamonix partirait dans le Mont-Blanc pour rentrer le soir : « Pour moi, le parapente c’est comme la benne du téléphérique de l’aiguille du Midi. Tu voles, tu trouves un camp de base où tu peux atterrir et décoller, et choisir un itinéraire pas trop technique car il faut pouvoir redescendre dans les 24h. » Extrême comme démarche ? Girard s’en défend : « Au contraire, je pense que ça peut être un bon moyen pour le grand public de grimper des sommets plutôt faciles mais parfois éloignés, comme le Yala Peak (5 520m). A pieds, c’est un à deux jours de marche pour accéder au camp de base et seulement quelques heures d’ascension. En parapente, tu fais l’aller-retour à la journée, ascension à pieds comprise ! »

Pour moi, le parapente ça peut devenir comme la benne du téléphérique de l’aiguille du Midi.

Le panorama encadré par les suspentes et l’horizon, loin derrière les montagnes du Karakoram. Au centre, le Masherbrum (7 821m). ©Antoine Girard
Même dans sa forme la moins élitiste, le parapente pourrait apporter une nouvelle manière d’aborder l’immensité des massifs himalayens tout en évitant la logistique des porteurs et cuisiniers. D’ailleurs, question matériel, pas besoin de voiles de compétition : « Pour le Langtang Lirung, nous avions des voiles de 3kg, donc pas ultra légères, normées B. On n’a pas besoin de performance mais juste d’une bonne capacité à exploiter les thermiques et décoller/atterrir facilement ». Le matériel, même s’il a beaucoup évolué depuis 5 ans, reste le facteur limitant d’une démarche qu’on pourrait presque inscrire dans la mouvance fast & light :  « Pour moi, c’est une version aboutie du fast & light, mais qui reste limitée par la nécessité d’un parapente trop lourd pour être emmené au sommet. » Et ne comptez pas sur les mono-surfaces. Pratiques à la montée dans le sac d’alpinisme avec leur 1,6 kg, ainsi que pour voler à la descente, elles ne sont pas encore assez performantes en vol de distance. Avec le Langtang Lirung, le duo pensait avoir trouvé un sommet adéquat pour confirmer l’équation. Mais après plusieurs tentatives d’approches depuis le village/camp de base, ils durent se résoudre à abandonner face à l’un des éléments toujours indomptable : la météo et une mousson précoce qui enveloppe la montagne de neige et de nuages. Pourtant Antoine Girard n’en est que plus enthousiaste « Il y a encore quelques faces vierges au Népal, mais difficilement accessibles pour cause d’autorisation, les parapentes étant souvent interdits. Au Pakistan, les plafonds sont souvent plus hauts et on trouve des thermiques jusqu’à 6 600m. Le seul problème est que les montagnes sont souvent plus raides, avec moins de possibilités d’atterrissage. » Il y a fort à parier que c’est dans le ciel du Karakorum qu’il faudra lever le nez, pour voir Antoine Girard voler et grimper sur des sommets, soudain beaucoup moins éloignés.

Du matos sous la sellette

Le matériel transporté varie au fil du périple. La version XXL comprend :

Parapente Explorer Gin 2 Sellettes Kortel : Kolibri (2kg)  et Kliff (260g) Instrument de vol : Syride nav3 (90g) Casque Petzl Sirocco (170g) Piolet Petzl Sum’tec (470g) Crampons Petzl Dartwin (765g) Baudrier Petzl Sita (270g) Corde Petzl Paso guide (2,4kg)

  • 38kg chacun | Vol d’approche, de Katmandou à la vallée du Lang Tang ( beaucoup de nourriture et la totalité du matériel d’alpinisme et de bivouac).
  • 18kg chacun | Du village/camp de base au Shalbachum (moins de vivres, affaires de trek en moins).
  • 12 kg chacun | Pour l’objectif principal, le Langtang Lirung (seule la sellette légère -300g- est emmenée, matériel et nourriture réduits au strict minimum.)
Antoine Girard au Pakistan, en 2016. Á l’arrière-plan, à droite, le pic Laila (6 096m).
Venez rencontrer Antoine Girard lors de l’After d’Alpine Mag du vendredi 10 novembre, aux XIXe Rencontres Ciné Montagne de Grenoble. Il y présentera son film En vol vers les 8000, puis viendra discuter avec vous à partir de 22h30 dans le hall du Palais des Sports.